Les Flèches de France : Perpignan – Paris

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 19.

Jeudi 4 avril 2013, il a encore neigé quelques flocons ce matin. Ce n’est pas trop l’habitude sur Paris. L’hiver a décidé de s’éterniser bien au-delà des limites arbitraires du calendrier, semblant vouloir ainsi prouver que malgré sa volonté, son orgueil et toute sa mégalomanie, l’Homme qui croit tout comprendre et tout maîtriser, ne décide pas de tout, loin de là. Rythme des saisons, rythme des vies, rythme des journées, d’un battement de cœur à l’autre, que reste-t-il de toutes nos courses irréfrénées ? Le vélo comme solution, le vélo comme source d’apaisement ? Le vélo comme vrai rapport au temps et à l’espace : sentir chaque instant nous faire progresser de manière infime mais continue vers le but fixé. Sentir ses forces et ses faiblesses, sentir les montées et les descentes, sentir les éléments et arrêter de se battre contre eux pour essayer d’en faire des alliés. Le déplacement retrouve une dimension humaine, loin de la notion d’impatience et d’anticipation propre à la mécanisation servile que sont la voiture et bien plus encore l’avion. Être pressé, mais pour quoi faire de ces instants supplémentaires, de ce temps gagné à aller au bout de quoi justement ? De la France, du monde, de la vie ? Pour une existence plus riche de quoi au final ? D’images floues, éthérées, de souvenirs étoiles filantes ? Le temps en tant qu’obsession humaine, mérite de pouvoir retrouver sa place de guide patient et silencieux de nos heures, pour être à nouveau perçu à sa vraie valeur.

En résumé – comme je me suis un peu éparpillé – quelle que soit la saison et même si la tâche s’annonce ardue sur cette Flèche, pas besoin de calendrier pour se faire plaisir. À vrai dire, mon seul réel problème est une fois de plus l’état de mes genoux, fragilisés après une récente balade bourguignonne de 400km à la recherche du Col du Crémant. Bon d’accord, de source sûre – comme on le dit dans le milieu du journalisme – les cols de la Croix Saint Robert et du Pas de Peyrol ne sont pas près d’être dégagés, après toute la neige tombée cet hiver. J’ai franchi l’un et l’autre respectivement une et deux fois l’année dernière, ils me pardonneront donc certainement de les bouder cette fois-ci. Je me suis donc concocté des déviations maison pour contourner ces problèmes, rallongeant un peu la sauce mais tout en respectant bien entendu les pointages, car sur une flèche en version « touristique » (même si je la fais comme d’habitude en mode randonneur) on a la possibilité de changer le parcours entre deux contrôles… Si rallonger la route c’était en plus tricher, car je ne vais pas du tout passer en terrain plat… Où irait-on ? Dans le Sud, justement mon Bon Monsieur, c’est là qu’on va ! Allez, côté machine ma nouvelle randonneuse légère en 650b va s’y coller. Avec ses gros pneus, elle devrait limiter les risques de glissades… En espérant ne pas en avoir trop besoin !

Le jeudi suivant, le 11 avril, après une journée de travail bien remplie, le train de nuit m’emmène vers Perpignan. Dans ma mémoire, ce genre de convoi ne s’arrêtait qu’à quelques gares, mais sur cette ligne ils sont plutôt nombreux, les arrêts… Au point où je n’ai pas pu arriver à dormir plus d’une heure en tout et pour tout ; enfin il me semble ! En approchant du but, le petit jour se lève sur une immensité plate et humide, Perpignan est pour bientôt. La gare est enfin là, le centre de l’univers pour Salvador Dalì, juste un point de départ pour moi. À en juger sur l’instant, le ciel ne donne pas signe de la pluie annoncée… Même s’il est bien plombé ! Jusque-là attaché pour la nuit, je libère le vélo de son entrave. Sa peinture fraîche n’a pas souffert d’avoir été bringuebalé sur près d’un millier de kilomètres… Maintenant c’est à lui de faire la route en sens inverse !

 

Vendredi 12 avril, la journée commence et c’est parti. Il va peut-être falloir passer entre les gouttes cet après-midi, mais sinon la météo l’a promis, ce sera du beau temps pour toute ma remontée vers Paris… Mais d’abord, pourquoi effectuer cette Flèche dans ce sens ? Parce que vu les fermetures de cols et les détours qu’il va falloir faire, même si je les ai anticipés et cartographiés, il reste tout de même une part d’inconnue sur l’état des routes d’altitude dans le Massif Central. Et comme dans le sens Perpignan – Paris il faudra rentrer quoi qu’il arrive, car un retour est toujours un retour… J’évite la tentation de l’aller qui peut appeler un demi-tour ; logique, non ? Bref, après un pointage rapide au bistrot en face de la gare, c’est décidé, je m’excentre de l’univers ! Mes genoux sont raides et douloureux ce matin, rien de nouveau hélas. Les 10°C me semblent bien frais, le vent doit ramener l’air glacé des montages. Sortir de la grande ville demande un certain temps, voire même un temps certain… Après Rivesaltes, je laisse enfin l’urbanisation derrière moi. Place au grand air ! En direction des Pyrénées, dans mon dos maintenant, je distingue timidement les sommets lointains encore teintés de blanc à leurs cimes. Les vignobles sont partout, les ceps jouent les nudistes, les grappes pas encore là. La couleur de cette flèche est tout de suite annoncée après la longue montée pour aller vers Vingrau : dès le départ, ça grimpe ! Au sommet, le panneau du col d’Extrême a disparu, mais j’y suis passé. En milieu de matinée, je m’arrête à Durban-Corbières pour le premier pointage – déjà – après seulement trois heures de route. Je me ravitaille à la boulangerie et fais tamponner ma carte verte. Le temps reste au beau fixe malgré des nuages persévérants, il fait déjà 18°C.

En repartant, je suis toujours entouré par les promesses encore nues du vignoble des Corbières. Le petit vent de travers est agaçant. À Lézignan-Corbières, le soleil semble définitivement sorti des nuages. Les plus têtus formeront une discrète couronne à l’horizon. La traversée du gros bourg est pénible avec la foule grouillante du midi. Je ne sais pas si c’est le fait d’être à vélo, mais les conducteurs ne respectent rien, et je dois clairement être en bas de la liste de leurs priorités ! Si vous voulez rouler aussi mal qu’à Paris mais avec cent fois moins de circulation, venez dans les Corbières, vraiment ! Je coupe le Canal du Midi, il reste encore des platanes sur les berges, plus pour longtemps peut-être. Sur les plus de 40 000 plantés, tous n’ont pas été abattus… Mais grâce au chancre coloré, ça viendra ! La température monte, frôle les 30°C cet après-midi. Les eaux de la Cesse, cristallines et impétueuses, semblent vouloir m’inviter à la baignade. Bien que mes genoux toujours aussi raides me fassent moins souffrir, mon moral est atteint : la route n’arrête pas de monter, et je ne m’attendais pas à grimper dès le départ. Je pensais naïvement que les choses sérieuses allaient commencer avec le Massif Central, et je n’imaginais pas avoir si chaud après la météo calamiteuse de ces dernières semaines. C’est la première fois que j’ai un passage à vide si tôt, après seulement 150km parcourus sur un long brevet. L’arrivée en haut du Col de Sainte Colombe, non sans mal, me permet d’avoir enfin un peu de répit avec la descente qui suit. Elle me fait perdre 300m d’altitude en arrivant à Saint-Pons-de-Thomières… Qu’il faut regrimper au double pour arriver en haut du Col du Cabarétou ! Mais je ne l’affronte pas tout de suite, je suis vraiment au creux de la vague, alors je fais une pause avant de me frotter à ce col. Petite visite à l’église de Saint-Pons-de-Thomières, particulièrement massive et imposante. Du solide alors que le bonhomme est fragile. Maintenant courage, allons-y, des cols il en reste encore ! Même des invisibles tant qu’à faire, comme ceux de la Borie de Roques et des Bouteilles, par lesquels je passe sans qu’il y ait de panneaux. Le vent ne m’aide pas pour l’ascension, et en milieu d’après-midi me voilà enfin en haut du Col du Cabarétou. Une petite pause photo ne peut pas me faire de mal ! En chemin vers le col suivant, en forêt, un vieux panneau  »Source » sans plus d’indication m’intrigue. Si l’on a pris soin de laisser là cette antiquité émaillée et rouillée, c’est que l’eau doit sans doute être buvable… Ou alors on a oublié de retirer ce vestige qui fait partie du paysage depuis trop longtemps… Bon, on s’en fout, j’en bois ! La flotte a l’air bonne, alors je remplis mes bidons d’une eau bien fraîche qui me fait le plus grand bien. Le col qui suit juste après, celui de la Baraque, ne montre aucune difficulté. Bonne surprise, enfin un dénivelé insignifiant. Ceci expliquant peut-être cela, mon moral commence enfin à remonter ! Nouvelle dégustation, je goûte l’eau à la fontaine couverte située à l’entrée de La Salvetat-sur-Agout. C’est une plaisanterie, une arnaque ? On nous cache des choses, il y a un truc ! L’eau n’est même pas pétillante, toute plate et ordinaire qu’elle est ; la télé nous mentirait ? Mais que fait la police ! Pas de panneau en haut du Col de Piquotalen, pas de pause, tant pis. Le ciel se couvre et quelques gouttes se mettent à tomber… Heureusement sans conséquences. J’arrive pour pointer à Lacaune en toute fin d’après-midi. Comme la température est redescendue à 7°C, j’en profite pour me couvrir avant la nuit.

Le soir jette un couvercle de nuages épais sur la montagne. La luminosité en prend provisoirement un coup. L’ascension du Col de Sié se fait triste, et un panneau imposant l’utilisation d’équipements spéciaux sème le doute. Y aurait-il de la neige en haut ? Encore ?Je n’en avais pas prévu si bas, à moins de 1000m, et tellement au sud, surtout. Finalement non. Rien de blanc, même rien de glissant, et je suis soulagé de trouver – enfin – le sommet sans souci. En route vers Saint-Sernin-sur-Rance, je passe à la fin du jour par un col secret, inconnu sur ma carte : le Col de Peyronnenc. Ça commence à bien faire avec tous ces cols ! Je n’en n’imaginais pas autant en début de parcours, alors si en plus on m’en rajoute tout le temps ! Parce que là en principe, c’est terminé jusqu’au Cantal… Le jour s’éclipse doucement, le thermomètre se replie également. Il fait 6°C et la route humide accentue la sensation de froid. Quand j’y arrive, la nuit est tombée sur Saint-Sernin. La lune nouvelle, réduite à un très fin croissant, un simple arc de cercle, n’illumine rien. Des jeunes en voiture roulent un moment à ma hauteur, s’inquiétant que mes torches n’éclairent pas grand-chose à leur goût. Puis comprenant que je ne suis pas vraiment du coin, que ma route est illimitée, repartent incrédules… Je n’allais pas les laisser m’accompagner toute la nuit ! Quelques gouttes se remettent à tomber, les montées se partagent enfin aux descentes. Je passe par La Pomparie, mais que parie-t-elle au juste ? Moi, c’est le retour sur Paris ! À Cassagnes-Bégonhès, la D901 est annoncée comme fermée depuis octobre dernier. Six mois. Vu la durée, j’aurais dû me douter de quelque chose. Au moins de la présence de travaux de grande ampleur, mais non, je fonce dans le tas, me disant que de nuit je ne risque pas de déranger le chantier. Avec l’obscurité, je ne me rends pas tout de suite compte que le goudron légèrement recouvert de terre se change bien vite en terrain boueux et caillouteux, que le chemin s’étire au loin et s’enlise… Ils ne refont pas le bitume, ils recreusent carrément la route ! Je me suis fait piéger comme un imbécile, et c’est parti pour une séance de cyclo-cross, une vraie ! Le tracé devient de plus en plus gras et incertain. Les larges cicatrices de terre, ornières submergées laissées par les engins de chantiers sont de plus en plus piégeuses, de plus en plus ouvertes, mais comme la route est en descente continue, je ne me vois pas la remonter dans l’autre sens, dans le noir, sans patiner ni chuter. Il faut bien qu’elle débouche quelque part, cette putain de tranchée qui sera un jour asphalte… Ce qu’elle fait après un très long suspense, assorti d’un bon kilométrage mine de rien. Je m’en sors bien boueux, mais toujours sur le bon chemin ! La fin de cette étape se montrera heureusement plus tranquille. Avec le fond de l’air glacé, les 5°C du thermomètre me semblent bien plus frais encore. Contre toute attente, je ne m’égare même pas en traversant Rodez, et j’arrive à Conques, samedi 13 avril, pour pointer à la carte postale quelques heures avant l’aube.

Au petit matin, j’ai encore un instant de découragement. Je passe trop de temps à mon goût, un temps lent. Trop de temps pour rejoindre Aurillac, alors que j’ai hâte d’en découdre avec ma déviation de contournement du Pas de Peyrol. Hé, c’est le retour des cols, bordel, alors il faut s’y coller, et le plus tôt sera le mieux… Mais pas pour tout de suite ! Pourtant la montagne est là tout autour, revenue avec le jour, derrière les montées raisonnables qu’offre encore la route. Le relief joue à cache-cache avec les arbres, les branches retiennent la brume près du sol. Cette beauté simple en clairs-obscurs m’aide à patienter. En milieu de matinée, j’atteins la capitale du Cantal et du parapluie. Je mets une demi-heure à traverser Aurillac, baladé par les directions Puy Mary. Je remonte ensuite la vallée de la Jordanne, où les sommets apparaissent encore ensevelis sous la neige. Sans surprise, les panneaux me confirment la fermeture du col. Toute fin de matinée, je me ravitaille à Mandailles-Saint-Julien avant de m’attaquer, enfin, à ma déviation. Je dois franchir les cols du Pertus, de Cère – au Lioran – et d’Entremont, au lieu de passer par le Pas de Peyrol enneigé. Malgré le froid et l’humidité, malgré la neige partout dans les bas-côtés, la route n’est pas glissante. Par contre, tout de suite, je me rends compte que le Col du Pertus est une horreur ! Inconnu par rapport à son homonyme pyrénéen, il est court, mais ce qui est perdu en distance est rattrapé en pente : on commence à 15 %, on poursuit plus ou moins à la même inclinaison, et la descente est elle aussi du même acabit en sens inverse ! Pris dans un versant ou dans l’autre, il n’y a finalement pas de jaloux, 15 % pour tout le monde, et ce n’est pas les soldes !SAM_0701 Ma carte, perfide, n’indique même pas un chevron là où il aurait dû en figurer trois ! Sous l’effort, après quelques petits bruits insignifiants, les cliquets de la roue libre se disloquent littéralement ; d’un seul coup ! Pour une fois que je me risque en danseuse, ça, c’est fait ; mais j’évite miraculeusement de me casser la gueule ! Je m’arrange pour que le mécanisme broyé se coince en position pignon fixe, et je repars sans essayer de trop forcer – je voudrais vous y voir – car je doute d’arriver à coincer deux fois la ferraille agonisante. Et c’est reparti à l’assaut du col, pas bien fier, mais il faut bien le finir ! J’atteins péniblement le sommet… Avant de basculer dans la descente, à pic, toujours en pignon fixe ! Ma bidouille semble tenir bon, alors je continue en douceur vers le Lioran en grimpant le Col de Cère. Bien entendu, pas de miracle : le moyeu n’y survivra pas. Les pignons se mettent définitivement à tourner dans le vide dans les deux sens… Et me voilà obligé de terminer l’ascension à pied ! Je maudis la cassette Sram Red et son flasque plein qui m’empêche de faire des ligatures de fortune entre le dernier pignon et les rayons de la roue. Impossible de poursuivre mon chemin. Je peux descendre le col, mais je n’irai pas plus loin !

Trouver dans l’urgence une roue arrière en 650b avec frein à disque, en pleine campagne début 2013, à une époque où même un géant comme Mavic ne croyait pas à ce genre de matériel tien de la chimère ! Après un moment de désespoir, et en y réfléchissant, il n’y a rien dans le règlement des Flèches de France qui interdise d’utiliser deux vélos, le responsable me le confirmera. Alors comme que je respecte bien, avaries comprises, la moyenne minimum de 80km à faire par jour en mode touristique ; et qu’il faut toujours finir ce qu’on a commencé… Le lendemain, l’après-midi du dimanche déjà bien avancé, mon nouveau vélo arrive par le train à ma  »base arrière » du Lioran. C’est reparti, je m’attaque au col d’Entremont. Je n’échappe pas au rituel de la pause photo au sommet, puis rejoins l’itinéraire nominal de cette Flèche, par la D3 en direction de Riom-ès-Montagnes. Fin du premier détour. Moins persévérant que moi, le jour abandonne la partie. La lune, encore toute maigrichonne, n’éclaire toujours pas grand-chose, ce sera encore nuit noire. Avec mes deux torches, renforcées par la frontale dans les descentes, pas de problème. La température baisse vite, mais conserve des relents d’airs encore bien chauds ramenés par le vent frais. Ce contraste est surprenant, mais finalement pas si désagréable. Un premier batracien est paralysé au milieu de la route, les yeux jaunes éblouis par mes phares. Soit il ne passe jamais personne par ici, soit ces bestioles sont plus agiles qu’il n’y paraît. J’aurai bientôt ma réponse, au vu de la purée de grenouilles tapissant l’asphalte ! Loin de toute lumière, je suis fasciné comme un gosse par un ciel aussi étoilé. Toute la densité de la Voie Lactée offerte dans un paysage brut, la montagne comme un écrin. Le vent se lève, me cloue littéralement à la route alors que je peine pour arriver à Besse… Super-Besse… Besse-en-Chandesse… ou Besse-et-Saint-Anastaise… Tant de noms pour un même lieu ? Il me faut remonter toute la ville plantée sur les hauteurs pour y dénicher la petite Poste cachée dans un recoin sombre, à côté de l’église. J’y dépose ma carte postale de pointage, puis en redescends. Enfin j’avance !

Pour passer le Mont-Dore et Rochefort-Montagne, j’ai trois possibilités : le trajet direct par le col de la Croix Saint Robert, en principe fermé ; un détour par Murol et le Col de la Croix Morand, de hauteur et de dénivelé comparable, en principe ouvert ; et au pire par un autre détour plus au nord, par le Col de la Ventouse, bien plus bas et plus facile. Têtu, je tente tout de même l’aventure par le Col de la Croix Saint Robert. Premier choix foireux. Ceci dit ce n’est pas un scoop, je m’en doutais ! Au cœur des ténèbres, surgit dans un rouge sang avivé par mes torches, le panneau de fermeture du col ! Plutôt que de jouer la sécurité et faire les petites cuisses en passant par le Col de la Ventouse, c’est parti pour ceux de la Croix Morand et de Guéry… Que je connais dans l’autre sens pour y être passé l’année dernière lors du BRM 1000km de Ménigoute. Dans la bonne descente de Besse à Murol, je manque de chuter en perdant l’adhérence. La vitesse me fait décoller du bitume façon grosse tôle ondulée. Passé Murol, j’attaque doucement l’ascension du Col de la Croix Morand. Le pourcentage est régulier et raisonnable, même si le vent se mêle de nouveau de la partie pour rendre certaines portions pénibles. En prenant de la hauteur, je crois discerner dans l’obscurité des langues de neige drapant les sommets tout proches. J’évite sans trop de problèmes un petit éboulement de pierres, et bientôt le sommet est là… Pour la petite pause photo. Il fait curieusement doux, 13°C en haut du col, alors que la descente sera glaciale avec bien davantage de neige sur ce versant, et une température qui va avec : 4°C. Allez, maintenant au tour du Col de Guéry, qui est dans ce sens presque une plaisanterie, commençant par de la descente, se poursuivant en plat, avant de finir par monter tranquillement. Puis je bascule dans la longue descente vers Rochefort-Montagne qui me réserve une belle surprise. Je tape violemment dans un énorme trou, en ayant pris l’ombre laissée par mes torches pour une résurgence de source. Il faut dire que j’en ai vu beaucoup au milieu des routes de montagne sur ce parcours. Au sinistre bruit métallique sourd, et au gros coup de buttoir qui résonne un moment dans mes mains, je me rends compte immédiatement de mon erreur. Grâce à la vitesse, les roues ne se plantent pas dans le trou et en ressortent. J’évite la chute je ne sais pas trop comment, mais faire « un soleil » en pleine nuit serait le comble du mauvais goût ! Les roues, les pneus, les chambres, tout semble avoir étonnamment tenu bon vu que rien n’a crevé sur le coup. Je n’y crois pas, je termine la descente. Ma poisse légendaire m’aurait-elle lâché ? Sous les lumières du marché couvert de Rochefort-Montagne, j’inspecte attentivement le vélo. L’arrière s’en tire bien, même la jante à bout de souffle, complètement limée par les freinages sous toutes les pluies possibles est intacte. La roue avant a pris un millimètre de voile, ça aurait pu être pire. Le pneu a subi deux lacérations que je rafistole pour que la pression ne fasse pas éclater la toile entamée, mais bien plus gênant, le choc a achevé le moyeu qui commençait à prendre un peu de jeu. Il tourne à présent complètement  »carré », les billes ont dû poinçonner leur piste de roulement sous la force de l’impact, et font vadrouiller la jante d’un patin à l’autre lors des changements de trajectoire. Et de deux, quelle Flèche impitoyable pour mes vélos ! Il faudra que ça tienne jusqu’à Paris… En attendant, prudence dans les descentes ! À part ça, cette nuit a été finalement tranquille. Aucune circulation, seulement le passage d’une voiture entre les deux cols. Lundi 15 avril, après Gelles, il fait encore froid ; je sais, c’est facile ! Le petit jour se lève avec ce qu’il reste de montagne sur ma droite. Le lever du soleil est particulièrement dantesque avec ses couleurs orangées, rougissantes, violacées. L’appareil photo n’arrive hélas pas à capturer fidèlement cette beauté sauvage. Un lever de soleil c’est toujours une promesse, alors qu’un coucher ce n’est finalement qu’une fin ; fin de jour, fin de ce que vous voulez, mais toujours une fin, et qui ne se mérite même pas, il suffit d’attendre paresseusement que le soleil veuille bien se coucher. L’esprit même de la décadence face à l’espoir fiévreux et incertain du retour du jour. Voilà ! Je passe tout près de Côte-Faîte. Le nom m’amuse. À l’orthographe près, effectivement j’ai dû en faire le principal, des côtes et du dénivelé. Mais ce n’est pas encore fini. Dans le cimetière de Saint-Jacques-d’Ambur, beaucoup de caveaux sont vitrés. Curieux, à croire qu’ici les Morts ont besoin de soleil et de vérandas pour se réchauffer les os. Le profil du terrain s’assagit. C’est le retour des grandes étendues de forêts bien vallonnées. Le barrage et le viaduc des Fades, tous deux endormis me laissent une sensation de gâchis. Privatisation et recentrage sur le TGV obligent, la SNCF laisse derrière elle un patrimoine architectural dont on semble seulement attendre qu’il s’écroule. Si ces édifices sont dangereux, s’ils ne servent plus à rien, qu’on les démantèle et qu’ils disparaissent de l’horizon, sinon pourquoi les laisser ainsi à l’abandon ? La France est-elle devenue une si petite République ? À Saint-Gervais-d’Auvergne, la pluie tant annoncée par un ciel de plus en plus sinistre, fait son apparition pour deux heures. Juste le temps d’arriver, par un ciel commençant à s’éclaircir, à Commentry. J’y fais mon arrêt pointage et ravitaillement. Devant la boulangerie, un homme reconnaît en moi un cyclo au long cours. Pour une fois que j’ai la tête de l’emploi, ça change ! Dans la boutique, je prends un chausson aux amandes et me laisse tenter par La Gouère, l’épaisse tarte bourbonnaise au fromage. La boulangère, au vu de mon périple – et de ce qu’il reste à accomplir – m’offre, fait rare par les temps qui courent, un petit gâteau création maison, tout rondouillard, tout sympa ; le Forgeron, qui fait aussitôt mon délice.

Avant de repartir, j’abandonne mon attirail de pluie. Même si ce n’est pas le grand soleil, il chauffe fort au travers des nuages. Le bitume bien granuleux à partir de La Goutte fait grincer lugubrement ma roue avant maltraitée. Mes mains apprécient moyennement les vibrations. Juste avant de plonger vers Hérisson, je vérifie l’état de ma roue : ça se ballade pas mal, prudence dans les virages ! Je m’attarde sur le panorama ouvert sur la vieille ville et son château crevé de toutes parts. Malgré un début en terrain plat trompeur, cette étape offrira encore des sursauts vallonnés. Le soleil sorti des nuages est maintenant bien chaud en début d’après-midi. Je fais le plein des bidons au cimetière de Saint-Bonnet-Tronçais. L’atmosphère est curieuse, il semble faire bien davantage que les 22°C du thermomètre, mais en même temps, le vent glacé est très frais. Je m’attaque à ma part de Gouère juste tiédie par le soleil. Délicieux ! Petit à petit c’est le retour de la plaine, et le vent pénible en profite pour s’y engouffrer sans entrave. La route du champ de tir est ouverte pour passer par Avord. Pas de son du canon, pas de bidasses en vue. De vieux souvenirs resurgissent, j’ai fait une partie de ma courte vie militaire sur la B.A 702. Les bâtiments de la base aérienne semblent toujours aussi peu accueillants, mais c’est fait pour ! À l’entrée de Farges-en-Septaine, crevaison de l’arrière. La rustine a fait une belle hernie, sans doute à cause du choc violent de la nuit dernière, et a fini insidieusement par percer. Un p’tit quart d’heure à bricoler, et en selle ! Approchant d’Henrichemont dans le jour déclinant, la morne plaine s’orne de petits tumulus à l’horizon. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai toujours été étonné d’avoir à « regrimper » pour retourner en région parisienne. Je pointe au bourg sans m’attarder, me prépare pour la nuit, et c’est reparti.

Dans le soleil couchant, passer par Ivoy-le-Pré me fait sourire… D’autant qu’il n’y a pas grand-chose d’autre à voir que des pâtures dans le coin, et que d’ici peu surtout, bientôt on ne distinguera plus rien, l’herbe comme le reste ! La température repasse vite sous les 20°C ; en perdant son côté étouffant, enfin. Le coucher de soleil s’orne de jolies irradiations rosées. Pas mal ! Mes genoux et mes fesses commencent à souffrir sérieusement de toutes ces séries de faux plats qui ne leur offrent finalement que peu de répit. Les ténèbres montent, gomment le paysage, et cette nuit le fin croissant de la lune semble enfin éclairer, très faiblement, la pénombre. J’arrive à me perdre, sans trop savoir comment, dans Sully-sur-Loire avant de retrouver le château illuminé… Et le bon chemin qui va avec. La nuit est fraîche mais pas froide. Ma progression me semble lente, Pithiviers se fait attendre, puis apparaît enfin comme le fruit du désir. J’ai l’impression de tourner un peu en rond en suivant la direction Étampes, alors que sur la carte c’est en principe tout droit. Le chemin est encore fastidieux ; que cette nuit m’apparaît longue sans que je ne sache trop pourquoi. Il me vient l’image d’une mouche se débattant frénétiquement à la surface d’un verre d’eau, à pédaler sur ces portions de routes maintenant plates et sombres où rien ne dépasse. Trop de noirceur peut-être arrête le temps dans ce monde aveugle. Quelques bonnes heures avant l’aube, arrivé à Étampes, je peux enfin pointer à la carte postale.

C’est reparti pour cette dernière étape menant à Paris. Ma roue avant tourne de plus en plus comme une patate, bavarde avec les patins de frein. M’en fous, l’arrivée approche. Bien au chaud dans mes vêtements, cette nouvelle nuit blanche s’achève sans aucun problème, malgré des températures maintenant bien basses. La solitude m’ayant mené à Étampes disparaît petit à petit, remplacée par la succession des villes de banlieue désertes. L’éclairage public redonne de la consistance au monde, de la vitalité à mon pédalage. Pour le banlieusard ordinaire, il n’est pas encore l’heure de se réveiller pour aller travailler. Bientôt la vie urbaine reprendra ses droits, et je finirai par me mêler, avec la prudence due au manque de sommeil, aux gens pressés de la capitale. Fin de l’odyssée, je vais me coucher !

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