Le BRM 400 km de Montebourg – 16 juillet 2016

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Il y a des années que je n’avais pas été dans le Cotentin à vélo : 7 ou 8 ans. Il faut dire que c’est un coin de France qui forme un cul-de-sac, alors il n’y a aucune raison de s’y rendre… sans raison ! Mais comme j’aime bien aller dans les endroits où je n’ai justement rein à y faire, l’occasion était trop belle avec ce BRM 400. Après ma déroute sur le 1000 de Ménigoute où j’ai laissé quelques plumes à cause de la canicule, la Normandie devrait se montrer plus hospitalière point de vue climat, avec quelque chose de frais et de sympathique pour retrouver le plaisir de rouler.

Hasard ou pas, j’ai repris ma monture m’ayant servi sur le 1000 de Râches l’été dernier, un parcours avec une thématique 14-18, alors qu’ici elle sera deuxième guerre mondiale avec la Bataille de Normandie. Place donc aux gros pneus de la randonneuse 650B revue à ma sauce. Seul problème, je ne sais pas comment se comportera la selle qui m’avait tant torturé sur le dernier Paris-Brest-Paris. J’espère que les copieux graissages que je lui ai infligés cet hiver lui auront assoupli le caractère, mais sur 400km, je devrais pouvoir gérer. Un peu plus en fait, car je prends le dernier train, et descends à Bayeux à 23h, histoire de passer le temps en pédalant et ne pas trop attendre l’heure du départ. Je n’ai pas étudié le parcours, il suffit de remonter tout le long en suivant la N13… mais en l’évitant ! De toute façon je n’ai pas à me presser, je serais très largement arrivé pour 5h du matin.

Derrière les vitres du wagon, le temps passe et les nuages prennent des contours rosés. La Normandie est restée belle malgré mes années d’infidélité. SAM_9354Parfois, j’ai l’impression que ma vie entière se passe dans un train ou sur un vélo. La nuit s’installe doucement puis j’arrive à Bayeux. Les Lumières de la Liberté illuminent la cathédrale. Le clair de Lune est timide et pudique, caché derrière quelques filaments blancs. La douceur de l’air n’a rien à voir avec la chaleur de l’après-midi sur Paris. J’expérimente la sérénité. Le chuintement des gros pneus sur l’asphalte fait ressurgir des impressions lointaines, comme un dialogue murmuré. Cette sensation nocturne de douce humidité même quand le temps est sec, et puis les odeurs, végétales surtout, de toutes sortes. La Normandie n’est pas un pays, cette nuit c’est un rêve. SAM_9360Je tournicote sur la petite route ayant sans doute servi de grand axe avant l’élargissement de la N13, puis fini par me perdre, c’est l’avantage de la carte routière. Plus tard j’arrive à m’y retrouver, c’est l’avantage de ne pas être pressé. À Montebourg je trouve l’endroit du local. L’entrée est discrète. Derrière l’entrebâillement des lourdes portes, ma torche éclaire des vélos ; Stéphane notre organisateur ouvre un œil, c’est bien là. Je m’adosse contre un mur et ferme les yeux. Je n’ai pas sommeil, il n’y a plus qu’à attendre le départ.

SAM_9365Une trentaine de participants, pas mal d’Anglais, un petit-déjeuner pour se mettre en route, et c’est parti dans la fin de nuit. Départ groupé, je m’accroche au flot. La fraîcheur est agréable, nous atteignons la mer en une demi-heure. Le premier contrôle arrive vite en suivant les plages.

SAM_9386En repartant par l’intérieur des terres, les quelques petites bosses se passent sans difficulté. Je refais en sens inverse une partie du parcours de la nuit. L’énorme usine de la fromagerie d’Isigny Sainte-Mère est beaucoup moins impressionnante dans la lumière du jour. Nous roulons bien, le rythme s’accélère. Bien que ne reflétant pas grand-chose sous un ciel bosselé de nuages gris, la statue de « La Paix dans le Monde » en sortie de Grandcamp-Maisy apparaît grandiose du haut de sa vingtaine de mètres. SAM_9415Puis nous arrivons pour le pointage au niveau de la sculpture des Braves, plantée face à la mer dans le sable d’Omaha Beach. Je reste pensif devant le large éventail métallique déployé. Le contraste de la quiétude matinale et de la caresse des vagues, a quelque chose d’effrayant en imaginant ce qu’a pu être la fureur du débarquement. Le sang s’est-il enfoncé dans le sable, a-t-il imprégné chaque grain avant de retourner à la mer ; la paix n’est-elle pas constamment une chimère à reconquérir ?

SAM_9430Je repars seul, en mode promenade contemplative. Les nuages forment toujours un plissé ondulant à l’infini. Quelques petites bosses pour remonter sur les crêtes de la falaise se font sentir. Les panneaux limitant la vitesse à 70km/h pour l’été me font sourire, le tourisme est un tel fléau ça ne se discute pas ! La température monte. Je m’arrête pour admirer le panorama sur les hauteurs d’Arromanches. J’en profite pour faire le plein des bidons. SAM_9451Gold Beach est d’argent, le ciel est gris et la mer se confondent. L’entrée de Courseulles-sur-Mer est assez laide avec cet empilement d’appartements barrant la vue. Dans le village la circulation se fait dense pour un moment, avant de s’apaiser en retournant sur des routes plus calmes. Le lin fraîchement fauché, aux couleurs vives très agréables, est couché soigneusement dans les champs. Pegasus Bridges marque le retour des touristes. Les nuages se délitent et la température monte encore.

SAM_9474Je repars en empruntant la piste cyclable longeant les berges du Canal de Caen à la Mer. Dans l’eau, des rameurs agitent leurs pelles sous le regard métallique des grues alignées sur la berge d’en face. Comme prévu, je me perds dans Caen. Il faut dire que j’ai mélangé deux lignes en lisant la feuille de route, pourtant très bien faite ! Je cherche un rond-point à la place d’un pont, forcément ça marche moins bien. SAM_9489J’arrive à passer devant le centre des congrès, trouve presque le Zénith, mais ne déniche ni l’hippodrome ni rien d’autre. J’arrive à me débrouiller pour sortir de la ville par Louvigny, où il est alors facile de rejoindre l’itinéraire, moyennant plus de temps perdu que de kilomètres ! C’est maintenant tout droit, il n’y a plus qu’à suivre la D8 pour arriver à Aunay-sur-Audon en tout début d’après-midi.

En repartant, une longue bosse se profile en ligne droite. La première partie est une plaisanterie, mais la deuxième sera plus coriace. Les nuages ont totalement disparu. La température frôle les 30°C au-dessus du bitume, alors je me mets en mode économie d’énergie pour ne pas commettre un nouveau naufrage à cause de la chaleur. SAM_9521C’est ainsi que j’arrive tranquillement au pointage de Tilly-sur-Seulles. Devant les alignements de petites stèles inondées de soleil, de la même blancheur que les os qu’elles recouvrent, ailleurs la vie militaire est toujours aussi bien réglée, et ici rien ne dépasse, jusque dans la mort et le soin des pelouses.

SAM_9530C’est reparti, et un peu d’ombre lors des rares passages boisés me fait du bien. Je fais un nouveau plein d’eau à Sainte-Marguerite-d’Elle. Je m’aperçois que le soleil a commencé à attaquer ma peau : bien rougit du côté gauche, et juste une bonne mine de l’autre ! La droite a été protégée par les nuages du matin. C’est un phénomène que j’avais déjà expérimenté sur les Flèches de France :SAM_9549 à toujours aller dans la même direction, on ne se retrouve bronzé que d’un seul côté ! Nouvel égarement. Je ne prends pas la direction du port de Brévands, croyant en trouver une autre pour l’église, et après une déduction logique sur ma carte, j’arrive par l’autre côté. Le détour est minime…

Je ne sais pas si je repars dans le bon sens, mais mon chemin semble hasardeux pour rejoindre Carentan. Je ne reconnais rien, hésite dans le village à cause du curieux itinéraire vert pour Cherbourg semblant tourner en rond, puis en mettant bout à bout mes souvenirs de la nuit et du début de parcours, j’arrive à retrouver ma route. SAM_9565Le mannequin de John Steele, certainement le parachutiste le plus célèbre de Normandie, attend toujours qu’on le descende du clocher de Sainte-Mère-Église. Devant le cimetière allemand d’Orglandes, quelque chose doit m’échapper pour la question de pointage. La pancarte de présentation ne m’apprend rien, pas plus que le plan du cimetière, et les stèles des tombes ne me renseignent pas plus. L’allemand est une langue qui m’est totalement étrangère, alors combien de morts par tombe ? L’idée qu’ils se retrouvent à plusieurs est déjà bien curieuse !

SAM_9580Je poursuis ma traversée du Cotentin d’est en ouest en longeant des lieux-dits aux noms étranges comme Taillepied ou Le Créveuil, pour arriver en début de soirée à Portbail. Le village est plein de touristes attablés en terrasses. L’odeur de la vase est délicieuse. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai toujours trouvé cette odeur agréable. Celle de la vraie boue marine ; je trouve celle d’eau douce plus désagréable.

SAM_9589Demi-tour, je ne dois pas repartir par le rivage mais par les terres. Une nuée de camping-car est agglutinée à la sortie du village. Plus loin, la citadelle de Bricquebec a des faux airs de celle de Fougères. Sur la route, le soir s’installe au gré des bosses. La Lune est déjà bien haute avant la nuit. Dans la lumière déclinante, l’église de Sottevast est bien mise en valeur par son éclairage. SAM_9603Après Brix, je me concentre sur la feuille de route pour ne pas me perdre. L’approche de Cherbourg me semble laborieuse dans la pénombre, puis je me jette dans la ville et sa descente éclairée d’orange. La roue libre et ses cliquets gueulent dans le silence. Il faut maintenant y aller pour l’ascension de la Batterie du Roule. Elle me paraît terriblement haut perchée, mais les courts lacets sont très ludiques et le poids du vélo ne se fait même pas sentir. SAM_9608Un vrai petit délice nocturne où le panorama sur Cherbourg s’élargit à chaque virage. Une fois en haut, le panorama est complètement dégagé sur les lumières de la ville. Je cède à un moment contemplatif avant de redescendre.

Sur la piste cyclable pour s’extraire de Cherbourg, je dois rater quelque chose. Elle n’en finit pas et je ne suis pas sûr d’être toujours dans la bonne direction… finalement non ! C’est la dernière fois où je m’égare, puis parviens à retrouver la route du rivage. La mer est noire, et le clair de lune donne un ciel gris-bleu juste troublé par le balai des lumières rouges et blanches tournoyantes des phares.SAM_9609 L’étape est facile, les lumières de Cherbourg disparaissent progressivement dans mon dos. L’église de Barfleur trône de l’autre côté du port, petit joyau doré déposé dans la pénombre, lointain et majestueux.

C’est maintenant la dernière étape, une trentaine de kilomètres pour longer une dernière fois le littoral puis plonger dans les terres. Étrangement, je n’ai toujours pas sommeil. Je rejoins Montebourg. Je voyais le village plus petit, et je m’y perds un peu dans la nuit. J’en fais quasiment le tour, rien de grave ; ce brevet se termine, un excellent jeu de piste pour ne pas pédaler idiot !

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Une réflexion sur « Le BRM 400 km de Montebourg – 16 juillet 2016 »

  1. Bonjour Patrick ,
    Superbement bien écrit , ton CR nous montre que tu ne pédales pas idiot , tu observes beaucoup.
    Ah ! comme j’envie ta résistance au sommeil , moi qui souffre toujours la 2ème nuit (dans le 1000 de Ménigoute , je me suis endormi sur le vélo et me suis retrouvé dans le fossé …)
    Tu ne dis rien sur la selle à l’arrivée , je suppose que tu n’as pas trop souffert de ce côté.
    Bonne continuation dans ta saison 2016 et continue de nous régaler avec tes CR.
    Amicalement.
    Henri

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