Autopsie d’un pédalier (creux) Shimano Hollowtech II

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Les pédaliers Shimano de la – déjà longue – lignée des Hollowtech, vous connaissez sans doute. Traduit en français, ça doit vouloir dire : « technologie creuse ». Ok, mais creuse dans quel sens, en ayant l’esprit mal tourné ? Creuse comme insignifiante, n’ayant rien à apporter ; ou creuse comme du gruyère ? Le français, hein ; car le gruyère suisse, lui, n’a en vérité jamais eu de trou !

Bref, pour l’axe c’est une évidence : pour être creux, il est creux ! Remarquez d’ailleurs que l’épaisseur n’est pas constante. Il y a plus de matière aux endroits stratégiques : pour ancrer l’étoile des plateaux, et pour recevoir les cannelures de la manivelle gauche. Pour les manivelles justement, on voudrait nous faire croire qu’elles sont creuses, elles aussi. Mais vous vous êtes sans doute déjà posé cette question : comment ils peuvent arriver à faire du vide dans un truc pareil, fermé aux deux bouts ? Et qui soit solide en plus, pour éviter que la manivelle ne s’arrache et de la pédale, et de l’axe. Alors, mythe ou réalité ? Seule une autopsie confirmerait la chose. Alors ne reculant devant aucun sacrifice, et rien que pour vous, chers habitués de ce blog et de mes élucubrations, je vais sortir la scie… Si, si !

Après la lecture de ce préambule et sans doute de quelques-unes de mes randonnées improbables, vous avez certainement votre opinion : cet homme est fou… et bien oui, mais pas tant que ça en fait. Ne rêvez pas, je ne vais pas sacrifier un beau pédalier tout neuf. Il ne faut pas exagérer non plus. Voici donc notre patient : un vénérable Shimano XT M760 qui a bien roulé sa bosse – sans m’en faire une seule – sur 60 000km. Avouez que c’est déjà pas mal, et pour lui c’est la fin de la route. Il m’aurait bien servi encore un peu, mais une des deux vis BTR a arraché le filetage de la manivelle gauche lors de l’énième changement de roulements de pédalier. Pas assez de matière pour mettre un filet rapporté type Helicoil, donc manivelle foutue ! Comme le gros axe de 24mm de diamètre est usé d’1/10mm sur la portée du roulement gauche (la bande foncée à côté des cannelures sur la photo), mine de rien ça fait déjà un porte-à-faux gênant au niveau des pédales sur les longues distances, surtout quand on a les genoux fragiles… Racheter une manivelle gauche actuelle – par exemple une XT M785 qui possède les mêmes cannelures – serait possible, mais ne vaudrait pas le coût et l’esthétique en prendrait aussi un sacré coup, même si on ne voit jamais les deux côtés d’un vélo simultanément !

Allez, on sort la scie… et voilà ! Moins glamour qu’une banane flambée ou qu’un homard fendu en deux, il n’y a rien à bouffer là-dedans. Comme promis, que du vide, et cette fine poussière granuleuse gris/verdâtre de résidu de fonderie. Les parois sont assez fines : 2,6 à 3mm pour supporter un bonhomme en danseuse dans le Ventoux, c’est peu, et pourtant ça ne plie pas ! En étant observateur, vous aurez également remarqué le petit téton vers le haut du creux. Mais d’où il sort celui-là ? Défaut d’usinage ou réelle utilité ? Résultat accidentel ou fabrication maîtrisée ?

Voici un indice, que vous n’aurez sans doute jamais remarqué – en tout cas je ne m’en étais pas aperçu jusque-là – et qui est encore présent sur les pédaliers actuels de la gamme Hollowtech II : une petite étiquette ronde, insignifiante, marquée de quelques lettres et collée pile-poil à l’endroit de ce fameux téton. Outre son effet cache-misère, l’autocollant sert à masquer un trou nécessaire à l’évacuation de l’air pendant le matriçage des manivelles, en évitant ainsi des pressions internes nuisibles. Ceci dit, comment ce trou est-il bouché ? Vu le téton enflé en interne, ou pourrait penser à un point de soudure… hé bien non, c’est un « clou » en alu emmanché à force, ce qui évite là aussi d’emprisonner des gaz – moins gênants cette fois – qui seraient générés pendant la soudure. On voit nettement le contour du clou à la surface de la manivelle (carré en bas de la photo), comme on le devine bien dans l’épaisseur de la paroi. Reste à savoir comment le téton a été formé.

Mais revenons à l’origine du procès de fabrication. On part d’une ébauche à l’extrémité creuse aux parois assez épaisses pour former une fois écrasées et fermées, l’épaisseur du filetage des pédales. Quelque chose de déjà usiné du côté axe de pédalier, et qui doit ressembler à cette photo de simulation, le cintrage sans doute en moins. Puis le côté intérieur de la paroi est repoussé vers la face externe (dont on aperçoit les vestiges sur la photo de coupe en étant très attentif). Ensuite le bout creux est étiré pour affiner le milieu de la manivelle, et écrasé en bas pour accueillir des filetages de pédales solides. Je ne sais pas à quel moment intervient le cintrage de la manivelle, certainement après étirage. Quoi qu’il en soit, le téton est donc formé lors du façonnage du petit trou d’évacuation d’air, non pas par perçage mais pas repoussage de matière à l’intérieur… CQFD !

Dernière chose : et le poids – éternelle obsession de tout cycliste qui se respecte – dans tout ça ?

Comparons ce qui est comparable, la manivelle gauche nue. Face à une René Herse paraissant bien minuscule, notre manivelle ne fait pas le poids, ou plutôt si : 210g malgré tout le vide interne, là où celle de Réné Herse, fine mais massive, affiche seulement 135g. La réputation de maître incontesté de la légèreté n’est donc pas usurpée (il s’agit ici bien d’un modèle original, et non d’une refabrication américano-asiatique actuelle).

Bon d’accord, la comparaison est de mauvaise foi, car il y a plus d’un demi-siècle d’écart entre ces deux technologies… sans compter l’écart de prix ! Voyons ce que notre René Herse donne face à d’autres manivelles « vintage ». De haut en bas :

  • Très proche dans la forme et l’esprit, cette Stronglight affiche 160g, assez voisin du poids de la René Herse.

Pour les autres, les trois anciennes Shinano sont très proches du poids de leur version contemporaine, en respectant l’effet de gamme :

  • La 105 (série 1050) affiche près de 230g.
  • l’Ultegra (série 600 tricolor) pèse près de 210g.
  • la Dura-Ace (série 7400) affiche exactement 200g.

Moralité, le gain de poids des pièces modernes est ailleurs – dans les axes et roulements – et c’est parfois dans les vieux pots qu’on fait la meilleure confiture !

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