Les Flèches de France : Paris – Calais & Lille – Paris

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisodes 4 et 5.

Fin avril 2008, après une éternité de mauvais temps, le printemps est enfin là. 18°C en début d’après-midi, je n’étais plus habitué à autant ! Allez hop, j’enfourche mon brave VTT pour faire un petit tour sur l’anneau de Longchamp. Tourner les jambes, tourner avec les fous surtout. Je m’accroche au premier troupeau de lévriers à pédales qui passe. Le train s’accélère pour tenir les 40km/h. Presque trop facile ! Ça se confirme donc, je suis en forme malgré le peu de temps que j’ai consacré au vélo : une sortie par mois. En fait, il faut y ajouter mes tournées d’infirmier en soins à domicile, avec en ce moment un vélo hors d’âge en pignon fixe… Et le fixie, ça entretien la forme ! Mon doublé Paris – Calais et Lille – Paris ne s’annonce donc pas trop mal… À condition que la météo suive, mais il devrait pleuvoir les jours suivants ! Je verrai bien…

 

Jeudi 1er mai, jour du muguet ;  fin d’après-midi après ma journée de travail, je pars de Paris sous une pluie battante. Ça commence bien, mais bon, sans doute une simple averse comme il y en a eu d’autres aujourd’hui. Allez, j’y vais en prenant mon mal en patience. Des nuages obstinés me suivent, puis au bout d’une demi-heure trouvent mieux à faire, alors la pluie cesse. Très vite, la température remonte avec le soleil ; ou plus précisément, mes vêtements de pluie se transforment en un véritable sauna portatif. J’enlève tout ça avec soulagement. En fait, il fait assez frais mais c’est plus confortable ainsi, largement dénudé. En roulant à bon rythme, le premier contrôle de Beaumont-sur-Oise arrive vite.

Je perds un peu de temps à essayer de trouver le seul commerce logiquement ouvert un premier mai : le fleuriste… Que je ne trouverai pas ! Faute de pouvoir tamponner, direction La Poste pour envoyer ma carte postale de contrôle. Pendant ce temps, les nuages trompant ma vigilance, en ont profité pour se regrouper, et une pluie – diluvienne cette fois – se met à tomber. Sûrement encore une averse, alors j’attends que la pluie soit moins forte avant de repartir ; et tirant la leçon du départ, je ne me recouvre pas trop. Mauvaise idée, les cieux ne partagent pas ma prévision, ne sont pas sur la même longueur d’onde. Plutôt fixée sur la longueur de l’ondée, l’averse s’éternise ! Elle finira par cesser, par lassitude sans doute, mais des nuages menaçants me suivront sournoisement jusqu’à mon escale picarde où je retrouve ma petite famille pour la nuit, avant d’attaquer au matin les choses sérieuses. Pour une fois, je profite du minimum de 80km par jour à faire en moyenne sur une Flèche de France en version touristique. Après 8h d’escale au sec – c’est le grand luxe – le jour se lève et moi aussi. Je pars ou je fuis, dans une très légère brume. Mais quoi fuir est la bonne question. La fuite n’est-elle pas aussi un concept inventé par des sédentaires pour ne pas avoir à bouger ? En y mettant une couche de honte à la place de celle appartenant à la survie, la partie est gagnée pour eux ! Bref ; très légère brume disais-je, mais temps clair, contrastant merveilleusement avec celui de la veille. La pluie semble être partie au loin. Le contrôle de Conty est à deux pas. Je pointe à la carte postale dans le village  endormi.

En repartant, Namps-au-Val se mérite par une belle montée. En passant par ici, je me suis toujours demandé pourquoi il fallait tant grimper pour arriver à un machin qui s’appelle « au Val »… L’humour Picard peut-être ? Plus tard dans la matinée, déjà un peu égaré, je me perds complètement dans un sournois village qui ne veut pas dire son nom. Je ne sais absolument pas où je suis. Pas de panneau d’entrée, ni de direction. La bourgade est pourtant assez grande, mais déserte. Puis surgit un rond-point qui ne m’aidera pas beaucoup plus, mais voilà enfin des indications. Ouais bof, à droite, sur ma carte c’est trop à droite ; à gauche, ça m’enverrait trop à gauche ! Ce sera donc, en toute logique, tout droit… sans savoir vers où ! Je sors du village sans plus de panneau qu’à son entrée. Mystère total. Après tout, qu’il garde son anonymat, ce foutu bled fantôme ! Dans la direction que je croyais être la bonne, une surprise m’attend. La route s’évanouit soudainement. Sous mes roues, le bitume s’évapore pour laisser la place à un chemin de terre. Me voici donc sur un sentier des plus improbables, truffé de cailloux, gravillons et mares d’eau laissées par les précipitations de la veille. Je progresse tant bien que mal, évitant quand c’est possible grosses pierres et flaques de boue, prenant certaines de front faute de mieux. Je m’obstine en partant du principe qu’un chemin, plus il est long et moins il y a de chance qu’il finisse en cul-de-sac de desserte agricole… En principe ! Comme il est tout en légère montée entrecoupée de faux plats, sa longueur réelle m’est inconnue, car l’horizon que j’espère voir après chaque butte s’échappe constamment. Au bout de plusieurs kilomètres, revoilà enfin le goudron qui refait avec soulagement son apparition. Oui mais où ? Encore une bonne question. Je croise bientôt une route « normale », qui me remet pile-poil vers où je dois passer. Miraculeux, me voilà ressorti de ce Triangle des Bermudes picard ! Comme quoi, la navigation à la boussole ça a aussi du bon. Je longe mon premier cimetière militaire du parcours, il y en aura tant d’autres dans la Somme. La matinée est agréable, ni trop chaude ni trop froide ; avec un léger voile de nuages et un petit vent rafraîchissant, pas assez fort pour vraiment freiner ma progression. Après Longpré-les-Corps-Saints, j’attaque une bonne montée pour m’extraire de la vallée de la Somme, la rivière cette fois. Midi, escale et contrôle à Crécy-en-Ponthieu. Dans une supérette, une dame âgée râle au sujet de ce qui manque en rayon, en maudissant les clients de passage, responsables présumés de ce honteux pillage… Moi qui en suis un pour l’occasion, je suis entièrement d’accord avec elle : le tourisme et encore plus les touristes, quelle plaie !

L’étape est courte, la route tranquille pour le tronçon le moins vallonné de cette Flèche. De quoi flâner et récupérer un peu. Il règne presque un air de vacances, d’autant plus que je débarque à Étaples sous les flonflons de l’accordéon braillés par la sonorisation publique. Le centre-ville est envahi par un capharnaüm de fin de marché, cageots et détritus en veux-tu en voilà. Des hommes et des camions poubelles s’affairent pour ramasser les reliefs éparpillés.

Ça casse un peu l’ambiance, alors je repars en direction de Boulogne-sur-Mer. Le tracé est au calme d’une agréable piste cyclable, propre mais torturée, s’interrompant par moments pour renaître peu après. Pour comprendre, il faut être soit local, soit très attentif ; les deux c’est mieux ! Très vite, je suis dépassé par deux cyclistes. Quand on parle du loup… Le temps d’une petite hésitation, j’appuie sur les pédales pour les rejoindre. Ils filent bon train à 35km/h. La piste s’évanouira peu avant Boulogne, où je perdrai mes deux accompagnateurs dans la circulation dense, à l’image de bien d’autres villes du littoral. On ne peut pas non plus demander autre chose lors d’un pont ensoleillé du premier mai. Ce sera les trente kilomètres les plus rapides de ce parcours, tout le temps où je resterai accroché à mon escorte ! En longeant la côte, je suis assailli par l’air frais et vivifiant en provenance du large. Cette sensation très agréable me suivra jusqu’à Calais, sauf lors de la traversée des agglomérations… Et c’est à l’abri du vent que je m’aperçois de l’étendue de mes coups de soleil. Ayant toute la journée fait cap au nord, je suis rôti du côté gauche. Le droit – resté blême – passera à la cuisson le lendemain, mais avec un soleil parfois voilé. Mon bronzage cycliste déjà assez limité, ne sera pas non plus symétrique ! En attendant, j’arrive à Audresselles pour me ravitailler et tamponner dans l’épicerie du coin. À en croire le patron, je suis le premier cyclo à présenter une carte verte dans son échoppe. Après la vague de l’été dernier, c’est moi qui lance la saison 2008. Trop d’honneur !

La fin du parcours se rapproche, toujours en maintenant le cap au nord par la côte. Toujours ce bleu et ce vent aussi ensoleillé et agréable. Toujours un peu de circulation, mais tout va bien. À une douzaine de kilomètres de l’arrivée à Calais, je rentre dans une ville répondant au nom sympathique d’Escalles. Soudainement, se présente à moi le magnifique panorama – moins sympathique cette fois – d’une route serpentant sur un flanc de côte abrupte, et c’est cette route que je dois gravir. Comme je ne suis définitivement pas un bon grimpeur, c’est pour moi le cauchemar absolu ! Escalles, OK je vois l’idée, mais le principe c’est d’en repartir, sinon ce n’est plus une escale mais un séjour ! Courage. Finalement ce sera plus facile que prévu, sur le plus petit braquet tout de même. Quelle invention merveilleuse, le petit plateau d’un VTT. Arrivé à Calais, davantage de gens du peuple que de bourgeois, mais je ne peux pas quitter la ville sans prendre en photo la mairie accolée à son beffroi.

 

À l’époque, je n’avais pas connaissance des Relais de France – qui n’avaient pas encore été repris par l’Audax Club Parisien – pour relier les terminus des Flèches de France, alors je m’improvise un chemin pour la suite. Avec le beau temps, la circulation a été dense sur les routes du bord de mer, et c’est avec soulagement que je vais m’en éloigner pour rejoindre Lille par l’intérieur des terres, et enchaîner ma deuxième Flèche à l’envers : dans la direction de Paris. Je prends donc tranquillement en fin d’après-midi la route pour la capitale des Flandres, en espérant y être un peu après minuit. Comme une fois passé 400km, la douleur au contour de l’insert du cuissard devient de plus en plus intolérable, surtout dans les montées même les plus faibles… je ne résiste pas à l’envie de faire un petit détour pour prendre une photo de ce lieu-dit ô combien de circonstance « Le Tap Cul ». Il faudrait vraiment que j’essaie une selle en cuir, rien que pour voir. Un jour j’y viendrai… Au bord de la route, un artiste illuminé habitant les lieux, exhibe un joyeux bric-à-brac qui s’étale très largement aux yeux des passants. Le lieu est idéal, isolé à cause de son étrangeté… à moins que ce soit précisément son étrangeté qui ait fait fuir les voisins ! Peu après, je croise un cyclo lourdement chargé et nous échangeons nos salutations. Celui-ci aura été plus aimable que les trois ou quatre autres rencontrés plus tôt dans la journée, et m’ignorant complètement. À la tombée du jour, je surprends un couple de faisans ; et un peu plus tard, telle une escorte présidentielle et faute de motards, une paire de lapins me précède en se relayant dans le bas-côté. Mon itinéraire de jonction entre Calais et Lille est plutôt plaisant, car le moindre village et même souvent la route elle-même, restent éclairés toute la nuit. Malgré l’absence de lune, ne pas avoir à déchiffrer la pénombre à la lueur de mes torches, est un confort appréciable. Le passage par Cassel est moins plaisant, lui. Pour certainement donner plus de caractère à cette bourgade, une grande partie de ses routes sont – restées ? – pavées. Outre le côté désagréable retransmis par la selle à des fesses déjà bien endolories, la sortie de la ville mal éclairée reste assez obscure, en descente, et avec toujours ces maudits pavés disjoints. Je fais de mon mieux pour éviter la chute, en me disant qu’au panneau de sortie de ville mon calvaire sera fini. Hélas pas du tout, les pavés ont dû plaire, à tel point que j’en trouverais sous mes roues jusqu’à temps de rejoindre une route départementale digne de ce nom.

 

Une heure du matin, pile, et me voilà à Lille. Le temps de glisser dans la boîte la carte postale d’usage, et ma deuxième Flèche peut commencer ! Je sillonne les rues du centre-ville, assez familières en raison de mes déambulations lors de quelques fameuses grandes braderies. Deux heures plus tard, sans rien de remarquable, j’arrive à Douai. Un groupe de jeunes plus imbibés qu’éméchés, jouent à un jeu bizarre sur les quais : certains se jettent dans l’eau glacée, à grands bruits comme il se doit, sous le regard goguenard de leurs acolytes – ou alcooliques, la différence semble difficile à faire sur l’instant – qui ayant tout prévu, ont relié un canot pneumatique à une corde, pour leur jeter au cas où… On s’amuse comme on peut, et s’ils savaient, trouveraient sûrement complètement débile ma petite ballade de 700km !

Au terme d’une deuxième courte étape, toujours aussi plate que la première, J’arrive au petit matin à Bucquoy. Rien n’est encore ouvert, alors j’envoie encore une carte postale et c’est reparti.

Quelques kilomètres plus loin, je quitte le Nord – Pas de Calais pour retourner en Picardie. Je passe par Miraumont blottie dans sa cuvette. Enfin une petite butte à affronter pour s’éloigner des bords de l’Ancre. La nuit blanche se termine tranquillement, sans que je sois terrassé par le sommeil. Je m’accorde tout de même préventivement deux pauses de quelques minutes de micro-sieste. Dans le début de matinée, de plus en plus de nuages se regroupent au-dessus de ma tête, à l’image d’une multitude de balles de coton. Le spectacle est magnifique, mais je crains l’averse imminente. Finalement non. Ils se disloqueront comme ils sont venus, l’air de rien, pour céder la place à un franc soleil, et j’arrive à Lassigny peu avant midi pour pointer.

En repartant, la route grimpe un peu à travers bois, mais l’essentiel est fait : une grosse centaine de kilomètres et Paris sera là. Le retour des arbres en passant par la forêt de Compiègne, marque aussi celui du terrain vallonné pour cette fin d’étape. Un cycliste me double, je le laisse filer. C’est que j’ai fait de la route, moi Môssieur ! Je m’arrête en milieu de montée, dans un dégagement providentiellement placé là pour mes fesses au supplice. Du coup, un deuxième cycliste passe. Encore un ! Bon, c’est aussi un peu normal que les gens se baladent pendant un week-end de pont, mais après un moment d’hésitation – et de fierté mal placée – je décide que trop c’est trop, et je lui emboîte le pas avec mon vieux VTT. Finalement, je le rejoins puis le double sans trop de difficulté, et j’arrive même à coller au train du premier. Le vélo est toujours vaillant, moi un peu moins, et je me sépare de mon prédécesseur pour aller pointer dans le centre-ville de Crépy-en-Valois, noir de monde en ce samedi après midi ensoleillé. Je me fais confirmer la direction à prendre auprès d’un autochtone du cru – d’un certain âge et très sympathique – et me voilà reparti après une petite pause contrôle et mille-feuilles.

Les deux dernières étapes de seulement 35km chacune – via Survilliers – me paraîtront longues, très longues, en raison du haut des cuisses qui se découpent sérieusement au contact du cuissard et de la selle, maintenant c’est limite gore… Et des erreurs de navigation qui me font parfois tourner en rond longuement dans le labyrinthe d’urbanisme francilien. C’est donc avec un grand soulagement, qu’après 720km je peux poser mon cul dans la capitale ; pardon, que j’arrive au Pied de Cochon, en pleine affluence. Mon accoutrement et mon état de fraîcheur, détonnent avec la clientèle Parisienne venue dîner le samedi soir ! Malgré les circonstances, le personnel est cependant très aimable – comme toujours d’ailleurs – et m’offre le café que j’ai commandé, pas forcément adapté à la chaleur de cette journée, mais qui m’aidera à tenir éveillé jusqu’au retour dans ma banlieue. Fin de l’aventure.

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