Les Flèches de France : Paris – Hendaye

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 13.

Lundi 2 avril 2012 avant l’aube, sortir de Paris à la faveur de la nuit n’a pas ce côté laborieux qu’on peut y trouver de jour, surtout sans (ou dans) la circulation. Les premières bosses franciliennes se font sentir pour aider à se réveiller. En s’en éloignant, la capitale perd son effet relativement protecteur vis-à-vis de la température, alors il fait froid, très froid, juste 1°C. Pas chaud le printemps, et le petit vent accentue encore cette impression. En passant par Le-Christ-de-Saclay, il me revient à l’esprit toute l’aventure d’Eric Fottorino sur Le Midi Libre, sa préparation, ses doutes, son pari un peu fou raconté dans son bouquin « Je pars demain » … Moi je suis parti aujourd’hui mais ça me rappelle à une autre échelle tous ces cyclotouristes exigeants : les randonneurs, terme tranquille pour les définir et qui cache une réalité située loin de l’image que peut se faire le grand public. Ça me rappelle qu’après tout le cycliste est un être à part, qui n’est par nature pas avare en défis. Pourvu que je n’ai pas eu les yeux plus gros que le ventre avec ce Randonneur 10000 que j’essaie de boucler. On verra bien. Encore en pleine cogitation, j’arrive à Dourdan au petit matin pour y pointer sans m’attarder. Le premier contrôle déjà, et le jour va bientôt se lever. La route, bien longue, commence à peine.

Le soleil incendie l’Eure-et-Loire, la journée sera belle pourvu que les températures remontent. Captivé par son église, je me perds stupidement dans Garancières-en-Beauce. Le petit vent est déjà là, et sera présent pendant tout le parcours. Pour l’instant il reste favorable, et faire du 35km/h en plaine seul et sans effort est très agréable… mais ça ne durera pas ! Me voilà dans le Loiret. À partir de Patay, le petit vent garde toujours son côté glacial mais je ne l’aurai plus jamais dans le dos… Il a tourné et gardera le cap contraire, tant pis. Je passe à quelques kilomètres à vol d’oiseau de la base aérienne de Bricy. Souvenirs de bidasse, souvenirs déjà lointains. Presque envolés, comme les degrés du thermomètre qui décollent enfin : 10°C à 10h, c’est beau les chiffres ronds ! L’approche de Meung-sur-Loire est laborieuse avec le vent qui se renforce momentanément. Le franc soleil réchauffe enfin l’air : 17°C alors que j’approche Chambord. Il n’y a quasiment pas de touristes malgré le grand soleil. Quelques échafaudages alourdissent la silhouette du château. Un café et un tampon, et c’est reparti.

L’après-midi sur ciel bleu est agréable malgré le fond de l’air vivifiant. Les manches courtes me permettront de prendre un peu d’avance sur le bronzage ; en avril ne te découvre pas d’un fil… Si je veux, d’abord ! En traversant la Sologne, la route est toujours aussi plate et roulante, je suis finalement à peine ralenti par le vent. L’odeur des résineux chauffés par le soleil est entêtante. Un magnifique faisan décolle de manière pataude juste devant moi, en lévitation pour traverser la route ; surprenant en pleine journée. L’Indre commence enfin à offrir des routes qui se vallonnent. Puis c’est la malédiction du lundi après-midi rural : pas facile pour le voyageur de trouver quoi que ce soit d’ouvert dans nos campagnes. Patience. Avec cette chaleur, je peux enfin faire un arrêt ravitaillement bienvenu à Luçay-le-Mâle. Drôle de nom. Avant Buzançais, je ne passe pas loin de Saint-Genou… Priez pour nous ; comme les miens sont récalcitrants depuis le départ, environ 200km, cette proximité me fait sourire. Je m’attendais à avoir enfin un peu de fraîcheur en traversant la Brenne et ses zones humides, mais non, la température baisse tout doucement, juste sous l’effet des heures qui s’effilochent. J’arrive en fin d’après-midi pour pointer dans un bistro de Saint-Gaultier. Le café est de rigueur en prévision de la nuit : au programme, rouler et garder les yeux ouverts ! Je fais l’admiration de la patronne et d’un habitué en racontant être parti le matin même de Paris et avoir déjà avalé 300km… tout en ayant encore à faire le double jusqu’à Hendaye… pour y être moins de deux jours plus tard ! S’ils savaient qu’avec un minimum de ténacité ce n’est pas si compliqué, mais tous les encouragements sont bons à prendre.

Un peu plus loin dans la bourgade, je trouve à me ravitailler en solide et boissons fraîches avant la fermeture des commerces ; et rebelote, me revoilà à papoter… L’homme avec un délicieux cheveu sur la langue est du genre bavard, ça me repose cinq minutes. J’en profite pour lui demander la direction de Luzeret, un peu nébuleuse pour moi. « Oh là là, mais ça monte par là… ». D’accord, mais bon, faut bien y passer. Ce n’est finalement qu’un épouvantail, ça ne grimpera pas terriblement en fait, mais la route se rattrapera ensuite. Plus tard, patience ! Le petit vent de travers devient agaçant, il ne me lâchera plus, s’essoufflant à peine la nuit. Progressivement la route se transforme en toboggans interminables, de plus en plus marqués à mesure que le jour baisse. Du relief enfin, alors si vous détestez les environs de Fougères sur le Paris-Brest-Paris… ne faites pas cette Flèche ! La nuit est tombée depuis quelques heures et la température est déjà redescendue à 5°C. La lune cernée par les nuages perd la partie, ravalée par l’obscurité, puis j’entrevois les lumières de Limoges en approchant d’Aixe-sur-Vienne.

Aixe-sur-Vienne en milieu de nuit, donc. 4°C au thermomètre, le lundi a déjà basculé au mardi et je pointe à la carte postale… Puis repars vite fait pour ne pas trop me refroidir. La route menant vers Saint-Pardoux-la-Rivière est défoncée et la belle descente pour accéder au village me fait perdre d’un coup 150m de dénivelé… Qu’il faudra bien remonter, mais rien de trop méchant. Les premières gouttes de pluie se font sentir et c’est parti pour deux heures sous la flotte ! Le jour se lève, nébuleux, blafard. Je n’ai pas si froid malgré la température et l’humidité ; seuls les genoux me rappellent toujours à l’ordre. La première nuit blanche s’est passée sans problème, sans assaut du sommeil. En passant par Chantepoule, silence… Faudrait savoir ! Mi-journée du mardi, j’arrive à Mussidan après une étape moins vallonnée que la précédente. La température plafonne à 10°C et le ciel est toujours menaçant.

En repartant, changement de décor. La forêt cède maintenant place à la vigne : Bergerac, Duras… Les ceps encore presque nus sont timidement feuillus. L’après-midi se déroule lui aussi sous le signe de l’humidité. La bruine s’installe insidieusement, puis la pluie restera au-dessus de ma tête de longues heures, avant le retour du crachin pour le restant de la journée. Dans La Réole je m’égare un peu, puis me trouve face au vieux pont. Je reste perplexe devant la direction d’Auros tout droit au lieu d’avoir à traverser ici. Sur la carte, je vois un autre pont mais bien plus loin… Étrange. Bon, ceux qui ont planté les panneaux doivent mieux connaître le coin que moi, et je dois me mélanger les pinceaux entre les ponts ! Je suis donc la pancarte direction Auros au lieu de traverser la Garonne au pont métallique, et fais un sacré détour pour me retrouver sur l’autre rive… Juste de l’autre côté du vieux pont ; et merde j’aurais pu gagner du temps ! Je reste insensible devant le sens de l’humour bien particulier de l’aménagement local. Un peu plus tard, je m’arrête pour me ravitailler à Savignac avant la fermeture des commerces. À Bazas, pas moyen de trouver la direction Préchac. Plusieurs autochtones en savent autant que moi, c’est-à-dire pas grand-chose… Puis j’arrive enfin à être tuyauté : il faut que je retraverse toute la ville ! Et re-merde. Tourner en rond deux fois en 25km ça fait beaucoup… Mais ça ne fait hélas que commencer ! À l’approche des Landes, c’est le retour du plat pour une soixantaine de kilomètres de répit. C’est au moins une bonne nouvelle. La route déserte traverse la forêt, un chien au loin est assis au milieu, j’approche doucement, personne en vue et l’animal m’attend fermement, assis, pas du genre petit et pas du genre à me laisser passer sans rien dire. J’interprète peut-être de travers, mais que faire ? Je me suis déjà fait mordre tant de fois tout en ayant failli tant d’autres y avoir droit, que je ne tente pas ma chance. Je me déballonne et préfère faire un bon détour. Un de plus, je ne suis plus à ça près ! Après toutes ces péripéties, j’arrive en début de soirée, la nuit tombée à Luxey. Il ne pleut plus, c’est déjà ça. Rien d’ouvert et je ne parviens pas à trouver une boîte aux lettres pour pointer à la carte postale. Je déambule de long en large, mais rien n’y fait. Au loin, un habitant ferme ses volets. J’en profite pour l’interpeller et une fois arrivé à son niveau, je lui demande innocemment s’il y a une Poste dans le coin. Une conversation surréaliste s’engage tant il est vrai qu’il est tout à fait naturel de renseigner de nuit un cycliste de passage cherchant une boîte aux lettres ! En fait mon sésame se trouvera tout au bout au stop à droite, puis tout au bout au stop à droite, puis au stop… À droite ; véridique !

Me voilà reparti, en route pour ma deuxième nuit blanche. Sur des dizaines et des dizaines de kilomètres, la route est vraiment défoncée. Il faut rester bien vigilant et zigzaguer sans arrêt pour éviter tous les trous. Une façon comme une autre pour ne pas s’assoupir ! Pas simple avec la lune masquée. Sur ce coup-là j’aurais dû prendre mon moyeu dynamo. Comme les panneaux se font rares ou fantaisistes – c’est maintenant devenu une habitude – alors je m’égare dans Labrit, Garen, Ygos-Saint-Saturnin, Tartas. Étrange nuit. Tourner dans tous ces villages m’agace, et le pire, je ne comprends pas vraiment pourquoi. Le manque de sommeil doit y être pour quelque chose, cette deuxième nuit à rouler. Je perds un temps considérable et commence à désespérer de ce bien mauvais poisson d’avril. Le moral en prend un sacré coup et je suis maintenant gagné par le sommeil. J’ai froid, la température est bien retombée, et je m’improvise quelques pauses de micro-sieste en ville avec ma couverture de survie, caché dans un coin sombre. C’est la première fois que je l’utilise, car une fois déballée je sais qu’elle prendra une place folle ; mais là, j’ai vraiment besoin d’un instant de repos. Je suis surpris par la douce chaleur qui m’envahit immédiatement, mais il ne faut pas trop tarder pour repartir. Fin de nuit, dernière pause à Montfort-en-Chalosse entre deux containers pour le recyclage, à l’abri du vent. Incroyable, à tant me perdre je n’ai fait qu’une centaine de kilomètres cette nuit, pas plus ; mais d’un point de vue plus positif, il ne m’en reste pas davantage pour rejoindre Hendaye. L’aube revient et la pluie aussi. En sortant de Habas, je ne trouve pas la route de Lahontan. Décidément, ça devient une habitude. J’en suis quitte pour un détour de plus par Labatut… Mais je ne le suis pas, abattu ! Pour saluer mon entrée dans les Pyrénées, que je retrouve toujours avec plaisir, le donjon de Labastide-Villefranche se détache fièrement sur les hauteurs comme pour défier la pluie. La route se fait naturellement plus vallonnée, proximité de la montagne oblige. Mercredi en fin de matinée j’arrive à Louhossoa pour pointer. Le plus dur est fait, même s’il reste encore de belles montées sur les cinquante derniers kilomètres à accomplir.

Comme ce n’est pas la saison pour faire sécher les piments, les murs d’Espelette sont tristes dans leur nudité. Les deux petits cols de quelques kilomètres sur cette dernière étape sont très loin d’être infranchissables. Ils ne font grimper que d’une centaine de mètres, mais après 900km et mes douleurs aux genoux, je les aborderai tranquillement ; celui de Pinodièta se corse sur la fin alors que c’est l’inverse pour celui de Saint-Ignace. Il me reste alors à rejoindre Hendaye, qui se fait désirer par une approche sur de longs bouts droits en montée continue.

J’avais initialement prévu de rentrer en enchaînant avec la Flèche Bordeaux – Paris, mais je préfère ne pas me gâcher la saison avec une mauvaise tendinite comme en 2007. Je connais bien mes genoux, ils sont terriblement chauds malgré le froid qui n’a pas réussi à contenir l’inflammation, aussi par prudence, il ne me reste donc plus qu’à rentrer sur Paris… en train… mais c’est une autre histoire !

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