Peugeot P50 – (modèle 1977)

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Faut-il avoir des traînes-couillons dans sa collection de vélos ? Faut-il conserver des bicyclettes qui ne valent rien, comme modestes témoins d’une époque ? Sans considérer la question du budget à y consacrer, on aurait naturellement tendance à vouloir collectionner une Ferrari plutôt qu’une 2CV, mais je ne suis pas sûr que l’italienne soit la plus représentative de son temps. Dans leurs collections, les collectionneurs surreprésentent toujours le haut de gamme par rapport au bas. Ainsi donc, ce Peugeot P50 – qui n’a pas besoin d’une énorme remise en état – ne mériterait pas d’être préservé ? Je pense que si !

Présentation :

Voilà le bestiau, un joli percheron. Ce Peugeot P50 presque entièrement d’origine, est dans une sympathique parure orange digne des années 70. Il règne apparemment une grosse confusion avec l’Hélium H50… Mais comme le nom l’indique : H pour Hélium (sous-marque de Peugeot, et également présent un temps sur les catalogues auTomoTo) et P pour Peugeot (le vrai)… Et chez Peugeot, P50 a aussi servi à désigner un modèle de BMA – (bicyclette à moteur auxiliaire) – mais ici le seul moteur présent est vos jambes !  Ne me parlez pas de randonneuse, malgré quelques améliorations pour davantage d’aptitudes routières – comme le porte bidon et les cale-pieds – cette bicyclette est une monture utilitaire, comme l’atteste la lourdeur incroyable de ses 15,5kg ! Le cadre est allégé, c’est écrit sur l’étiquette, mais c’est en plomb allégé, oui !Je me suis sans doute fait attendrir par la parure orange criarde, presque fluo, qui rend l’engin sympathique. Comme l’indique l’étiquette du vélociste, il a fait du chemin depuis la banlieue lyonnaise en passant par la Picardie, avant d’atterrir chez moi, pas très loin de Paris.Vélo économique, donc, et largement en plastoc… ce qui hélas, ne l’allège pas trop. Bon, dans les années 70, le plastique, le formica, tous ces matériaux de synthèse n’avaient pas une image péjorative, et au contraire sentaient bon la modernité. En premier, la selle. Moins ringarde que le cuir : indéformable et sans entretien, vive le plastoc pour cette Gallet et sa trousse à outils. Les phares aussi, tout plastique… où il faudra retrouver le cabochon pour l’arrière, mais rien de compliqué a priori, la silhouette de sa base est plutôt familière.

Par contre, la dynamo pour commander l’éclairage n’est pas d’origine, rien de choquant pourtant, mais il y a un indice : l’étiquette de 40 Francs encore collée dessus. Signe que ce n’est pas la monte d’origine, et signe que je deviens vieux : hé oui, dans ma jeunesse j’ai eu au fond des poches cette antique monnaie !À proximité, le garde-boue inox a hérité du stigmate d’un vilain choc. Plastique, toujours, avec ce dérailleur Simplex Prestige S001. Il n’est pas décoloré et semble encore structurellement solide. Il restera donc en place. À savoir que certaines séries de P50 – et surtout de H50 – étaient montées d’origine avec un Huret Svelto, donc pour plus de sécurité dans le cas d’un Prestige douteux, ce changement de dérailleur serait assez judicieux.

Pour le commander, il y a ce levier Huret… Le doute est donc permis entre les deux fabricants ! Si le dérailleur est d’origine, la manette devrait être une Prestige en plastique (de mauvaise réputation) ; mais si la manette est d’origine, alors le dérailleur devrait être un Svelto. Les deux choix d’origine sont donc possibles en théorie, sans mélanger Simplex et Huret.

Notez le jeu de direction basique en acier. La potence est aussi un grand classique, qui reprend le dessin de certaines Atax ou DFV, sans en avoir le sigle. Son origine restera donc un mystère. Le lion sur la sonnette, pardon le timbre, est assez sympa. Et il serait moins ridicule si la potence n’était pas autant ressortie !

Voici un autre détail troublant avec ces leviers de frein. Normalement, on devrait être en présence de guidonnets, donc de leviers type cyclo-cross ou cyclotourisme, fixés et actionnés sur le haut du cintre. Ici, non. Alors, d’origine ou pas ? Voyons les indices :

  1. Rien qui tient lieu de guidoline, à part une couche dépenaillée de scotch d’électricien.
  2. Les gaines de frein sont noires alors que celle de dérailleur – paraissant plus ancienne – est blanche.
  3. Les crochets permettant de fixer les câbles sont ouverts et les câbles pendouillent au petit bonheur !

Donc, dans l’hypothèse où les leviers ont été remplacés, il a fallu retirer au préalable les 4 manchons plastiques Sufficit. Pas facile à faire proprement, ça coince, ça résiste en tirant dessus, aussi les couper est plus facile et rapide… D’où leur disparition. Avec les leviers actuels, il a également fallu des câbles plus longs, d’où les gaines noires (paraissant plus récentes que la blanche) qui n’ont pas été raccrochées. Bingo, tout concorde : ces leviers – qui n’ont pourtant rien de choquant – ne sont pas les bons ! Ils devraient être semblables à ceux équipant cet autre Peugeot, un PL50 bleu.

 

Point de vue freins, sous la crasse les étriers sont des affreux machins tout en acier, des Bebo… qui riment – ça tombe bien – avec pas beau ; et ils le sont, affreux ! Bon, je critique ce qui ressemble à un bas de gamme infâme, mais les tirants rigidificateurs à l’avant semblent sortis d’un autre âge, en tout cas ils ne sont pas très dignes de la fin des années 70 !

Passons à la transmission. Tout de suite il y a un détail qui fâche avec cette pédale droite à l’axe visiblement tordu. Notez les cale-pieds adaptés sur des pédales de ville avec un goût discutable : les vis – de longueurs différentes tant qu’à faire – traversent directement le catadioptre laissé en place ! Simple plateau à l’avant (sous un carter à l’esthétique discutable, mais on a fait pire chez Peugeot)… … pour 4 vitesses à l’arrière, ça fait bien peu pour mener un vélo de plus de 15kg ! Heureusement, l’étagement des pignons est assez généreux pour l’époque. Cette roue libre Atom est une 14-17-20-23. Les moyeux sont également signés Atom.

La silhouette pataude de l’engin trahit des roues en 650B. Elles sont montées sur des jantes acier Rigida Superchromix. Un grand classique, rien d’extraordinaire donc, mais à peine rouillées, c’est déjà ça !

 

Voilà pour le tour du propriétaire, un vélo sans rien de renversant mais apparemment en assez bon état.

La remise en état :

Ce vélo énormément lourd ne sera pas destiné à faire de longs parcours, j’ai suffisamment de machines plus adaptées à cela pour m’épargner ce qui deviendrait vite un calvaire en dehors d’une route toute plate ! Ainsi, le superflu est démonté : porte bidon laid car placé bien trop haut, et cale-pieds bricolés de manière hasardeuse. L’esthétique et l’origine y gagnent beaucoup !

Bon, qui dit cale-pieds dit pédales, et là, pas de surprise, l’axe de droite est bien tordu. Va pour de nouvelles pédales !

Les manivelles et l’axe de pédalier ne semblent pas faussés, mais les clavettes enfoncées avec  une force incroyable, sont indémontables. Les clavettes récalcitrantes sont plutôt habituelles, mais là elles sont totalement verrouillées. Je n’ai jamais vu ça ! Même largement percées pour libérer la tension sur le métal, elles restent impossibles à chasser… Résultat, 5h de travail juste pour pouvoir graisser un axe de pédalier ! Et là, mauvaise surprise, l’axe qui était réglé trop lâche est bon… pour la poubelle, bien écaillé des deux côtés. Les cuvettes sont par contre en très bon état, même si la qualité de leur usinage vu de l’extérieur laisse un peu à désirer, avec la présence (à gauche) de grosses traces de fraisage.Le pédalier étant totalement démonté, autant en profiter pour changer de plateau… et donc de manivelle droite, vu que les deux sont sertis ensemble. En passant de 46 à 42 dents, le plateau sera plus en accord avec la lourdeur du vélo. Pas de grosse faute de goût, le profil des manivelles est le même, et au cas où, on évite le problème potentiel de l’ancienne manivelle faussée. Seul problème, le plateau est prévu pour de la chaîne large (1 à 3 vitesses). Un bon coup de lime sur l’envers des dents permet des ramener – avec un peu de patience – à 2,5mm d’épaisseur. C’est largement suffisant en utilisation mono plateau, plus stable sur les dents, et plus durable que l’habituel 2mm. Tous les avantages, donc, le fait maison ! En situation, le carter de chaîne ne fait pas trop « vide » malgré les 4 dents de moins du plateau. Sous les pavés la plage, et sous la crasse une roue libre Atom. Elle sera entièrement reconditionnée, comme expliqué en détail dans cet article. Tant qu’on y est, le dernier pignon – de 23 – gagne une dent de plus et passe à 24. Ce n’est pas grand-chose, mais difficile de faire davantage pour une modification discrète en 4 vitesses. Pour en finir avec la transmission, vient le problème du dérailleur. Rien de grave, juste un choix à faire. Alors, Simplex (Prestige S001 à droite) ou Huret (Svelto à gauche) ? Les deux sont possibles d’après les documents d’époque. Comme le dérailleur Simplex Prestige a été grandement majoritaire, de manière plus probable la manette plastique a été remplacée par quelque chose de plus solide. Fragile la série Prestige ? Oui mais, il y a une confusion au sujet de la mauvaise réputation de sa construction en Delrin®. En effet, si tout est en plastique, il y a plastoc et plastoc, tordons le cou à une idée reçue !

Si les corps des dérailleurs Simplex – avant ou arrière – sont en résine acétate (ou Delrin®), les manettes sont réalisées en résine polyamide (ou Zytel®) comme habituellement pour les galets de dérailleurs, y compris actuels. En pratique, si les corps de dérailleurs deviennent fragiles avec le soleil et le temps, se fêlent et cassent, les manettes – malgré une certaine impression de fragilité – sont bien plus résistantes... malgré une souplesse suspecte !

Bref, le plastique du dérailleur étant encore solide sans signe de craquelures superficielles ni de blanchissement, l’ensemble Prestige sera remonté.

Le jeu de direction est lui aussi en mauvais état, billé. Ce modèle ordinaire et anonyme ne pose pas de problème pour son remplacement.

La potence en profite pour retrouver une place plus convenable, rentrée – raisonnablement – dans la colonne de direction.

 

Passons maintenant au plus futile, avec le feu arrière. Ce qu’il en reste, le socle tout à gauche sur la photo, rappelle les modèles habituels (en 2ème position) des années 70 / 80. Mais contrairement à eux, celui-ci est clipsé. Beaucoup moins courant donc, que les exemplaires vissés pour lesquels j’ai des bases et cabochons. L’optique située tout à droite de la photo fait un peu trop moderne, le dessin du catadioptre est plus en accord avec les années 80 que 70. L’autre cabochon (en 3ème position) sera donc préférable.

 

L’ensemble des deux pièces du milieu formera un feu pas totalement d’origine, mais très ressemblant ; même si un peu moins anguleux, comme le montre le profil des deux bases (d’origine en haut, sa remplaçante en bas).

Normalement, des guidonnets tiennent lieu de leviers de frein. Cependant, détail troublant, il n’y a sur le cintre aucune trace de leur fixation. Si modification il y a eu, elle semble être intervenue assez tôt dans la vie du vélo. Les leviers actuels resteront donc en place au bénéfice du doute, par respect pour le vécu du vélo, parce qu’ils sont d’époque, et parce que trouver des manchons sufficit en bon état est aujourd’hui très difficile. Ils seront remplacés par de la guidoline plastique d’un (in)confort discutable, mais cette bicyclette n’est pas destinée – a priori – aux grands parcours. Des gaines blanches ? Bah oui, que voulez-vous, elles sont conformes au catalogue d’époque… Il ne faut pas avoir peur des contrastes : orange, blanc et noir ; tout va avec tout !

Une fois récurés, les étriers Bebo sont presque devenus désirables !

Le plastoc massif de la selle, après un bon nettoyage et une mise à hauteur, a bien meilleure mine. Les griffures sont atténuées, à se demander si l’ancien propriétaire n’avait pas un cuissard ou des pantalons en barbelé !

 

Et voilà le vélo remis en état :

 

Un vélo fait pour rouler ?

Avoir un vélo, l’avoir refait consciencieusement et ne pas s’en servir serait assez stupide, non ? Dans ma conception des choses, un véhicule doit servir à… (se) véhiculer. Mais bon, peut-on vraiment rouler avec ça, avec cette enclume de 15,5kg ? Clairement, je ne retournerai pas me frotter à la montagne avec. Malgré tout, les montées de test jusqu’à 10 % s’effectuent sans trop forcer « en facteur »… en étant dans un bon état de forme !

Sur le plat par contre, et sans aller au bout du monde, pour la balade tranquille et sans se battre avec – la performance pure n’est pas vraiment son truc – ce vieux bout de ferraille se laisse entraîner sans épuiser son cycliste. Ce n’est peut-être qu’une impression, où au contraire lié au poids colossal de l’engin, qui une fois lancé, joue les volants d’inertie… En tout cas, étonnant de légèreté, le pachyderme !Un denier mot sur la selle Gallet d’origine, si bien nommée car son confort est digne… d’un galet, justement ! Et avec son plastique lisse, elle est aussi glissante qu’un gros caillou poli par la mer.

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5 réflexions au sujet de « Peugeot P50 – (modèle 1977) »

  1. Bonjour Patrick,

    Toujours content de voir un Peugeot rénové, même (ou surtout ?) s’il est de gamme modeste.

    Avez-vous pu faire quelque chose pour le garde-boue et son enfoncement ?

    Bravo pour ce travail.

    Basile

    1. Bonsoir Basile,

      Même si on ne voit pas trop à cause des reflets, le garde-boue n’est pas trop mal revenu. Pas simple, car l’enfoncement touchant une arrête donc deux « faces » de tôle, verrouille la déformation en l’empêchant de revenir par une simple poussée. L’inox beaucoup plus rigide qu’un aluminium plutôt « mou » augmente encore la difficulté, surtout sans outillage particulier comme des tas de carrossier. Bref, débrouille à la pince (avec les mors protégés pour ne pas griffer la tôle) et tout doucement au petit marteau (par l’envers avec cale de bois à l’extérieur, et sans trop taper… sinon la tôle s’allonge !)

      Garde boue redressé Peugeot P50

      Dans les « Peugeot du pauvre » j’ai un p’tit faible pour l’Hélium H8 du milieu des années 60 qu’il faudrait que je présente également…

      1. Bonjour Patrick,

        Effectivement pas évident, mais c’est super que le volume initial soit rétabli même si la surface garde une trace, ça fera parti de l’histoire du vélo !

        Avec plaisir pour les présentations du H8, j’en ai vu passer quelques uns dans l’atelier participatif que je fréquente, ce vélo semble avoir été très prisé en bord de mer vu les séances de démontages … Dont quelques unes mémorables au niveau des pédaliers, comme pour ton P50 (cependant il me semble que la perceuse avait toujours fini par avoir raison des clavettes).

        1. Bonjour Basile,

          Je suis d’accord, généralement l’acier des clavettes de pédalier a une résistance assez moyenne, mais là, pas simple à percer… et même largement attaquées à la perceuse – pas trop, pour ne pas risquer d’abîmer les manivelles – ce qui restait des clavettes était encore extrêmement coriace à extraire !

          extraction clavette

  2. Bonjour,
    Excellent ! Bravo pour ce magnifique reportage très détaillé. J’ai été captivé. J’ai aussi un vélo d’époque à restaurer et vos explications vont beaucoup m’aider.
    Cordialement

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