Les Flèches de France : Paris – Bellegarde

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 15.

Vendredi 27 avril 2012, après Paris – Hendaye et Paris – Bordeaux, voici la troisième Flèche du mois, hé oui !

Même tôt dans l’après-midi, il y a déjà foule pour s’éloigner de Paris en ce début de pont du 1er mai. Encore une fois, ni la chaleur ni le soleil ne sont au rendez-vous. Le temps est maussade, avec une étonnante impression très désagréable de moiteur bien que les températures restent fraîches. Un mystère. Les kilomètres passent, puis le monde citadin commence à se diluer dans le paysage ; pourvu que la circulation fasse de même ! J’arrive à Maincy sans trouver âme qui vive. Je tente ma chance dans le bureau de Poste déserté. Pas de problème pour un premier coup de tampon sur ma carte verte. Merci m’Dame !

C’est reparti par la très passante D408. Comme les bas-côtés sont larges et goudronnés, je préfère y rouler en risquant l’éventualité d’une crevaison, plutôt que de me faire écarteler par un chauffard. Les nuages s’amoncellent en une gigantesque tôle ondulée menaçante. La route de La Borde aux Ecrennes est défoncée, il faut slalomer entre les trous. Dans un air toujours moite, l’odeur des champs de colza en fleurs est particulièrement entêtante. Les oiseaux se mettent à chanter, joyeux à l’approche de la pluie. L’atmosphère est de plus en plus humide, avec un ciel noir profond droit devant ! L’après-midi s’égrène vite, et en attendant l’averse je me ravitaille à Marolles-sur-Seine. Comme prévu, mon entrée dans l’Yonne est vite marquée par la pluie en passant par Vinneuf. Je ne cherche pas à discuter, ça tombe dru alors je me couvre bien, j’en aurais besoin. À Fleurigny, un chevreuil me surprend à traverser sous mes roues. Je l’évite, heureusement pour nous deux. Le jour se prépare à lâcher prise, à disparaître, tandis que toujours sous l’eau j’arrive pour pointer à Villeneuve l’Archevêque.

Alors que la nuit s’installe doucement, un nouveau chevreuil traverse. Surtout, rester attentif dans la lumière des torches. La pluie et le brouillard décident maintenant de se passer le relais de temps en temps. Les 10°C nocturnes sont d’une moiteur incroyable. Je ne m’explique toujours pas le phénomène. Je devine les vignes dans l’obscurité en approchant de Chablis. Pas de dégustation cette fois. Le ciel s’assèche en approchant Noyers. Je l’ai échappé belle ; je ne le serai pas, noyé, malgré toute cette flotte qui tombe… Mes genoux et appareil photo ne sont pas si conciliants avec l’humidité : les uns grippés, l’autre désespérément éteint. Le joli petit village de Noyers plongé dans le noir, perd de sa superbe. Les vieilles pierres jouent à cache-cache mais les rues entièrement pavées se font bien sentir. Ça secoue sous mes roues. Vélo comme genoux ne sont pas à la fête, tous se mettent à craquer de partout ! Juste après le centre-ville pavé, je trouve la Poste sur la droite pour pointer en milieu de nuit. hé hop, une carte postale de glissée dans la boîte. Nous sommes déjà passés au samedi. Pluies et brouillards sont toujours là, poisseux et dégoulinants, alors avec ce temps très british je dégaine une arme de circonstances : un cake anglais que j’ai acheté plus tôt à Marolles-sur-Seine !

En repartant, le cimetière de Vassy me permet de recharger les bidons et m’offre le gîte pour une micro-sieste, appuyé sous le crachin contre le mur d’enceinte. J’ai besoin de m’adosser deux minutes quelque part, alors si le voisinage décide de prévenir la police au sujet d’un mystérieux profanateur à la lampe frontale, ils sauront où me trouver ! Le vent se lève en pleine nuit, charriant des langues d’air chaud. En quelques dizaines de kilomètres, la température monte de 10 à 16°C. N’y aurait-il pas un orge qui se prépare là-dessous ? En passant par Champ-d’Oiseau, pas un seul gazouillis – décidément tout se perd – mais voilà la première grimpette du parcours pour y accéder… Ce ne sera pas la dernière ! Mis à mal par l’humidité, mon genou gauche me fait de plus en plus souffrir avec le dénivelé. Décidément, mauvaise pioche cette année. Au loin, les lumières de Venaray-les-Laumes s’étalent comme les tentacules d’un animal nocturne. Nuit profonde, à Alize-Sainte-Reine j’ai dû me tromper en grimpant jusqu’à l’hôpital, puis à la table d’orientation de Vercingétorix par une grimpette à quasiment 20 % ! Bon OK, je suis arrivé là-haut, mais pour rien. Cette côte âpre sera un avant-goût de toutes celles que j’affronterai plus tard sur la Super Randonnée des Côtes de Bourgogne. Remis dans la bonne direction, après le village je prends la D10 dans le mauvais sens, confondant dans le petit matin Gissey-sous-Flavigny et Flavigny-sur-Ozerain ! Je vous l’accorde, il y a bien Flavigny dans les deux, mais ça s’arrête là ! Je m’en aperçois un peu tard, et préfère continuer jusqu’à Jailly-les-Moulins où un beau raidillon de 170m de dénivelé me fait rejoindre le tracé de la Flèche à Boux-sous-Salmaise, en coupant à travers la ligne de crêtes. En entrant dans Turcey par le pont en sortie de village – plutôt que par le petit tunnel sous la voie ferrée – j’hésite à faire le choix entre les quatre directions affichées par la vieille borne Michelin en béton… gisant dans l’herbe ! L’interprétation dépend du sens dans laquelle elle s’est écroulée ! À la sortie de Blaisy-Bas, il faut prendre sur la gauche sans aucune indication, le chemin de Savigny. Il faut le savoir surtout ! La route, encore une nouvelle grimpette, n’est pas bien large. À mi-parcours entre Savigny-sous-Mâlain et Prâlon, le bitume est littéralement parsemé de trous d’obus, mais pas qu’un peu, je n’ai jamais vu une route aussi pourrie… et j’arrive à Prâlon… crevé ! Le contraire aurait été un vrai miracle. Tôt ce samedi matin, me voici donc avec ma chambre à air dans une flaque d’eau au milieu de la route – il faut dire qu’elle n’en manque pas, ni de trous, ni de flotte, la route – souvenir de toute la pluie de la nuit précédente. Je suis en train de barboter en essayant de trouver d’où vient la fuite. Un habitant passe avec son chien ; matinal. J’essaie de le rassurer sur ma santé mentale, tout en pestant contre l’état de la route et le contraste saisissant d’entretien entre les deux parties. Il m’explique alors qu’une moitié de la route appartient à la commune, et l’autre à la communauté d’agglomération ; l’une voulant payer et pas l’autre… Ce qui me fait une belle jambe, je préférerais seulement ne pas crever. Allez, c’est réparé, et une nouvelle grimpette se présente à la sortie du Pont-de-Pany. La traversée de la Côte-d’Or est magnifique, dommage que l’appareil photo s’obstine à rester éteint sur cette étape très vallonnée (1600m de dénivelé pour 130km). Mes genoux n’apprécient pas cette beauté gondolée, la douleur commence à devenir très décourageante. Après Urcy, je n’ai plus qu’à globalement me laisser glisser dans les descentes pour rejoindre en fin de matinée Nuits-Saint-GeorgesUne nouvelle fois crevé ; enfin le vélo, moi un peu moins ! Je pointe et me ravitaille dans la chaleur étouffante du centre-ville. Je confie 2€ à un homme sans domicile, ils lui seront plus utiles à lui qu’à moi, puis je m’écarte de la rue commerçante pour réparer mon pneu au calme. Il n’y a pas de rapport entre les crevaisons, bien qu’aucune des deux réparations ne tiendra vraiment. Mais où sont passées les rustines d’antan, bordel ! Je préférerai regonfler cinq ou six fois le pneu arrière par la suite, tant que la chambre arrive à peu près à tenir l’air comme ça, car sait-on jamais si je n’aurai pas d’autres crevaisons, après en avoir déjà eu deux en 50km malgré un pneu quasiment neuf !

Je tourne un peu en rond pour arriver à m’extraire de la ville. Les 30°C ne sont pas loin, et grimperont jusqu’à 32 dans l’après-midi, bien trop chaud pour moi, bien trop chaud pour un mois d’avril ordinaire. Comme par magie, et peut-être aussi grâce à la pause rustine forcée, ma douleur infernale au genou gauche a totalement disparu. Par la suite, je maîtriserai plus ou moins les tiraillements avec de la crème anti-inflammatoire. Un souci de moins. Je me mets les bras à l’air histoire de bronzer un peu. À ma grande surprise, cette étape – contrairement à la précédente et à la suivante – s’avérera toute plate. Un peu de répit donc, et vu la chaleur ce n’est pas de refus. Les 20km de routes très passantes autour de Seurre ne sont pas vraiment plaisantes. Même si le ciel se voile et si le vent commence à monter, la température reste infernale, tout comme la circulation de ce milieu d’après-midi en arrivant à Lons-le-Saulnier. Je ne m’attarde pas dans le trafic, et reprends la route tout de suite après avoir tamponné.

En repartant, la couleur est tout de suite donnée : c’est parti pour grimper les 2000m de dénivelé de cette étape de 100km ; hé oui, quand même ! Le vent se lève en rafales. La portion de voie rapide d’Orgelet à Meussia n’est pas trop pénible malgré la circulation de cette fin d’après-midi. Ensuite, les petites routes en faux plats rendent laborieuse l’approche de Saint-Claude, blottie dans sa cuvette. Il me reste à profiter d’une heure de jour pour commencer l’ascension des 700m de dénivelé vers Lajoux. Bien que quelques courts replats permettent de récupérer en tournant les jambes à bon rythme, il me faudra très exactement deux heures pour venir à bout de cette montée en lacets, qui est loin d’être insurmontable en prenant son temps. Rien de glorieux mais m’en fous, je suis un lamentable grimpeur. Après avoir une fois de plus regonflé, je me laisse glisser jusqu’à Mijoux… en perdant une bonne partie du dénivelé patiemment gagné jusque-là. Je résiste à l’envie – ou à l’étourderie ! – de prendre à droite la direction de Bellegarde, mais j’oblique vers le Mont Faucille, qui ne sera par comparaison de la montée de Saint Claude à Lajoux qu’une simple formalité, même s’il y a de l’altitude à regagner. En chemin, plus je monte, plus il y a de neige sur les côtés de la route, et plus l’air se rafraîchit. À mon arrivée, peu avant minuit, je trouve le sommet du Col de la Faucille endormi dans une atmosphère étrange. Le site paraît plus ou moins en déshérence. Il y a des travaux commencés partout, rien de fini, les cahutes douanières de la zone franche fantoche du Pays de Gex donnent aussi un sentiment d’abandon. Peut-être que je me trompe, mais tout ça me laisse une impression lugubre. Un clair de lune timidement voilé complète cette scène qui m’apparaît sinistre. Je déambule sur le site, ne trouve rien pour pointer, puis finis par apercevoir dans la pénombre la grande place dégagée au fond de laquelle se blottit une grappe de commerce. J’y déniche enfin ma boîte aux lettres pour pointer. La carte postale fait un brut mat, métallique, en tombant. Bon signe ou pas, soit personne ne met jamais de courrier ici, soit la boîte est consciencieusement relevée tous les jours !

Il faut maintenant redescendre sur Mijoux. Je regonfle une nouvelle fois mon pneu arrière, ce sera toujours mieux avant de dévaler de nuit les lacets du col ! J’ai très froid en redescendant le mont. De retour dans la vallée, je comprends mieux : le vent me cloue littéralement sur place. Il s’est encore renforcé. Les bourrasques m’envoient complètement d’un côté ou de l’autre de la route, comme si j’étais fait de papier. Je m’attends à trouver des branchages tombés en travers de mon chemin, mais non, rien. En progressant péniblement vers Bellegarde, il y a heureusement plus de descentes que de montées, le vent charrie des flots d’air de plus en plus chaud, rappelant les 32°C de l’après-midi. Entre la température des sommets et celle trois fois plus élevée du plancher des vaches, je comprends que le vent se déchaîne ; l’orage ne doit pas être bien loin, mais je n’aurai droit cette fois qu’à quelques gouttes de pluie. Comme pour la nuit précédente, j’ai seulement besoin d’une seule pause de micro-sieste, à Lélex, pour ne pas faire trop chuter mon attention. En approchant de Bellegarde, les environs sont enfin protégés du vent dans leur vallée. Bientôt le creux de la cuvette dévoile les magnifiques lumières de l’agglomération étalée dans la nuit. Il ne reste plus qu’à regagner le centre-ville endormi, pour pointer avec une dernière carte postale, alors que le dimanche est à peine commencé.

Rejoindre la gare, attendre le premier train, et tout sera fini. En exceptant la pluie, voilà encore une belle Flèche de réalisée. Ça y est, je commence enfin à apprivoiser un peu la montagne et son côté désespérant de ne pas avancer aussi vite que je le voudrais. Accepter cette lenteur obligée sans être exaspéré, sans se décourager, sans se battre contre la route ou le vélo ; bref en prenant tout cela le plus sereinement du monde, ne demande finalement pas beaucoup plus d’efforts que de monter une longue bosse en plaine. Seule la durée de l’effort change.

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