BCN et BPF : Limousin – 87 Haute-Vienne

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Kilomètres réalisés : 10230
Provinces BPF validées : 17
Départements BCN validés : 37

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Il y a quelques jours, il a neigé sur la Corrèze. J’ai eu le nez assez creux pour y être passé une bonne quinzaine auparavant. La Haute-Vienne, deuxième et dernière partie de cette province du Limousin, culmine à deux fois moins d’altitude. Alors pas trop de risques de se faire surprendre par les flocons, en principe. Dernière ballade de l’année, peut-être bien. Pour rester dans l’ambiance des BCN / BPF précédents, j’ai réussi à dénicher un petit col en traçant ce parcours : le Col de la Roche. Un circuit, donc, avec encore un bon dénivelé – 3500m pour 250km – même s’il est plus calme que ceux du Vaucluse, de l’Allier ou de la Corrèze. Mais ne reculant devant rien, cette fois je reprends ma tente, car j’ai aussi trouvé un camping ouvert à l’année pour l’escale de Châteauponsac ! Nous sommes fin novembre, et alors ? Une année à finir, une dernière balade pour cette province du Limousin, pour ne pas en laisser un bout pour l’année prochaine. Toujours achever ce qu’on a entamé. Besoin de trouver du sens à ces brevets où l’on peut s’éparpiller facilement sur tout le territoire. Y aller département par département, province par province. Une ethnique de la route ; ne pas piocher les pointages à droite à gauche, y aller franchement, d’un coup, ne pas chipoter sur les contrôles l’air de ne pas y toucher. Une approche sans doute trop puriste… Allez, demain j’y vais. En manque de sommeil, je fuis Paname encore recouvert du plomb de la nuit – à tous points de vue – teinte oxydée comme pesanteur affichée, la capitale manque de vie. La gare d’Austerlitz est encore endormie. Premier train pourtant. Premiers voyageurs sporadiques aussi. Coup de sifflet, fracas des portes qui se referment, instants de fuite sans lieux précis. Puis le jour revient – ballotté sur les rails – une des rares certitudes du quotidien. Le soleil traîne, frileux, emmitouflé sur l’horizon, à la lisière de deux mondes : un qui renaît à la clarté, l’autre qui plonge dans l’obscurité. Une poudre blanche règne sur les champs gelés. D’ici, la journée promet d’être belle… Mais je vais ailleurs ! Après Châteauroux et sa gare, le paysage se vallonne tandis qu’une chape de gris remplace le ciel bleu de l’aube. En Creuse sans doute ; sans bruit, sans tapage, sans le clamer sur les réseaux sociaux ; la Nature reprend ses droits. Des arbres poussent dans le ballast, entre les deux lignes de fer d’une voie abandonnée, chemin parallèle que nous longeons. Cette image de renaissance automnale est d’une bouleversante poésie, presque un oxymore visuel : vigueur des jeunes troncs jaillissant de la caillasse, alors qu’une vie ocre et rousse s’apprête à quitter les branches. Une minute trop furtive. Puis l’arrivée à Limoges. Si en route je maintiens une allure plus rapide que les nuages, je devrais échapper à la pluie. Promesse de la météo… Pour ce que ça vaut !

Milieu de matinée, c’est parti. Quand on traverse une grande ville à vélo, le temps de quitter le tissu urbain se fait long, laisse facilement une impression laborieuse et tentaculaire, le sentiment d’être pris dans les griffes d’une bête, d’un organisme prodigieux. Curieusement, Limoges ne me fait pas cet effet, même si j’ai hâte de me retrouver en campagne, où le monde a une moindre densité d’artificiel ; où la Nature peut survivre à moins de ravages, où les outrages se font plus discrets. Le ciel bien bouché promet de la flotte à tout moment, mais le temps se maintient. La coupure avec l’univers urbain est nette et je m’en échappe par une douce montée continue jusqu’à Isle, avant de laisser glisser vers Aixe-sur-Vienne. La moitié de cette première étape est vite avalée. À partir de là, le crachin se met à tomber sur la prairie, et le ton est donné pour un circuit bosselé. Je cueille quelques petites pommes du chemin à partager avec les vers. Partager ; un terme de plus en plus étranger au vocabulaire humain, qui lui préfère tant celui de dominer. La fin d’automne a fini par laisser un goût sucré aux fruits sauvages. Je passe par le petit village de Gorre ; m’en fous, Halloween est passé… Mais quand même, je le traverse par la D699 et sors du bourg par la D66 – ça ne s’invente pas – on n’est pas loin du 666 du diable, du Nombre de la Bête ! N’empêche, c’est troublant, non ? Puis j’arrive bientôt sur la voie verte des Hauts de Tardoire, pour terminer cette étape tranquille où le contrôle de Châlus se présente par son ancienne gare.

Midi passé, la pluie fine s’épuise, pas vraiment de vie en traversant le village. Les vestiges de la forteresse de Maulmont semblent étouffés par le reste du bourg, les murailles plantées sans transition dans le goudron, comme si le monde moderne n’avait que faire de cet archaïsme. Je repars par la route Richard Cœur de Lion en belle montée continue, puis une longue descente me mène jusqu’à Les Cars, aux ruines de son château et à sa Lanterne des Morts… à deux pas de la maison de retraite ! Les bosses deviennent ensuite plus répétées mais plus calmes, dans cette courte étape qui s’achève à Nexon.

Je quitte la route Richard Cœur de Lion après Saint-Jean-Ligoure. Le village au nom étrange de Pierre-Buffière – comme un personnage en tant que tel, pourquoi pas un héros de roman – m’attend blotti au fond de la vallée de la Briance, qu’il faut remonter par une belle butte en direction de Saint-Hilaire-Bonneval. Avant de retrouver sa tranquillité et son anonymat, ce village caché au creux de sa cuvette était jadis synonyme de gros bouchons sur la N20, hésitant aujourd’hui de toute façon entre route fantôme démembrée et autoroute fade… L’étape monte, ondule, descend et se cabre, comme si je cheminais sur l’échine d’un formidable dragon endormi sous cette terre limousine. Saint-Léonard-de-Noblat se présente au loin sur la plaine, après une fin d’étape en descente depuis Eybouleuf.

Je connais le village, auquel j’accède par des faubourgs tristes en montée. J’y suis déjà passé plusieurs fois, notamment sur le cycle des Flèches de France. Je l’ai toujours perçu comme un site en déshérence, malgré sa taille de vraie petite ville. Même si l’espace public du cœur du centre bourg a été rénové, je garde encore cette impression. Les commerces fermés en attente de leur réouverture de l’après-midi et la météo morose n’aident pas non plus à percevoir vie et gaieté. Bref, je ne m’attarde pas trop. Il reste déjà si peu de clarté à cette courte journée d’automne. Après Le Châtenet-en-Dognon, le panorama se dégage sur une barre de monts gris-bleu se levant à l’horizon, puis je me laisse glisser dans la bonne descente menant au pont du Dognon… que je trouve barré. Et merde ! Pas envie de remonter la longue pente, pas envie de faire un détour pas possible, car dans le coin les ponts traversant le Taurion ne se bousculent pas ! Surtout, pas le temps d’arriver pour pointer au camping de Châteauponsac, si je commence à rebrousser chemin. D’accord, il faut bien rafistoler le vieux pont en béton et ses arches fragilisées par des abrutis en camions se croyant plus malins que les limitations de hauteur ; mais bon, fallait prévenir avant, bordel ! La route est barrée, grillagée, bâchée, échafaudée, interdite quoi ; mais il ne vous arrive donc jamais de passer outre les règles ? Je regarde à droite, à gauche, j’observe. Pas facile avec la pénombre qui monte. Pas un bruit, pas d’ouvriers. Ils ont dû lever le camp avec le jour déclinant. Le tablier du pont n’a pas l’air déposé, il doit être possible de se couler au milieu de toute cette ferraille de soutien. Un pêcheur sur l’autre rive n’a pas encore replié son barda. J’hésite, mais il faut y aller. Je saute la barrière, essaie de ne pas tomber dans la flotte, le vélo à bout de bras. Pas beaucoup de place. Moment de suspense, ça passe tout juste. Les godasses cales aux pieds ne sont pas faites pour les jeux d’équilibre. Je m’engouffre sous la bâche comme au théâtre derrière le rideau rouge. Pas d’artistes, les coulisses sont en bordel. De la ferraille est déployée partout. Pas de quoi faire passer bonhomme et vélo, il faut choisir. Le guidon a à peine la largeur de se faufiler. Ça frotte sur les échafaudages. À l’autre bout, rebelote : ne pas finir dans la flotte ! Les berges sont escarpées, le bord plutôt dans le vide, brutal… Nouvel équilibre instable, de nouveau pas très fier. Et dire que j’ai le vertige, alors qu’est-ce que je fous là ? Finalement je m’en sors pas trop mal, le pêcheur impassible est tout à ses cannes. Je me demande ce qu’il peut bien y voir dans ce crépuscule devenu dense. Je remonte la berge. Moi qui voulais passer – sans attendre la fin des travaux dans six mois – ce n’est pas le moment de râler parce qu’il y a une montée de plus. Il n’est pas si tard et la nuit s’installe doucement. Des voiles de mariées ressortent de l’obscurité, flottent au vent sur les arbres des vergers. Sur l’horizon, se détachent en dentelles noires sur bleu marine, les Monts d’Ambazac. Le crachin perdu de vue depuis ce matin se remet à tomber. Tout va bien, je passe par l’Ange Gardien. Le nom du hameau me fait sourire, mais bon, puisque je n’ai pas fini à la flotte au pont du Dognon… L’église de La Jonchère-Saint-Maurice apporte un peu de lumière dans ce monde de ténèbres trempées. Noyé au milieu des petites côtes ordinaires, j’atteins le sommet du modeste Col de la Roche sous une pluie devenue bien drue. La saucée n’en finit pas. À l’entrée de Bersac-sur-Rivalier, un TER arrive dans la petite gare. Envie d’y monter, de me soustraire à la nuit, à la pluie pour quelques instants. Pour sécher, pour m’avancer. Le train s’arrête dans un grincement de frein. Mais non, ce serait trop simple ; tricher quelque part. J’aurais peut-être dû, car je déambule dans le village jusqu’à me perdre. Ça n’a pas l’air bien compliqué sur la carte, mais je ne trouve pas cette putain de route dans le bon sens. Pourtant il y en a plusieurs de directions Bessines-sur-Gartempe, mais pas celle que je veux… Où alors mon itinéraire est foireux. Plus tard, dans un trou perdu au milieu des ténèbres, un clébard gueule, me colle aux basques. J’hurle plus fort que lui. Faut pas venir m’emmerder quand je suis paumé, la nuit, dans le froid, quand le temps me manque et que je vais rater mon point de chute et la promesse d’une bonne douche chaude, et quand le déluge s’éternise sur ma tête surtout. Bifurcation. Je ne sais pas trop quelle direction choisir. Une chance sur deux. Je suis attiré par les réverbères d’un bourg tout proche. Me voilà papillon de nuit épris d’une lueur. Puis cette croix de pierre en bord de route me dit quelque chose. Plus loin, cela devient une évidence : je suis passé par ici dans l’autre sens. Demi-tour. Je retraverse ce gros hameau mystérieux. Pas d’aboiement. Me revoilà, en bout de ligne droite en pente, à la fameuse bifurcation. Je sais maintenant quelle direction n’est pas la bonne, mais l’autre sera-t-elle mieux ? Le chien m’attend là, dans les fourrés, au croisement. Je tourne en rond, mais lui aussi a fait son chemin, plus rectiligne que le mien. Ses yeux brillent dans la lumière des torches. Tu vas voir connard… où corniaud si vous voulez être plus poli. À mon approche, la bestiole détale en couinant, se rappelant sans doute comment je l’ai engueulé tout à l’heure. Miracle, je retombe sur la route de Bessines-sur-Gartempe… reste à savoir si je suis dans le bon sens, et c’est une autre affaire ! Une putain de joie m’envahit quand j’aperçois un panneau d’entrée de village… qui est celui que j’espérais. Je vous l’accorde, il y a d’autres plaisirs nocturnes, mais ce soir celui-là me suffit ! Le profil de la route s’assagit, et je peux accélérer dans les grands bouts droits pour arriver à mon camping de Châteauponsac à 1/4h de la fermeture. Deuxième plaisir simple. Le troisième sera la douche, pourvu qu’elle soit chaude…

Sur place, l’accueil est chaleureux, le tenancier à peine surpris de voir un mec dégoulinant de flotte venir camper à vélo en fin d’année. J’ai de la place, de l’espace rien que pour moi, et ma tente sur l’herbe mouillée au milieu. Vu la saison, vous pensez bien… La totalité du terrain à partager avec deux Anglais en camping-car. J’ai les pieds trempés. Sur-chaussures étanches, mon cul ! Alors les chaussettes passent sous la douche avec le bonhomme. Au point où elles sont, quitte à rester mouillées autant qu’elles soient propres. Je m’enfonce tout habillé dans mon duvet et au dodo. Toute la nuit j’aurai froid aux pieds. Ben oui, fin novembre ambiance rustique quand même ! Sommeil pas si mauvais malgré tout… Malgré l’âne, surtout ! Dès 4h du mat’, la bourrique se prend pour le coq du village, se mettant à braire comme un damné toutes les heures. Faudrait lui dire qu’il n’a pas le physique. Si je le croise en repartant, je lui dirai. À six heures, ras-le-bol ; j’étudie la possibilité encore nocturne, humide et à vrai dire pas très motivante, de repartir. Au matin, j’ai les pieds toujours aussi mouillés. Les chaussettes ont imbibé le sac de couchage, maintenant trempé en bas, mais n’ont pas séché, ni par le contact du duvet ni par la chaleur corporelle. Et merde, mes orteils vont geler en route ! Retour vers le centre-ville pour rattraper le parcours prévu. En guise d’échauffement, je remonte la petite butte que j’avais descendue hier soir. La pluie s’est arrêtée. La route luisante dégorge sa flotte sous l’éclairage public du bourg, puis les ténèbres reprennent leur part d’éternité. Grands bouts droits à travers la plaine, direction Le Dorat. 20km, un saut de puce pour se réveiller, un chemin pas trop bosselé.

Comme mon pote l’âne de Châteauponsac ne m’a pas apporté les croissants, je fais tamponner ma carte de pointage dans une boulangerie, au petit jour, et engloutis mon p’tit déj’ en déambulant autour de la collégiale Saint-Pierre. Un peu sévère la grosse église, mais le granit ça en impose sur un bâtiment proche des 80m de long ! Le soleil se lève, dégageant un ciel bleu attendu hier après-midi. Des nuages filandreux sont là pour casser la monotonie. Les prévisions météo sont toujours bonnes… à condition de savoir remettre les jours dans l’ordre ! Pour éviter les grands axes, je roule encore un peu cap au nord-ouest avant d’obliquer plein sud. En chemin vers Saint-Sornin-la-Marche, la route est toute boueuse, dégueulasse. Ici on sème du vent ; des éoliennes vont bientôt sortir de terre. En attendant, je traverse la Gartempe. Au-dessus de son lit, le soleil encore bas avive les teintes automnales. Des légers filets de brume courent sur l’eau de la rivière. Après un début d’étape assez plat, la remontée se fait en pente douce, cachant un raidillon à 9-10 % menant à Peyrat-de-Bellac. Après la petite ville de Bellac grouillante de vie en milieu de matinée, je retourne vite à la campagne. Au loin, la barre des Monts de Blond relève l’horizon. Il me faudra les traverser pour rejoindre Cieux, mais avoir à grimper pour atteindre – les – Cieux, quoi de plus normal ? Montagne d’opérette mais pas tant que ça, car des avions s’y sont laissés surprendre par mauvais temps. Lieu de mystères et pays de sorciers dissimulant mégalithes et chaos rocheux, ce massif du Haut-Limousin est porteur de bien des légendes.

Le dernier pointage est fait. Il me reste à rejoindre la gare de Limoges. Mais faire le tour de la Haute-Vienne et ne pas passer par Oradour-sur-Glane tout proche ? Le village martyr mérite un petit détour. Devoir de mémoire, comme cette expression est laide. Devoir quelque chose, faire son devoir, comme s’il y avait une obligation. Comme si ça n’allait pas de soi d’être affligé par l’absurdité de la guerre, de toutes les guerres ; par ce besoin de massacres afin que les Peuples redeviennent amis. Et puis la mémoire ne se maîtrise pas, elle fluctue. Et au bout de la mémoire il y a toujours l’oubli, et alors qu’en fait-on ? La barbarie devient-elle excusable ? Absoute, dissoute ? La part d’humanité ne devrait pas être un devoir, elle devrait être naturelle… Je n’avais pas prévu que le site soit entièrement clôturé. Je pensais le visiter vélo à la main. Impossible. Je n’avais pas imaginé que l’on puisse tenir enfermé un tel témoignage ! Comme un Disneyland, mais gratuit. Choquant. Enferme-t-on les plages du débarquement et les alignements de croix blanches ? De l’autre côté de la grille d’entrée, du digicode et des barreaux, tout semble apaisé, irréel. Des promeneurs se baladent, le pas léger, comme pour une promenade insouciante du dimanche matin… Tant pis, je reprends la route. Je ne pensais pas non plus le village ravagé si étendu. Je longe le mur d’enceinte. Sentiment persistant d’irréalité. Des vaches broutent tranquilles à deux pas des façades crevées ouvertes aux caprices du vent, sans rien remarquer. Comme probablement toutes ces bagnoles qui passent par-là à longueur d’année. Comment vivre là, blasé ? Étrange… Je me remets en route vers Limoges. En chemin, deux hameaux l’un sur l’autre, résument bien ce circuit : La Côte et Les Quatre Vents. Je m’approche doucement de la périphérie de Limoges. Des vaches, encore, broutent comme si de rien n’était en bout des pistes de l’aéroport. Retourner dans la grande ville est plus compliqué que d’en partir. Les indications que j’ai notées sur ma carte de route sont suffisantes, et je finis par retrouver la gare en début d’après-midi. Le bâtiment ressemble à un phare échoué en pleine terre, vaisseau de pierre Art déco monté sur pilotis, enjambant les séries de rails parallèles, dont une paire me ramènera vers Paris.

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