Les Flèches de France : Paris – Nantes

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 8.

Octobre est revenu, et avec lui une culpabilité aussi longue que les jours sont devenus courts. Je n’ai pas roulé depuis février, pour cause de mains opérées. L’intervention n’a pas tout résolu ; à moi de faire avec ! Je me remets à pédaler, et à ma grande surprise, je constate que mon corps se réhabitue très vite à l’exercice physique. Je retrouve rapidement ma – modeste – puissance habituelle, mais je sens que pour l’endurance… En fait on verra bien ! Donc par défi, par inconscience qui sait, pour tester mains et jambes, et pour tant d’autres choses, ce sera une Flèche Paris – Nantes suivie d’un retour La Rochelle – Paris, le tout sans préparation, naturellement ! Dans un coin de tête, une petite voix tente de me raconter une histoire d’yeux, de ventre, de l’un plus gros que l’autre… je fais mine de ne pas comprendre !

Le mois avance sournoisement. Toute fin octobre, je me rends sur l’anneau de Longchamp pour tourner avec l’immense troupeau des lévriers à pédales présent l’après-midi. Fidèle à ma réputation de poissard, après seulement un demi-tour de piste, je saute sur une grosse vilaine caillasse pointue. La roue avant joue les filles de l’air, et tape lourdement l’asphalte dans un bruit sec de jante à l’agonie. Mais qu’est-ce qu’elle pouvait bien foutre là, cette putain de pierre ? D’où elle sort, merde ! Dix minutes plus tard, la crevaison est réparée. La roue tourne presque rond, c’est déjà ça ! Je repars pour quelques tours mais le cœur n’y est plus, je rentre. Direct dans la poubelle, mon pneu au flanc déchiré ; presque neuf, bordel ! La chose devient bien moins amusante, quand je m’aperçois que la jante a bien pris la marque du caillou. Je repousse extrêmement délicatement l’aluminium et fais un petit ponçage soigneux, mais le mal est fait depuis le début : en se déformant, le métal a laissé une ligne caractéristique d’amorce de rupture. Quasiment neuve aussi était la jante, re-bordel ! Dire que je n’ai pas de roues d’entraînement pour ce vélo, car c’est mon vieux VTT qui me sert d’habitude de monture d’entraînement. Je voulais faire un dernier petit tour avant mes deux Flèches, juste pour roder ma chaîne neuve, et bien me voilà servi. Ma roue avant ne verra donc plus du pays, je l’utiliserai sûrement encore à l’entraînement, en surveillant bien son état à chaque sortie, mais pour la longue distance, c’est fini ! J’ai honte pour mon pauvre vélo. Déjà gravement blessé avant même le départ des Flèches, il ne ressemble plus à rien avec sa roue de secours à l’avant ! Lundi 2 novembre, je charge ma monture comme un mulet… Double son poids qui atteint 16 kg ! … Comment je me suis démerdé pour être si lourd ? J’ai la flemme de revoir ça, et je constate que la poisse ne me quitte toujours pas. Un faux contact dans l’interrupteur du feu arrière m’oblige à l’abandonner pour un modèle moins visible. J’y perds un peu en sécurité, mais tant pis, c’est trop tard pour faire mieux. Point de vue météo, début novembre j’aurai le droit à un temps de… Novembre bien sûr : frais, venteux et pluvieux. Normal, quoi ! Après des mois de septembre et octobre cléments, j’en avais oublié que l’automne pouvait arriver. Dans ces conditions – et par paresse surtout – j’opte définitivement pour une nuit d’hôtel à Nantes avant d’attaquer ma liaison tranquille de 150km et d’enchaîner le retour par une Flèche La Rochelle – Paris.

 

Mercredi 4 novembre 2009, début de matinée, départ tranquille de Paris après un solide petit-déjeuner. Le temps est incertain, mais le soleil fait son apparition. En traversant Boulogne-Billancourt, les choses commencent à se gâter : ma sacoche avant se décroche brutalement sur un raccord de goudron pourtant insignifiant, et s’en va faire un vol plané sous mes yeux aussi étonnés qu’encore peu réveillés. Malgré tout, j’ai assez de réflexes ou de présence d’esprit pour éviter la chute de justesse. Une série de barres de céréales se trouvent dispersées sur la chaussée, et une voiture roule sur mon appareil photo… Sous mes cris d’horreur et de désespoir ! Je n’y crois pas, d’autant plus que j’ai vérifié et revérifié la fixation de cette foutue sacoche, qui d’ailleurs ne s’est jamais décrochée jusqu’ici ! L’écran de l’appareil a éclaté – forcément, sous une tonne de bagnole – et je ne contrôle plus ni le zoom ni le cadrage, mais il semble toujours fonctionner… Sauf que je n’y vois rien ! Allez, va pour les photos à l’aveugle, au p’tit bonheur, et advienne que pourra. Tout cela venant s’ajouter à mes récents déboires, il faut que je me rende à l’évidence : je suis un sérial-poissard. Comme pour me le confirmer, un peu plus tard un crétin tourne à droite me coupant la route sous le nez, et je manque de justesse la seconde chute. Jusqu’ici tout va bien ! milieu de matinée, j’arrive à Versailles. Le soleil de moins en moins présent, joue à cache-cache avec les nuages pendant que le vent se lève ; il ne retombera pas jusqu’à Nantes ! Mouais, je suis d’accord, ça fait encore du chemin. Une charmante Versaillaise m’adresse enfin un sourire, ce qui change agréablement des têtes blasées et impassibles des parisiens ordinaires. Enfin un peu de douceur dans cette journée de merde. Peu après, comme dans un gag, un de mes porte-bidons se brise. Bon, vu que je commence à être habitué aux calamités, je le rafistole tranquillement avec un gros élastique ! Il n’y a que ça à faire : prendre les choses comme elles viennent. Je peux enfin baptiser le petit chat gris en peluche accroché au guidon, une mascotte confiée par ma fille : ce sera Cat-Lamitie pour le nom, et Jane pour le prénom. Malgré le mauvais temps, l’humidité et le froid, je suis surpris en pleine semaine de croiser autant de cyclos. Il y en aura bien une bonne douzaine aujourd’hui, dont la plupart négligeront mon salut. Tant pis pour eux. Le vent, bien que de travers, est assez pénible. Je sillonne des bois sous la pluie, en roulant sur une purée de feuilles mortes bien grasse. Devinez quoi ? Non, non, je tiens debout, mais avec ma chance du moment j’y vais prudemment dans les descentes viroleuses. Peur de se casser la gueule aujourd’hui ? Pas du tout, voyons ! Dans le bas-côté, les bogues de châtaignes me narguent avec gourmandise, échafaudent une histoire qui ne manque pas de piquant avec des pneus fragiles dans les seconds rôles ; mais rien, j’arrive au premier contrôle de Dampierre pour un coup de tampon sur mon carton vert.

Au Perray-en-Yvelines, un abruti en camion déboule brutalement d’un feu rouge de chantier. Aujourd’hui je dois être transparent, c’est moi le cycliste invisible ! La couleur était pourtant pour moi, pour ma pomme ; verte la pomme, pas écarlate. Naïf par nature alors que l’autre est visiblement daltonien, pas à discuter, je vise le bord du trottoir. Je m’en sors encore bien, mais la poisse continue. Quand je pense aux Américains sur le Paris-Brest-Paris qui trouvent les automobilistes français respectueux des vélos… Aujourd’hui, ça ne me donne pas envie d’aller pédaler chez eux ! Je progresse en plaine, et à l’approche de Chartres, la cathédrale se détache sur l’horizon lointain. Nette mais minuscule, un trait noir pointu dressé, pas encore majestueux, presque un mirage. Loin, si loin encore. Le vent de face et les quelques gouttes se transforment en une forte pluie, par instants à la limite de la grêle. J’aurai du mal à sécher par la suite, mais sans avoir trop froid. Je regarde l’heure. Je n’y crois pas, j’ai mis sept heures pour rejoindre Chartres. Putain, pour 100km ! Mes différents problèmes n’expliquent pas tout. Le vent me ralentit, mais il faut que je me rende à l’évidence : je n’ai pas retrouvé mon endurance, loin de là, j’ai les jambes en fromage blanc.

En repartant, la succession des villages Cogné, Ollé et Bienfol me semble vraiment de circonstance ! Assez vite, cette courte journée de novembre s’épuise déjà. Une lune rousse, bientôt blonde, se lève dans mon dos pour m’accompagner. Cherchant un village d’une certaine importance, je fais un petit détour par le centre-ville de Chassant, tout près, pour me ravitailler avant la fermeture des commerces. Mon flair est bon, car j’y trouve une boulangerie-épicerie ; je n’en demande pas plus. Le patron s’interroge sur ma venue, et je repars avec ses encouragements et ceux d’une cliente arrivée entre-temps. Sûre d’elle, la lune est maintenant devenue bien blanche. Puis trouant bruyamment l’obscurité, je croise le semi-remorque de Jean Mimi – c’est écrit dessus – illuminé comme un sapin de Noël. C’est un peu tôt, mais presque la saison. Je me sens moins seul en longeant l’autoroute, mais content que nos univers soient séparés : la tranquillité du mien, et le trafic grouillant de l’autre. Au voisinage de toutes ces vies parallèles, pressées, finalement cette nuit je ne suis pas totalement hors le monde.

En repartant du contrôle d’Authon-du-Perche, après y avoir déposé ma carte postale de pointage, je longe à nouveau l’autoroute pour peu de temps. J’ai profité de l’arrêt pour téléphoner aux miens qui vont bientôt s’endormir. Je me remets en chemin avec un peu plus d’énergie et le sentiment de ne pas être à ma place, loin d’eux. C’est là tout le dilemme du cyclotouriste solitaire : l’envie de partir, et l’impuissance à partager la beauté des paysages, de l’instant, des rencontres. Bon, il faut y aller, pour être plus vite revenu ! Une étoile filante passe, diagonal trait de lumière éphémère, alors je fais le vœu de ne plus avoir d’autres déboires sur ce périple mal engagé. Serais-je entendu ? Le vent ne faiblira pas de la nuit, mais bonne nouvelle, les températures pas trop non plus. Avec mes torches, j’effraie quelques chats, lapins et un renard. Après mon énorme passage à vide qui me tenait depuis Chartres, cela va beaucoup mieux, quiétude nocturne. Jeudi 5 novembre, minuit passé d’une heure ou deux, après avoir tourné un peu dans la ville, je trouve le bureau de Poste d’Ecommoy pour envoyer une nouvelle carte postale de contrôle.

Deuxième moitié de nuit, de gros nuages menaçants s’accumulent à nouveau. Le crachin ne tarde pas à revenir. La lune complètement cachée par les nuages ne m’est plus d’un grand secours. Les averses reviennent par intermittence. J’arrive à Durtal. Je longe l’imposant château illuminé majestueusement, puis je me dis que la chicane de la route – juste après la forteresse – n’est pas dans le bon sens… Ou plutôt ce doit être moi qui ne suis plus dans le bon sens ! À la base, je connais la ville pour y être passé de nombreuses fois, en transit sur le chemin de l’océan. Automatiquement, sans y faire trop attention, un simple lieu de passage pittoresque. Mais quand même, comment ai-je pu faire demi-tour, Nantes est toujours en principe dans la même direction, droit devant. Je tourne en rond, et n’y comprends plus rien sous la pluie maintenant battante. Par le col de mon imperméable, l’eau s’infiltre désagréablement dans mon cou. Ça coule, et ma navigation vire au naufrage ! Je mets un temps interminable à retrouver mon chemin, me perdant plusieurs fois dans la périphérie de la ville… Je contourne large ! Une fois la route retrouvée, le reste de la nuit se passe sans problème, et j’arrive à Tiercé avant l’aube. Je peux enfin me ravitailler en liquide et en solide à la boulangerie, où je fais tamponner ma carte.

Peu après le lever du soleil, les nuages disparaissent mais la température me semble plus fraîche que celle de la nuit. La matinée se passe sur une étape tranquillement vallonnée. J’aborde Saint-Florent-le-Vieil par sa zone industrielle et son lotissement récent. Pas vraiment conforme à ce que le nom du bourg suggère. Le vieil serait plutôt le neuf, ou au moins le récent. Le centre bourg aura plus de charme, et à peine l’ai-je quitté que Notre-Dame-du-Marillais surgit en bord de route, dans un majestueux damier de pierres blanc et beige dressé sur la plaine. À midi il fait un peu plus chaud, mais le temps se couvre à nouveau. Le vent est toujours aussi présent. Je tamponnerai bientôt à Bouzillé. La poisse semble m’avoir lâché, puisque je n’ai rien de, comment dire ? … bousillé… Pour l’instant, justement. Je sais, c’est facile !

Dernière étape, et pas si plate que je le pensais ; au contraire. La cinquantaine de kilomètres longeant les bords de Loire me semble interminable, surtout les toboggans et petits raidillons qui commencent à me gripper les genoux et à m’endolorir le fessier. Le confort n’est pas au rendez-vous point de vue selle, mais cette fois-ci sans blessure ni irritation, il y a donc du mieux. Après La Varenne, le terrain redevient plat pour la bonne vingtaine de kilomètres restants. Ouf, enfin du répit ! Depuis un bon moment, mes mains n’arrivent plus à trouver une position satisfaisante. Je suis obligé de changer d’appuis constamment sur le cintre, mais rien de confortable. Tôt dans l’après-midi, j’arrive à Nantes. Je vais enfin pouvoir passer sous la douche et me reposer un peu.

 

Après mon décrassage nantais, je me couche… Terrifié. De quoi ? Je ne sais pas très bien. D’être seul si loin de tout ce qui m’est familier, de me sentir abandonné des miens… Que d’ailleurs je ne veux pas inquiéter avec mes états d’âme. Entre deux épisodes de somnolence agitée, je suis pris d’une terrible crise d’angoisse. C’est complètement irrationnel, mais je me demande ce que je fais là, quelle utilité il y a de faire de tels parcours ? La tranquillité de la chambre d’hôtel m’est insupportable. Il faut que je laisse la fenêtre entrouverte sur le bruit incessant de la voie rapide, pour me rassurer un peu face au silence oppressant. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. En route, j’ai pris une canette de Red Bull pour voir si ça allait m’aider pour ma nuit blanche à rouler, mais ce truc doit avoir des effets bizarres sur mon organisme ! J’émerge du sommeil en soirée. Mes fesses et mes genoux me font mal. Mes mains sont rouges et vraiment gonflées, mes paumes sont devenues de vraies paluches, des battoirs, et sont brûlantes, comme les genoux. Je tire un anti-inflammatoire de ma sacoche, mais tout cela n’est pas de bon augure pour la suite. Histoire de reposer ce corps maltraité, j’abandonne l’idée de faire la liaison Nantes – La Rochelle. Demain je ferai le trajet en TER, ainsi j’aurai un peu de repos devant moi.

Le lendemain matin, je me réveille sans problème, j’ai rattrapé facilement mon manque de sommeil. Le dégoût de toute nourriture liquide ou solide est toujours là. Depuis mon arrivée à Nantes hier après-midi, je n’ai rien avalé, alors je déploie de terribles efforts pour réussir à ingurgiter deux malheureuses tartines et un peu de café. Je suis à la limite de la nausée, mais il faut bien manger quelque chose. En repartant, le vent est toujours là… Mais mon compteur a disparu. J’aurai pourtant juré l’avoir mis sur le guidon. Je retourne à l’hôtel, rien dans la chambre. Je commence à en avoir assez de toutes ces mauvaises surprises. Je repars donc sans compteur… et le retrouve sur la route à quelques mètres de l’hôtel, miraculeusement intact, mis à part une petite rayure sur le boîtier. Cette fois-ci, je m’en tire bien. Mes genoux ne se manifestent pas, alors la Flèche de retour me semble accessible. J’ai l’impression que les panneaux m’ont fait tourner en rond. Les sept kilomètres pour me rendre à la gare ont été laborieux, l’ordinaire d’un matin de semaine dans une grande ville. Les deux heures sur les rails ne sont pas du goût de mes genoux. Je me suis assis par terre, près du vélo, par manque de place et pour étendre les jambes. Et pour éviter aussi, au point où j’en suis, que l’engin affreusement ballotté ne s’écrase au sol. Je commence à comprendre que le retour risque d’être difficile sans que mes genoux ne me fassent souffrir le martyre, d’autant que la météo sera toujours à la pluie.

Et la poisse dans tout ça ? Rassurez-vous, elle ne m’a toujours pas quitté. Arrivé à La Rochelle, je me rends compte que ma roue arrière est nettement voilée. Merde, un rayon est cassé au raz de son filetage, à gauche. Comme j’ai changé la roue avant à la dernière minute, je n’ai pas pris mes rayons de rechange habituels, car ceux de l’arrière ne cassent en principe jamais de ce côté, le gauche ; et comme je ne peux pas changer en route ceux de droite, à cause de la cassette… Moralité, je n’ai rien pris et c’est pour mes pieds ! Après appel au vélociste du coin, bien évidemment il n’a pas de rayon en taille exotique, même approchante, pour me dépanner. Le bonheur d’avoir du 650c au lieu du 700c ! D’expérience, je sais que quand un rayon casse, les autres peuvent suivre plus ou moins rapidement… Un vieux souvenir de vélo camping ! La suite devient donc hasardeuse, d’autant plus que le passage de la roue arrière dans le cadre ne laisse pas de place supplémentaire pour davantage de voile. L’éventualité de tomber définitivement en panne en pleine nuit et au milieu de rien ne m’enchante pas plus que ça. Mes mains et genoux étant toujours douloureux et bouillants, allez, c’est plié, je rends quand même visite au bouclard local pour une housse, car au point où j’en suis, le retour sur Paris est impossible depuis La Rochelle avec un vélo non emballé ! Bah oui, tant qu’à faire, aucune chance d’avoir de la… chance ! Retour à la gare. J’emballe le vélo. Ça me fait une drôle d’impression de le voir disparaître dans son linceul. Pendant ce temps, le soleil pointe à nouveau le bout de son nez. Le quai s’affiche, mais comme rien n’est simple ces derniers jours, je dois remonter toute sa longueur pour arriver jusqu’au dernier wagon, en massacrant mes cales neuves sur le gros gravier… du seul quai en travaux ; forcément le mien !

Adieu La Rochelle… Ce n’est que partie remise !

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