BCN et BPF : Normandie – 27 Eure & 61 Orne & 76 Seine-Maritime

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Kilomètres réalisés : 4525
Provinces BPF validées : 6
Départements BCN validés : 19

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La Normandie est souvent vallonnée, parfois casse-pattes, je le sais, et je lui dois quelques-unes de mes plus mémorables tendinites. Bon, d’accord, je ne m’attaque pas encore aux départements les plus ardus de la région, mais avec tout de même un beau triplé – dans l’ordre : Eure, Seine-Maritime et Orne – au programme de cette sortie, il faudra néanmoins s’économiser en évitant les trop-pleins d’optimisme. Comme je n’ai pas le droit de pointer de nuit sur ces BCN / BPF, j’emporte de quoi camper léger, en me méfiant des pauses trop longues que mes genoux ont toujours du mal à supporter. Le départ prévu de la gare de Gaillon, mais en raison des grèves, je pars des Andelys.

Début de pont, samedi 5 mai à l’aube, pas grand-chose d’ouvert aux Andelys. Tant pis, je pointerai à mon retour. Cap au nord. Je quitte la ville par une montée en pente douce jusqu’à Écouis. Rien d’extraordinaire, mais j’entre tout de suite dans le vif du sujet. Vif comme le fond de l’air. Cinq degrés sont affichés au thermomètre, le vent est léger, le soleil naissant a le visage d’une grosse orange lisse et brillante. Les oiseaux gazouillent, un léger brouillard règne sur la vallée. La nature est à la bonne place, une belle rosée diamantaire irise l’herbe des bas-côtés. Une voiture solitaire me double dans la forêt, et j’arrive à Lyons-la-Forêt par une belle descente. Le village semble encore endormi. Sans la foule que je lui connais, le petit bourg semble beaucoup plus joli. Premier pointage à la boulangerie. La patronne me reconnaît… Naturellement, pas moi ! « C’est vous que j’ai doublé tout à l’heure dans la côte ? » À vrai dire, des cyclistes matinaux il n’y en a peut-être pas mille dans le coin, mais pour moi, toutes les bagnoles se ressemblent, et surtout, je ne vois pas forcément la tête de leurs occupants ; puis je me rends compte que je n’ai été doublé qu’une seule fois, alors oui, elle doit avoir raison : c’est bien moi !

Après la bosse pour s’extraire du village, l’approche de Le Tronquet me surprend… par sa platitude. Mais bon, ça ne va pas durer éternellement ! Puis je passe déjà dans le département d’à-côté : la Seine-Maritime. Un petit air de vacances, un goût d’été, contrairement à son nom de jadis utilisé jusque dans les années cinquante : Seine-Inférieure, à l’imaginaire plus étriqué ! Les bosses sont longues et agréables, très bien comme hors-d’œuvre, et Gaillefontaine n’est pas si loin.

Je vire à l’ouest, le petit vent se fait plus coopératif, moins bavard à mes oreilles. Le ciel est d’un grand bleu de mer sans écume d’aucune vague. Autrement dit : pas un nuage où que porte le regard, et ce sera le cas d’au moins tout ce week-end. Les pavés du centre-ville de Neufchâtel-en-Bray sont rugueux sous le guidon, sous les roues aussi. Je préfère définitivement de la ville, le moelleux de son fromage cordiforme. À ce moment-là, je ne me suis pas encore rendu compte que les secousses viennent d’achever mes roulements de direction, mis à mal par tous les trous de ma sortie Orléanaise d’il y a une quinzaine de jours. La chaleur monte et mes bidons se vident. Je profite de l’eau des toilettes de Bures-en-Bray pour un débarbouillage, et surtout contre ma soif ; puis je rejoins l’Avenue Verte, itinéraire tranquille créé sur les vestiges d’une petite ligne SNCF abandonnée. Le chemin devient plus brouillon sur la fin, et arrive directement dans le centre-ville d’Arques-la-Bataille, sans un panneau et sans être certain d’y être déjà ! C’est le moment de pointer dans la fin de matinée, et dans un village grouillant d’activité.

En ressortant de la bourgade, j’attaque une bonne montée. Deux autres seront plus faciles après Ouville-la-Rivière et Le Bourg-Dun. En début d’après-midi et malgré les 22°C, la senteur et la fraîcheur de l’air indiquent un rivage qui se devine tout proche. J’arrive à Saint-Valery-en-Caux. Des touristes en quantités raisonnables, la vue sur mer, l’appel d’ailleurs distillé par les mouettes criardes, le vent, son odeur ; tout donne au petit port une ambiance tranquille de vacances.

Nouvelle petite montée pour s’extraire de la ville. Au-delà des champs en direction de la mer, dans une trouée du paysage, apparaissent les quatre dômes de la centrale nucléaire de Paluel. C’est le retour d’une étape bien vallonnée. Le sel étant plus utile à la mer qu’à ma peau, je profite des toilettes publiques de Sassetot-le-Mauconduit pour m’en débarrasser dans ce chaud après-midi. En traversant Fécamp, je ne m’égare pas dans le centre-ville grâce à l’itinéraire que j’avais préparé. À Bénouville, je me rapproche du rivage, mais il restera invisible. L’iode revient à mes narines, porté par le vent dont le souffle de travers beugle à mes oreilles. J’arrive à Étretat littéralement prise d’assaut par les déferlements de touristes. Le centre comme le bord de mer sont fiévreux. Je ne m’attarde pas, pointe rapidement, et fuis la ville au plus vite !

Je vire au sud-est. Pour sortir d’Étretat, j’affronte une nouvelle belle bosse de début d’étape, puis le profil de la route s’assagit progressivement pour redevenir à peu près plat. Je me remets dans l’ambiance de la balade, et la fin de l’après-midi s’écoule paisible. Le cimetière de Nointot m’offre son eau, tandis que bientôt je suis assailli pas des flots de moucherons. Les météorites vivantes semblent avides de viser les yeux, et sans lunettes de sport, je plaque ma monture ordinaire sur le front, et plisse les paupières en protection illusoire… Et pourtant ça fonctionne ! Après Grandcamp et son église à l’austère clocher tout en pierre, je retrouve la fraîcheur – curieusement sans insectes – en rentrant dans la forêt. Le début de soirée se profile quand j’arrive pour pointer à Caudebec-en-Caux. En ressortant du village, jadis connu pour ses chantiers aéronautiques, je passe devant le monument de béton érigé en l’honneur de la tentative de sauvetage tragique du Latham 47, hydravion abîmé avec ses hommes dans l’océan arctique. Le pont de Brotonne se dresse dans son gigantisme le faisant croire tout près. En apparence une plateforme, quelques piquets et des bouts de ficelle. Rien de bien compliqué dans le principe, mais quelle hauteur : cinquante mètres sous le tablier pour permettre la remontée du fleuve par de grands voiliers.

Je repars vite pour profiter du jour et pouvoir pointer à Jumièges. L’étape est courte, plate, roulante ; la D982 pas si passante, et Le Tait une ville s’étalant toute en longueur. J’arrive à Jumièges dominé par les ruines de son ancienne abbaye. Dix minutes trop tard pour prendre le dernier bac. Il vient de décharger son ultime voiture, et regagne son ponton d’attache pour la nuit. Je pourrais faire un détour d’une petite trentaine de kilomètres et passer par le pont de Brotonne, mais préfère comme un gosse, traverser le lendemain matin sur cette espèce de gros jouet, cette sorte de crabe rouge qui semble glisser si facilement sur l’eau. Première rotation à six heures du matin, pour un aller-retour toutes les vingt minutes. La rive d’en face n’est pas si loin, on s’imaginerait presque la rejoindre en quelques enjambées, et la nuit va bientôt tomber. Je fais escale dans les toilettes publiques et profite du temps dont je dispose pour me faire un décrassage complet à l’eau froide. La nuit passe, douce, la lune en une moitié de fruit blanc entourée de quelques éclats scintillants. La silhouette des vestiges de l’abbaye joue joliment les ombres chinoises dans le village éclairé.

P’tit déj vite fait à la tarte à la rhubarbe achetée la veille, et je retourne sur les berges. Heurteauville attend sur la rive d’en face, sagement éclairée, patiente avant la venue de l’aube, dans le calme frais du dimanche matin. Les oiseaux pérorent comme des commères. Tant de choses à raconter de bon matin, six heures donc, un poil plus en fait. Certainement pour laisser une marge de sécurité avec la grosse embarcation qui vient de remonter la Seine, et manœuvrer plus facilement sans se trouver dans le sillage de ses remous. Le bac quitte son ponton. Il se présente en crabe avec une aisance et une précision remarquables sur le quai d’embarquement. Rien que pour moi, seul passager. Je fais attention de ne pas glisser avec mes cales au pied. J’adosse le vélo à la carcasse métallique, et tout va très vite. La traversée est courte, et le bac accoste avec la même simplicité apparente qu’il y a à peine quelques minutes sur l’autre berge. J’ai eu mon petit plaisir simple que je n’aurais pas pu avoir en me détournant par le pont de Brotonne, et c’est parti pour une journée à pédaler. Je remonte doucement la côte pour regagner le grand axe depuis la berge encaissée. Bientôt je quitte la Seine-Maritime pour retourner dans l’Eure. Tout doucement, me crient une paire de jambes qui éprouve bien des difficultés à se remettre en route tandis que j’arpente la forêt. Début de dimanche bien fragile. Revenu à ciel ouvert, l’église de Bourg-Achard est enveloppée d’échafaudages le temps de se refaire une beauté. Dans mon dos, le jour se lève dans une brume dorée. Mes mollets se réhabituent à l’effort sans trop se plaindre ; finalement. Je peux vite regagner ma vitesse de croisière. L’étape est facile, plate, sauf la belle cuvette pour accéder au Montmal… et la remonter surtout ; d’où son nom peut-être ? En récompense, Brionne se présente dans une belle descente.

En repartant, le viaduc autoroutier de la Risle étale son gigantisme dans la vallée. Je m’approche et il grandit encore. Je passe en dessous. Petit, tout petit ; si petit et si lent pour tous les passagers qui y transitent sans réfléchir à la vie qui l’effleure au-dessous. À Nassandres une affiche flotte au vent, proteste contre les existences incertaines, en suspend, qu’elle défend contre ce mot froid et laid : licenciement, devenu unique Saint-Graal et solution de facilité de tout management cynique et paresseux. À quelques pas de là, insouciants, c’est tournoi de foot du dimanche matin pour les enfants. J’arrive à Beaumont-le-Roger au terme d’une étape plate. Les ruines du prieuré à l’histoire mouvementée sont en cours de restauration, et je profite des dattes et bananes de l’épicier d’à-côté pour combler un petit creux, et moi aussi… me restaurer !

Je reprends la route par des grands bouts droits en forêt, puis la route devient moins rectiligne, se bosselle et gagne en virages, mais toujours largement au milieu des arbres, entre Forêt de Beaumont et Forêt de Conches. C’est ainsi que j’arrive à Conches-en-Ouches en fin de matinée ; dimanche, jour de marché. Les ruines du donjon paraissent toutes étriquées, étouffées par les bâtiments municipaux, plantées comme un décor de carton-pâte agrémentant la pelouse du jardin.

Après un petit tour en ville, je retraverse la Forêt de Conches dans l’autre sens, direction sud-ouest, m’offrant une ombre bienvenue. Après La Vieille-Lyre, je progresse en terrain découvert. Le soleil commence à taper fort. La température frôle la trentaine de degrés, et la route se vallonne à nouveau. L’église de Bois-Normand, toute de briques rouges offre une singularité dans le paysage de ce circuit, tout comme en sortie de village son Christ sur croix, planté dans un château miniature ressemblant presque à une construction enfantine. À Échauffour, je flâne un peu dans le village. Je sais, c’est facile, mais il fait chaud comme dans… un four ! Je suis intrigué par l’église. Son Saint en vitrine, les boyaux à l’air ; à deux pas, la statue de Paul Harel, poète normand et aubergiste sans chichi qui a conté sa terre et son amour des choses simples, à l’image de ces quelques vers :

« Là-bas du grand soleil tombé je vois la flamme
Séteindre et fuir. Le soir est loin, comme ton âme,
Comme ton cœur si tôt perdu, comme tes yeux.
La ligne de la terre à la frange des cieux
Touche, c’est un baiser de deux lèvres unies. »

Cette partie du parcours révèle de belles bosses. Le Merlerault exhibe sa mairie pharaonique pour un petit millier d’habitants. Je passe par Macé, et j’en aurais bien besoin d’être Macé, sans jeu de mots stupide cette fois, car je m’aperçois que mes billes du jeu de direction ont rendu l’âme et explique mes trajectoires approximatives en descente et mes douleurs aux mains et épaules à forcer sur un guidon qui veut désespérément n’aller qu’en ligne droite. Au titre des autres petits soucis physiques, les patins de marche de mes nouvelles chaussures se sont déjà bien usés. Je n’avais pas encore pris le temps de les refaire, et à force de marcher pour pointer ou fureter à droite à gauche – les orteils nettement en l’air à cause des cales – je me suis provoqué un début de tendinite. Bonne nouvelle, mes genoux souvent capricieux se font oublier depuis leur rencontre forcée avec une borne en béton il y a deux semaines sur mon tour de l’Orléanais. Je suis à quelques kilomètres de Sées que je verrais la nuit prochaine, et plus très loin du prochain pointage de Mortrée, le premier du département de l’Orne.

Un Perrier-menthe me fait le plus grand bien dans la chaleur de l’après-midi. La patronne du bar à l’habitude des « cyclistes aux tampons » et me le propose spontanément pour mon carton violet. Je passe par Saint-Christophe(-le-Jajolet), le vrai, le saint protecteur des voyageurs ; alors un peu d’aide divine ne peut pas me faire de mal. Je traverse mon premier champ d’éolienne vers Écouché. Signe rassurant du retour en plaine ou présence d’un couloir de vent ? Les engins tournent bien, ronronnant à rythme régulier. Finalement, l’étape restera vallonnée ; et le vent, bien présent, ne sera pas si gênant. J’entre dans Putanges par une belle descente que je crains déjà d’avoir à regrimper ensuite.

Je quitte effectivement la ville par une longue montée jusqu’à Fromentel qui me fera gagner près d’une centaine de mètres de dénivelé. À l’approche de Le Grais, j’arrive à doubler un tracteur, chose de plus en plus rare depuis que ces engins sont devenus des monstres de technologie, à tous points de vue… Et bien entendu à la faveur d’une descente ! À l’approche de La Ferté-Macé, un petit avion monoplace est échoué dans un jardin. Drôle de décoration ou d’endroit pour le réparer, mais s’il doit y ressortir un jour, je ne sais pas comment il fera ! Malgré sa taille, je traverse le gros bourg en coup de vent, il faut dire tout en déclivité dans ce sens. Encore une étape vallonnée qui m’amène vers la fin de l’après-midi à Bagnoles-de-l’Orne. Les touristes sont encore en nombre, mais l’ambiance de la petite ville reste très agréable.

Je flâne un peu sans trop m’attarder, afin d’essayer de pointer à Carrouges avant la fin du jour. La fraîcheur de la forêt me fait du bien, mais la Route Forestière de Cossé n’est pas toute plate, avec la surprise d’une bosse jusqu’à 10 %. Je fais une petite incursion dans la Mayenne en passant par Lignières-Orgères, et au terme d’une étape encore bien vallonnée, j’aperçois le château de Carrouges en début de soirée. Dernier pointage du jour, je ne peux pas pousser plus loin pour aujourd’hui. Derrière l’église, je retrouve la voiture de Starsky et Hutch, si, si, la vraie ; je vous jure ! Bon, peut-être pas tout à fait, mais on y croit… Surtout de loin. Je traîne un peu dans le village, mon tibia me fait mal, le prochain pointage de Soligny-la-Trappe est à une soixantaine de kilomètres. Trop peu pour m’occuper à rouler cette nuit, trop loin pour y pointer avant que la nuit ne tombe. Je pourrais m’avancer et déplier discrètement en forêt la tente légère que je trimbale depuis cinq cents kilomètres sans m’en servir, mais je ne sais pas pourquoi, je n’en ai pas envie. Au lieu de cela, je plante le camp en sortie de bourg, caché derrière les bosquets entourant le pylône de télécommunication. L’installation ronronne doucement pendant que je fais ma toilette avec une dosette de savon liquide et le bidon que j’avais – par précaution – rempli à l’eau claire au cimetière de Le Grais. À lui seul, le sentiment de propreté me fait déjà beaucoup de bien. J’inonde le bas de mon tibia de crème anti-inflammatoire, en espérant un miracle au moment de repartir.

Réveil en milieu de nuit. Je replie le camp et repars tranquillement en comprenant bientôt pourquoi mon instinct me disait de ne pas m’arrêter dans cette forêt que je traverse maintenant : il n’y règne aucun bruit à part de loin en loin quelques rares coassements et de discrets clapotis. Aucun chant d’oiseau, aucun bruissement dans les sous-bois, aucun œil ne brille pris par surprise dans la lumière de mes torches, aucune présence ne semble m’observer à l’abri des feuillages. Rien, comme si cette nuit au moins, la forêt était vide de vie. Étrange ! Même la lune boude le ciel pourtant étoilé, noir, si noir. Je progresse doucement dans les longs bouts droits, dont les faux plats ascendants et descendants semblent s’étaler sur plusieurs kilomètres. Je ne force pas, pour ne pas réveiller cette tendinite qui pour l’instant se tient à distance. Revenu à découvert, la silhouette de la cathédrale de Sées se devine dans le lointain, incertaine, faiblement éclairée, brun carmin. Je dispose d’un peu de temps dans la nuit, alors je m’attarde parmi les vieilles pierres, et en ressortant de la ville, une belle grosse demi-lune rousse s’est levée droit devant moi… mais n’éclaire pourtant rien des ténèbres. Plus loin, dans la pénombre, la D768 apparaît comme une petite route improbable, aux courtes montées raides. Au détour d’un virage, deux petits yeux brillants et un museau effilé sortent d’une pelote de piquants. Un petit punk se tient immobile, fier et inconscient du danger, au milieu de l’étroit chemin. Personne ne semble passer par ici, surtout de nuit. Il a eu chaud le petit hérisson, et moi beaucoup de mal à l’éviter, avec ma direction devenue immanœuvrable sans être haltérophile ou culturiste. De toute façon, aussi ridicules l’un et l’autre à imaginer sur un vélo… Mal aux mains, mal aux épaules, à forcer sur le guidon, à essayer avant tout à prendre les trajectoires le plus possible comme à moto, en se penchant, mais pas toujours facile. Il faut prendre la route de force, elle qui dans le creux de tous ses trous a rendu mes roulements à billes carrés. Un peu de mécanique à faire une fois rentré, en attendant, il faut que ça roule, rond ou carré ! J’arrive à Soligny-la-Trappe dans la fin de nuit, et déambule dans le village. J’attends le petit jour. Rien d’ouvert. Fermé le lundi, lit-on un peu partout. C’est la malédiction rurale des petits commerces ; rien d’ouvert, rien ne sera ouvert. Pas aujourd’hui, parce que : « fermé le lundi » ! Alors une photo de pointage, et c’est reparti.

Une vingtaine de kilomètres, encore bosselés, encore un léger brouillard matinal, et c’est Longny-au-Perche qui se profile. Un vieil ami, tant de fois croisé. Une étape obligée dans le sillage du mythique Paris-Brest-Paris. Alors en ce début de matinée, dans le bistro pour pointer, la tasse de p’tit noir à la main, forcément le patron me le demande sur un ton de connaisseur. Trois fois, mais cette fois c’est un « petit » tour dans l’Eure, en passant par la Seine-Maritime et l’Orne. J’explique que j’étais aux Andelys samedi matin, et j’y retourne ce midi. Ou un poil plus tard ; aujourd’hui, lundi. Faut quand même avoir des jambes, ponctue un client… Je souris ; et un grain aussi pensé-je, mais je le garde pour moi !

Allez, il ne reste plus qu’une centaine de kilomètres à se mettre sous les pneus ; qu’à remonter direction plein nord vers Les Andelys, en accrochant en cours de route Verneuil-sur-Avre. Nouveau passage en forêt. Le profil du parcours s’assagit progressivement, mais ma tendinite revient, tenace, alors de mon côté je reviens à un rythme plus tranquille. La chaleur monte vite alors que le ciel reste uniformément bleu. Qui a dit temps de chien la Normandie ?

Combien de fois suis-je donc passé par Damville, en quelques coups de pédales ou pour m’arrêter plus longuement. Je ne sais plus. Aujourd’hui je ne fais que traverser, mais le décor du village reste inchangé, la halle et les commerces sur cette place tellement familière. Pas mal de circulation autour de Saint-André-de-l’Eure avant que les voitures ne se délayent. L’odeur du colza en fleur déjà échauffé par le soleil matinal devient entêtante. Entrecoupant la route plate, un beau creux de cuvette m’attend après Boisset-les-Prévanches. Plus tard, la belle remontée après Ménilles me fait regagner avec sa Côte Blanche près d’une centaine de mètres de dénivelé, dans un début assez âpre à affronter. En arrivant vers Les Rotoirs, deux avions militaires gros-porteurs passent, volant bas et serrés, sans doute en approche de la base aérienne d’Évreux. La dernière étape est souvent fastidieuse pour moi. Rien à en espérer, rien à faire, juste rentrer. Injuste, mais c’est souvent ainsi que m’apparaissent ces fins de parcours, dans l’impatience d’en finir. Ici, la douzaine de kilomètres pour rejoindre Les Andelys n’échappe pas à la règle sur cette route très passante ; pas le choix. Puis surgit un panneau interdit aux vélos, seulement sur quelques kilomètres. Pourquoi ceux-là et pas les autres, avant ou après ? Vexatoire et salvateur. Pas d’autre itinéraire proposé, alors la logique veut que je passe par Bouafles et Vézillon, deux villages tranquilles. Les branches plantées dans la pierre et qui ressortent par les fenêtres du clocher de la vieille église de Vézillon – elle-même paraissant asphyxiée par les maisons l’entourant – dégagent à la fois une image de tristesse et d’infinie sérénité. Finalement cette fin de randonnée n’est pas si pénible, agréable au contraire. Château-Gaillard me guette sur les hauteurs, dans sa solitude de roc, si ce n’était ces fourmis humaines venues effleurer ses siècles de patience. Tout début d’après-midi. Deux jours et demi pour faire un bon bout de Normandie sous un ciel immensément bleu. Début mai commence bien. Reste à soigner les petits soucis du vélo et du bonhomme… Mais c’est une autre histoire !

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