Randonneuse ou pas randonneuse ?

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Derrière cet article – provocateur si vous voulez – se cache difficilement mon agacement de voir de plus en plus souvent n’importe quel vélo affublé du qualificatif facile de randonneuse. N’en déplaise à beaucoup, la randonneuse correspond à une pratique assez méconnue, et c’est ce que je vais tenter ici de vous expliquer ; si vous voulez du béni-oui-oui et du consensuel, allez voir ailleurs. Il y a un effet boule de neige consternant entre les uns n’y connaissant rien mais pensant savoir, et les autres imitant les premiers en pensant qu’ils savent de quoi ils parlent ! Tout cela ne serait pas si grave… Sauf dans l’intention d’en tirer le maximum sur « le Bon Coin-coin » auprès de cyclistes enthousiastes et mal informés aspirant à une machine de qualité ; ou de faire la culbute de rêve sur « La Baie » en refourguant n’importe quoi à des américanos-japonais crétins dont la seule réputation du « classic french bicycle » est suffisante pour espérer mettre la main sur une merveille ! Le monde est imparfait, je sais, mais c’est ainsi.

Dès l’instant où il est question de gros pneus, garde-boue et porte-bagages… Bingo, ça devient automatiquement une prétendue randonneuse ! Pourtant, ni les porte-paquets – plus c’est gros, plus ça fait sérieux… – ni les bavettes ni les pneus en 650B ne font la randonneuse. Par exemple, est-ce que ce Peugeot P50 orange est une randonneuse ? Certains vous diront immédiatement oui ; alors que non, non, non et non, sûrement pas ! Pneus ventrus, porte-bagages, éclairage et ajouts crédibles comme cale-pieds et même porte bidon, tout y est pourtant sur cette bicyclette… Qui n’est en fait qu’un brave traîne-couillon ; un vélo utilitaire qui respire bien davantage la fierté ouvrière – du temps où les gens savaient se prendre en charge sans rien demander aux autres – que la grande randonnée, qu’il n’a sans doute jamais dû voir !

Tout d’abord, une simple évidence : la randonneuse est faite pour y poser un… Randonneur, le cul dessus. Voilà. Mais qui c’est celui-là ? Malgré un nom trompeur, celui à pédales n’a rien à voir avec son homologue pépère vadrouillant à pied. Cyclotouriste dans l’âme, mais dans « la branche dure » ; c’est un être à part, capable d’enchaîner des centaines et des centaines de kilomètres non-stop – c’est sa raison d’être – et la plupart du temps à bonne allure. Il y a quelques exceptions, dont moi-même hélas, qui ne sont pas si rapides – mais c’est aussi la faute à la curiosité et aux photos – qui ont développé la capacité de passer plusieurs nuits entièrement à pédaler, entre les journées à faire tout pareil ; c’est qu’il faut les boucler les BRM 1000 (BRM pour Brevet de Randonneur Mondiaux ; tiens, tiens, il y a randonneur là-dedans aussi !) Oui, faire 1000km en 75h maximum ou un Paris-Brest-Paris en moins de 80h, c’est officiellement du cyclotourisme… Même s’il n’y a pas trop de temps pour en faire, du tourisme !  Le sommeil est donc parfois totalement optionnel pour aider le randonneur contemplatif à tenir les délais. Bref, la randonnée, la vraie – et encore plus une Super Randonnée – c’est un peu au-dessus de la balade pépère, un peu plus exigeant et plus rustique aussi, et ça ne se fait pas sur un vélo de branquignol, un percheron ni un bourricot !

Mais alors, qu’est-ce qui fait la randonneuse ?

Vous avez donc compris que la randonneuse est avant tout un vélo fait pour vous emmener – assez – vite, loin, longtemps, le plus confortablement possible, en étant capable d’affronter – de jour comme de nuit – tous les profils de terrain sans trop vous faire forcer sur les pédales. Porte-bagages ou pas, c’est une affaire de goûts. La capacité de chargement est un paramètre secondaire. Le vrai randonneur doit savoir – en principe – voyager léger (un randonneur n’est pas un cyclo campeur), et se démerder quoi qu’il arrive, c’est important ; la sacro-sainte autonomie gravée dans les tables de la loi du pur Randonneur.

  • Le 650b est un format de roues qui s’est imposé de lui-même pour le confort, par sa capacité d’amortissement et la disponibilité de bons pneus à l’époque classique. C’est plutôt l’exception aujourd’hui. Remarquez que cet ancien Wolber Super Randonneur caché sous son garde-boue (tiens, tiens, randonneur là aussi) n’est pas une horreur à grosses sculptures façon Michelin WorldTour, mais au contraire très finement ligné, quasiment lisse. Une telle enveloppe, légère et conçue pour tailler la route, serait gâchée pour la promenade tranquille le long des chemins de halage !
  • Le pédalier – plus élégant en double qu’en triple ; minimalisme, toujours – permet d’affronter toutes les montées sans crainte. Le petit plateau porte bien son nom, il n’est jamais trop petit pour aller visiter la montagne et ses cols ! On est loin d’une bicyclette à simple plateau et 3 pignons, faite surtout pour aller pêcher au bord du canal… et donner du pain aux canards.
  • Confort oblige, on ne fait pas d’économie sur la selle. Grappiller 100 ou 200g pour se traîner sur du plastoc tape-cul est un non-sens. Le cuir, encore aujourd’hui, garde les faveurs de beaucoup de pratiquants (ici un joli modèle Gilles Berthoud made in France de production actuelle).
  • Le cintre type course constitue le poste de pilotage incontournable, même des montures féminines. Le guidon plat ou juste courbé, est une obsession récente liée au faux sentiment de sécurité qu’il apporte aux débutants. Tenez un guidon plusieurs jours complets d’affilée, luttez une éternité contre le vent, et vous comprendrez l’importance de pouvoir varier la position de vos mains !
  • Point de vue accessoires, les porte-bagages comme les garde-boue ne sont pas obligatoires, et d’ailleurs de moins en moins présents sur les machines d’aujourd’hui. En avoir ou pas (n’ayez pas l’esprit mal tourné), c’est au goût de chaque randonneur. Personnellement, je n’aime pas m’encombrer…
  • L’éclairage, par contre, est incontournable pour rouler de nuit – ou par temps de cochon – et doit être le plus performant possible (par rapport à l’époque). Même du temps de la dynamo bouteille martyrisant le pneu arrière, celle-ci ne servait surtout qu’en cas de panne de la torche à pile, souvent utilisée comme source d’éclairage principal.

Ci-dessus, une belle randonneuse dans son jus des années 40. Malgré les apparences, il y a un gros travail de remise en état… mais c’est une autre histoire !

 

Pour mieux cerner l’esprit de la randonneuse classique – ou simplement pour en rêver – je vous conseille le livre The Golden Age of Handbuilt Bicycles de Jan Heine & Jean-Pierre Pradères, maintenant aussi disponible en français.

Tout cela n’est qu’une vision générale, et untel ou unetelle aura personnalisé sa monture selon sa pratique, mais les grandes lignes sont là, et vous comprendrez qu’on ne peut pas qualifier tout et n’importe quoi de randonneuse au lieu d’appeler un chat un chat : utilitaire, vélo de ville, de tourisme, demi-course, machine de cyclo campeur, de « tourdumondiste »…

 

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4 réflexions au sujet de « Randonneuse ou pas randonneuse ? »

  1. Un article, encore un, sur cette vieille « guéguerre ».

    Mais pourquoi ne pas admettre, tout bêtement, qu’il puisse y avoir des:
    – randonneuses « entrée de gamme »
    pour étudiant en mal d’aventure, et des
    – randonneuses « haut de gamme »
    pour « quinqua » se faisant plaisir

    Quand à une randonneuse, sans garde boues, ni porte-bagages . . . là, je suis sceptique.

    Amicalement,

    1. Vous savez Nicolas, si ce blog ne vous plaît pas, rien ne vous oblige à le suivre.

      J’essayais seulement d’expliquer à quoi se rapporte le terme de randonneuse, en tentant de déblayer ce concept fourre-tout, et je comprends que ça puisse irriter !

      Je veux bien que le terme de randonneuse soit flou ou discutable, et malgré les apparences, je n’ai pas la science infuse, mais je ne vois pas franchement l’intérêt d’appeler un vélo utilitaire une randonneuse… Sauf à avoir d’un coup une collection plus prestigieuse, mais ce n’est pas réaliste. Pour une question d’ego, c’est beaucoup plus flatteur, mais ça s’arrête là. Ce n’est pas parce qu’on se balade avec un traîne-couillon que ça en devient une randonneuse. Si vous faites des rallyes avec une 2CV, ça n’en fait pas une voiture de course !

      En suivant votre raisonnement, on pourrait alors dire : « pourquoi ne pas admettre qu’une 2CV est une voiture de course bas de gamme ? »
      En ce qui me concerne, je dirais plutôt pourquoi ne pas admettre qu’il y a des vélos plus « nobles » que d’autres ?

  2. Bonjour
    Je viens de découvrir ton blog fort intéressant étant moi même bénévole dans un atelier vélo associatif. Blog que j’ai parcouru avec grand plaisir par contre j’ai rien compris sur ta réflexion « Randonneuse ou pas randonneuse ? » et donc je ne sais toujours pas ce qu’est une vrais randonneuse car je vois passé souvent des voyageurs en vélo à l’association et pour ma par j’en conclu qu’il y a autant de sorte de randonneuses que de type de voyageurs surtout en fonction de leurs moyens financiers. Vtt, Vtc, vélo route transformés(les moins courant) c’est ceux que je vois le plus, de vrais randonneuse vendues comme tel c’est très rare car hors budget pour la plupart et que surement ils préfèrent faire faire le travaille par un pro plutôt que mètrent la main dans le cambouis . Je pense que partir en vélo sur les routes plus ou moins longtemps est plus un état d’esprit qu’un vélo.

    1. Bonsoir Eric,

      Je suis un emmerdeur, j’avoue, mais ce n’est pas parce qu’on fait de la randonnée à vélo que ça fait du vélo une randonneuse… Néanmoins je suis tout à fait d’accord avec votre conclusion.

      Patrick.

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