Les Flèches de France « vintage » : Bellegarde – Paris

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Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 9.

 

le vélo pour revenir de Bellegarde :Francesco Moser (1978)
nombre de vitesses :2 x 5
développement maximum :7,90m (52/14)
développement minimum :3,10m (38/26)
poids du vélo :10,5kg
dénivelé du parcours :920m/100km

 

Réveil tôt ce matin, manque de sommeil, deux trains à prendre. Pas de souci, il y a le temps de se rattraper un peu avant de démarrer cette Flèche… qui n’est pas la plus facile de la vingtaine, ni la plus dure malgré tout. Dans la bonne moyenne, quoi ! Heures nébuleuses, je n’ai pas pu fermer l’œil, ayant largement papoté dans le TGV qui nous emmène à Lyon, puis dans le TER pour Bellegarde. En fait j’ai voyagé avec un cyclo qui va faire un tour en Suisse, alors que j’effectuerai dans l’autre sens ma remontée vers Paris.

Arrivé à Bellegarde en milieu de matinée, me voilà seul. Chacun est maintenant face à son odyssée, prêt à courir après ses rêves. Premiers tours de roues. Je rejoins le centre-ville, en descente depuis la gare. Ça commence bien, il va falloir monter avant même le départ officiel, juste pour être allé pointer dans le bourg ! Et hop, un coup de tampon sur ma carte verte dans une boulangerie… et c’est parti. Comme prévu, tout de suite en sortant de la ville il faut descendre le plateau et monter les pignons. La pente commence douce avec des replats de temps à autre pour récupérer. Tant mieux, je ne me sens pas dans ma meilleure forme. Courte nuit, pas assez dormi, trop discuté dans les trains ; je l’ai déjà dit. Je n’arrive pas à avancer, la mise en route est laborieuse. Ne pas forcer, ne pas mettre ce cœur fragile dans le rouge. La matinée s’écoule doucement, le soleil réchauffe déjà bien l’atmosphère, puis un replat significatif se présente de La Grande-Côte jusqu’à Confort ; ça ne s’invente pas ! La route remonte un peu puis je me laisse glisser dans la longue descente pour arriver à Chézery-Forens. Décidément trop facile ! Je n’ai rien contre le fait de descendre les cols, mais contre celui d’avoir une longue descente avant même que l’ascension devienne sérieuse… et me voilà presque revenu à l’altitude de départ sans être plus avancé, à part de quelques kilomètres point de vue distance. Frustration passagère propre aux conquérants de l’inutile. En m’éloignant de Chézery-Forens, le relief repart enfin à la hausse. La température monte franchement, le parfum des résineux chauffé au soleil m’enivre et je marque un court arrêt. Pour être clair, il faut assouvir une envie subite d’arroser le bas-côté ! Je ne déclipse pas à gauche, pas besoin, je libère juste un pied. L’habitude, l’indispensable pour repartir vite fait. Mauvais choix mauvais bitume, la roue avant tourne d’un coup, entraînée par le poids de la sacoche. Le vélo est déséquilibré, et par réflexe je déclipse l’autre pied pour ne pas tomber… Un léger craquement trouble le chant des oiseaux, et merde, l’avant de la cale s’est cassé comme du verre ! La manœuvre a sans doute manqué de douceur, mais tout de même… À peine une vingtaine de kilomètres d’accomplis, comment continuer à grimper ce col avec un pied qui glisse de la pédale comme s’il était sur une savonnette ? Et dire que sur ce vélo j’avais changé les pédales juste pour cette sortie, parce que le bout de mes orteils se trouve toujours écrasé contre les cale-pieds, et c’est un vrai supplice arrivé à 400km de route non-stop ; alors avec 200 de plus, non merci…. Mais ça ne se fait pas les pédales automatiques sur une machine de la fin des années 70. Me voilà bien puni de mon anachronisme délibéré ! Donner la force nécessaire pour démarrer en côte sur un appui glissant est aussi acrobatique que dangereux. En route ce n’est pas mieux, le pédalage demande une concentration de chaque instant, et malgré tout, le pied chasse toutes les deux minutes ; vraiment. Monter jusqu’au Col de la Faucille s’annonce laborieux. En chemin, pas beaucoup de chance de tomber sur un vélociste – et je n’en trouverai pas – avant d’être redescendu sur Saint-Claude… et encore, à condition qu’il ait encore ce modèle de cale d’ancienne génération Look. En attendant, il faut continuer d’avancer tant bien que mal. Ma moyenne d’ascension n’étant déjà à la base pas terrible dans les cols, s’effondre encore. Le tunnel en direction de Lélex m’apporte un peu de fraîcheur, passer devant les cascades aussi. Le profil de la route hésite toujours entre plat et montées modestes, le Col de la faucille ménage son suspense jusqu’à Mijoux avant de prendre vraiment de l’altitude. Les orages prévus vers la Suisse commencent à remonter par ici. Mauvaise surprise de la météo. Les nuages s’amoncellent de plus en plus nombreux, presque noirs, camouflés derrière le vert profond des sapins, tandis que quelques grondements lointains se font entendre. La menace se rapproche à mesure que je chemine péniblement vers le sommet. Avec cette pédale qui n’en finit pas de glisser sous mon pied, il faut absolument que j’y arrive avant que la pluie ne rende mon appui encore plus précaire. En début d’après-midi, j’atteins finalement le Col de la Faucille pour y pointer. L’orage gronde de manière plus évidente et je ne tarde pas trop à repartir… après un bon café en terrasse, parce que quand même !

En route ; Saint-Claude n’est pas tout près et il faut que j’y déniche une cale avant la fermeture des commerces. Pas trop le temps de traîner en chemin. De retour sur Mijoux tout va bien, ça redescend ! Comme à l’aller, je profite des toilettes publiques pour faire l’appoint des bidons. Ne pas se tromper, ne pas continuer à redescendre vers Bellegarde, prendre la longue montée vers Lajoux. Malgré les grands lacets dessinés sur la carte, elle n’est pas en réalité pas si ingrate. La route se fait humide, l’orage vient juste de passer. Le ciel est impressionnant, noir, comme un mur de ténèbres planté droit devant. L’impression de devoir bientôt se jeter dans la gueule du loup est angoissante. Après un moment de plat sur le bitume détrempé, la pluie se précise. Mon pédalage est casse-gueule sur la pédale mouillée, heureusement je suis en descente à Septmoncel. Contrairement au Col de la Faucille – blotti dans son environnement forestier – ici le décor est très minéral, davantage montagnard dans mon esprit, alors que curieusement je m’éloigne du relief. Puis Saint-Claude est enfin là, avec l’espoir de pouvoir réparer. Tel un colosse de pierre, la cathédrale Saint-Pierre apparaît dans des proportions gigantesques. Il faut traverser totalement la ville et s’en éloigner pour trouver le vélociste excentré du bourg. Gros coup de chance, la pluie n’était qu’une alerte et s’épuise alors que j’arrive devant le magasin des Cycles Burdet. La cale est disponible, un restant de stock d’occasion en très bon état, parfaite pour faire mon bonheur. L’accueil est d’une grande gentillesse, et en milieu d’après-midi me voilà enfin tiré d’affaire ! Ce problème technique résolu, demi-tour pour repasser par le centre-ville. Je ressens aussitôt une énorme sensation de liberté, de pédalage fluide ; l’avancée me semble d’un coup plus légère… même dans les bosses. J’ai tellement peiné que là, je m’envolerai presque ! Cette euphorie de retrouver un bon matériel s’estompera peu à peu, en attendant tout va bien dans la longue remontée – pas si méchante – vers Valfin-lès-Saint-Claude. Après une portion plate jusqu’à La Rixouse, la route remonte jusqu’à Château-des-Prés. Derrière moi le ciel est noir. Les choses se répètent, j’espère que la pluie ne va pas encore me rattraper. Filer droit devant, essayer de prendre l’orage de vitesse. Je suis aidé jusqu’à La Chaux-du-Dombief – au clocher d’église en dôme vernissé – par une route plate qui redescend ensuite par paliers. En passant par Châtillon, la remontée permet d’accéder au modeste Col de la Percée, puis la descente reprend graduellement son cours jusqu’au contrôle de Lons-le-Saunier.

En début de soirée c’est reparti pour une traversée de la Bresse, après le passage d’une petite butte pour s’éloigner de l’agglomération de Lons-le-Saunier. Les Monts du Jura sont derrière moi, et devant c’est le calme plat, à tous points de vue. Je fais escale au cimetière de Bellevesvre pour faire le plein des bidons après cette chaude journée. L’étape est très roulante, et il faut profiter de ce répit avant d’atteindre le relief bourguignon. La nuit s’installe paisiblement à mesure que je chemine vers Nuits-Saint-Georges. La lune presque pleine dans mon dos éclaire l’immensité du néant rural s’étirant entre les rares villages.

En repartant, c’en est fini du plat, place à une étape tout de suite vallonnée. Arrivé au Pont-de-Pany, il faut jouer dans les collines à tourner autour de l’autoroute. La nuit n’est pas si profonde dans le clair-obscur lunaire, le monde n’est pas totalement inerte au milieu du cri des moteurs. Des traits de lumière sporadiques blancs et rouges passent, impatients et furieux, lacèrent les ténèbres. Retour au calme, noir et silencieux, en traversant Sombernon endormi. À l’approche d’Arnay-sous-Vitteaux, la lune rousse va se coucher sur l’horizon et je n’ai pas sommeil. Le centre-ville de Semur-en-Auxois est rugueux dans ses rues pavées. Il est encore tôt, un samedi tranquille. Le vélo martèle le silence du petit matin, chaloupe sur cette longue langue de pierres comme un vulgaire tas de ferraille déglingué. Je prive sans doute de leur grasse matinée quelques habitants au sommeil léger. Juchée sur les hauteurs, la cité médiévale est toujours aussi impressionnante avec ses tours largement lézardées. Depuis le temps qu’elles doivent l’être, rester debout doit tenir de l’obstination. L’étape s’achève sur une route progressivement moins vallonnée, pour rejoindre la jolie petite cité de Noyers, baignée dans la lumière dorée du soleil matinal. Pas encore pris d’assaut par les touristes, le petit bourg au charme médiéval serait encore plus agréable sans, une nouvelle fois, ses rues de gros pavés !

En repartant, dans l’eau tranquille du Serein la végétation exubérante se pare d’une multitude de petites fleurs blanches. Môlay se découvre au détour du chemin un court instant étalé sur la plaine, se cache, puis en le traversant, se montre assez joli et austère à la fois, comme peuvent l’être les villages de vieilles pierres bourguignonnes. En tout cas, la traversée de Môlay ne leur fait pas de mal… à mes mollets, mais il faut franchir ensuite une assez longue butte en route vers Poilly-sur-Serein. Dans ce début d’étape facile présentant quelques petites bosses de temps en temps, Chablis est pris d’assaut en fin de matinée par une foule grouillante. Des hordes de touristes, des nuées paresseuses de vélos électriques, de quoi donner l’envie de fuir rapidement ! En sortant du village changement d’ambiance. Bien rangée par l’Homme, la vigne colonise les collines alentour avec le calme et l’obstination propre au végétal. Après Brienon-sur-Armançon, les montées paraissent plus longues avec le vent en pleine face. L’herbe folle du bas-côté, qui se balance énergiquement, semble aussi de cet avis. Plus loin, vent ou pas, la côte menant à Arces-Dilo est incontestable. Je fais le plein des bidons dans le cimetière en sortie de ville, le premier que je rencontre ce samedi disposant d’un point d’eau. Le vent balaye la plaine dénudée et les éoliennes tournent joyeuses. Les bosses changent de physionomie et deviennent montagnes russes après Coulours. Un tourbillon se crée dans un champ récolté, faisant monter dans le cône de son entonnoir poussière et paille. Il se déplace aussitôt pour traverser la route, m’incorpore momentanément dans sa valse effrénée, m’emporte à gauche de la chaussée puis disparaît dans les cultures d’en face, aussi subitement qu’il est apparu. Sensation unique et incroyable d’avoir dansé un instant dans une minuscule tornade naissante ! Passé Les Hauts-de-Flacy, il n’y a plus qu’à se laisser glisser dans la descente pour atteindre le contrôle de Villeneuve-l’Archevêque en milieu d’après-midi.

Après quelques kilomètres plats, les toboggans se réinvitent dans le paysage à Lailly. Le profil s’assagit ensuite, après avoir basculé dans la bonne descente en direction de Thorigny-sur-Oreuse, où la charpente de l’église a tellement travaillé qu’on croirait ses tuiles posées sur de la tôle ondulée. En sortant de Fleurigny, la présence du château est suggérée de la route par la présence du petit pavillon flanqué de quatre tours ; luxueuse comme porte d’accès ! L’arrivée dans Misy-sur-Yonne marque l’entrée en région parisienne… même s’il reste encore du chemin à parcourir depuis le fin fond de la Seine-et-Marne, presque cent kilomètres ! La traversée de Marolles-sur-Seine est assez approximative dans le village dépourvu d’indications, puis il faut gravir les hauteurs par une longue côte sinueuse à travers bois, pour s’éloigner des rives du fleuve. Arrivé à Tréchy, la route bascule aussitôt dans une descente aussi raide qu’a été la montée. La dernière difficulté de ce parcours est passée, même s’il reste de petites bosses jusqu’à Coutençon, remplacées ensuite par des grands bouts droits bien roulants à travers bois, où le couvert végétal offre un peu de fraîcheur. L’orientation se gâte sur la dizaine de kilomètres permettant d’accéder à Blandy-les-Tours. Dans Les Écrennes, j’arrive à trouver un petit panneau m’indiquant le hameau Pierre Gauthier, puis au bout de ce qui ressemble davantage à un petit chemin abandonné qu’à une route, je me retrouve face à un sillon improbable de terre et surtout recouvert de grosses caillasses ! Faire cinq kilomètres là-dedans, dans ce foutu pierrier sans arriver à crever, relèverait du miracle. Pour un itinéraire de randonnée routière, c’est vraiment se foutre de la gueule du monde ! Blandy est assez isolé d’accès, mais tout de même. Un coup d’œil sur ma carte et j’improvise sur la suite du chemin étroit – qui lui a encore quelques souvenirs du bitume – en espérant qu’il me mène à Châtillon-la-Borde… ce qu’il fait après un long moment d’incertitude à travers champs, mais à force de tourner à droite à gauche, je ne sais plus où je suis. Sur ma carte il y a deux Châtillon-la-Borde – la bonne blague ! – alors pour savoir dans lequel je peux être, mystère, surtout qu’il n’y a aucun panneau dans le village. J’essaye de demander mon chemin à une femme allant monter dans sa voiture, et elle referme vivement sa portière. Pas de doute, je suis bien en région parisienne ! Les gens du coin semblent aussi accueillants que la géographie locale. Après deux tentatives, j’arrive enfin à quitter le bourg par la bonne route… à condition que je sois dans le bon sens, mais la vision de camions filants sur ce qui doit être une autoroute au loin sur la plaine, me rassure sur l’orientation. Dans quelques kilomètres j’aurai atteint Blandy-les-Tours en début de soirée.

Après une courte descente raide et une petite butte pour s’extraire de Blandy, cette dernière étape toute plate se fait bien roulante. Facile pour ce Francesco Moser de 1978. Le tracé chemine principalement sur des grands axes, mais assez peu fréquentés ce début de samedi soir. Dans la lumière chaude d’un soleil déjà bas sur l’horizon, quelques touristes déambulent encore dans le parc du château de Vaux-le-Vicomte. L’aérodrome et l’énorme zone industrielle sur le chemin de Réau semblent endormis, et après un dernier assaut de la nature en sortant de Moissy-Cramayel – à part quelques derniers morcellements – l’urbanisation gagne définitivement la partie, entre secteurs d’habitation et zones commerciales hideuses, pour arriver au dernier pointage de Montgeron juste à la tombée de la nuit.

 

Voir ICI pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne.

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