Mon Paris-Brest-Paris (édition 2011)

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Cette année je me suis inscrit dans la tranche des moins de 84h, j’ai donc le temps d’assister au départ des 80 et 90h du dimanche après-midi. La journée est chaude, ensoleillée. Le lendemain à l’aube, ce sera mon tour. L’intérêt de cette tranche horaire est d’éviter une attente terrible au départ. En effet, j’ai un mauvais souvenir de 2007, où j’ai dû attendre la septième vague des 90h ! À l’époque c’était premier arrivé, SAM_0026premier servi, et même sans être en retard, on pouvait se trouver bien loin dans la file d’attente ! Je partirai donc tôt le lundi matin, ce qui m’évitera de commencer directement par une nuit blanche. Je me dis que finalement les six heures de délai en moins par rapport au 90h sont compensées par une nuit de moins sur le vélo, alors globalement je ne devrais pas vraiment perdre beaucoup de temps à partir dans la tranche des 84h au lieu des 90h. Le seul point négatif avec le départ matinal du lundi, c’est l’ambiance ! Nous partons un peu en catimini. Le contraste est tellement énorme, comparé avec la foule venue assister aux départs de la veille.

Lundi 22 août, j’ai mal dormi, réveil trop matinal pour moi. La nuit a été agitée. En face de l’hôtel, cette nuit de ramadan a été bruyante, comme pour exorciser la journée passée à jeûner. Le bruit des scooters venus épater la galerie s’y est ajouté, divers braillements nocturnes aussi… et j’en passe ! SAM_0037Mes idées sont nébuleuses. La douche les éclaircira à peine. C’est au tour du petit-déjeuner improvisé, subtilité locale, car l’hôtel n’en fait finalement pas, contrairement à ce qui nous avait été dit à la réservation. Trop tôt sans doute pour se fatiguer. Vu le nombre de cyclo et d’accompagnateurs qui ont dormi ici, les hôteliers n’ont pas vraiment le sens du commerce. Il faut sans doute tout de suite donner aux étrangers le sens de l’amabilité à la parisienne ! Bref, à cause de tout cela je suis d’humeur maussade… comme le ciel apparemment.

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Sur le stade des Droits de l’Homme à Guyancourt, il y a déjà du monde. Nous commençons à avancer. Le tamponnage se rapproche de plus en plus… pour s’arrêter cinq cyclos devant moi. Je rate de peu la première série de départs. Décidément, c’est mon jour de chance ! Je partirai donc dans la deuxième vague. Dire que j’aurais pu dormir un peu plus… En attendant, la pluie commence à tomber. Ce n’était pourtant pas prévu pour ce matin. Comme on ne mégote pas avec les gouttes cet été, je ne cherche pas à comprendre, j’enfile mon imperméable. Après vingt minutes d’attente, c’est enfin parti.

Le groupe est énorme, assez compact. Pas grand monde pour nous applaudir au passage cette fin de nuit. Pour la popularité, il fallait partir dimanche ! Les gouttes d’eau s’arrêtent finalement assez vite, plus de peur que de mal… pour cette fois. Mes genoux sont déjà douloureux, ils le resteront plus ou moins sur les 1200km, l’humidité n’arrangeant rien. Devant nous, un véhicule de l’organisation freine nos ardeurs matinales, et ça circule péniblement en accordéon. PBP2011_1Finalement la voiture nous abandonne, enfin libres ! Première pause pipi à Jouars, où je perds mon peloton. C’est là le seul réel désavantage des 84h. Je n’ai jamais compris pourquoi j’avais beaucoup plus souvent envie d’uriner le matin que l’après-midi… Le café n’explique pas tout ! Après Nogent-le-Roi, je suis doublé par un costaud. Il est seul, c’est bien tentant, alors je lui file au train pour essayer d’engranger des précieuses minutes, et avoir une petite marge sécurisante sur l’horaire de fermeture du contrôle dès le début. En route nous ramassons de temps à autre un courageux qui choisi de nous suivre au train pour former un bon petit peloton. IMGP2705Nous doublons trois vélos couchés et un obus jaune pourtant partis une demi-heure avant nous. Bon signe pour nous, ou mauvais signe pour eux, quoi qu’il en soit les cent premiers kilomètres sont avalés en un peu plus de trois heures, tout va bien. Nous filons toujours à bonne allure. Comme j’ai maintenant ma marge de sécurité sur l’horaire de fermeture des contrôles je peux ralentir, mais nous roulons bien, alors je continue à suivre. Kilomètre 120, à ce rythme nous serons vite arrivés à Mortagne-au-Perche. IMGP2707Dans un coin de ma tête, quelque chose me dit que je devrais ralentir. Je choisis de ne pas l’écouter. Se sais qu’au fond de moi je dois avoir tort, tant pis. Kilomètre 130, plus rien ! Je savais que j’étais en train de faire une énorme stupidité… mais il fallait que je la fasse ! D’un seul coup les jambes sont vides, raides. Accumulation monstrueuse d’acide lactique. Je suis étonné d’une apparition si brutale. Sur le plat c’est très douloureux, et dès le moindre faux plat c’est insoutenable. Je suis cuit ! Avant même la première étape, j’ai réussi l’exploit inédit de me massacrer les muscles, nettement et proprement, rien à redire, bravo ! Le crachin se met à tomber, détail presque anecdotique dans ma déroute… PBP2011_0si la pluie n’était pas en train de s’installer pour 500km ! J’atteins donc Mortagne-au-Perche au ralenti. Surtout ne pas forcer pour ne pas aggraver mon cas. Les cellules détruites ne vont pas se régénérer de sitôt, mais il me faut absolument des protéines pour limiter les dégâts au niveau musculaire.

C’est devenu une obsession, il me faut des protéines ! Je jette mon dévolu sur un gros sandwich et l’engloutis aussitôt. Et pourtant je n’ai pas faim, drôle de petit-déjeuner. Le temps gagné est illusoire, je le sais, je le comprends maintenant, car je n’ai pas envie de reprendre la route. Aucun courage, aucune volonté, rien. Et pourtant je repars,IMGP2714 parce qu’il faut bien repartir, et parce que si je suis dans cet état c’est parce que je l’ai voulu. C’est entièrement de ma faute, alors il faut bien que j’assume, mais les muscles des jambes me font atrocement souffrir, même sans forcer l’allure. La pluie s’intensifie, se ralentit, puis se calme, ça sera sa façon de faire. À chaque fois où je crois pouvoir commencer à sécher, c’est reparti de plus belle ! À force de ne pas appuyer sur les pédales, contrairement à la première étape, je me fais doubler par tout le monde. J’ai un mal fou à essayer de me débarrasser de l’acide lactique. La pluie se fait plus forte, c’est maintenant le déluge, ma pénitence peut-être, pour avoir été aussi stupide. IMGP2718La situation devient grotesque, je n’ai même pas fait 200km et c’est le naufrage complet : je suis trempé, j’ai mal aux genoux, je me suis massacré les jambes par stupidité, j’avance lamentablement, je me dis que le climat sera peut-être aussi exécrable qu’en 2007… Alors j’éclate de rire comme un damné ! J’évacue la tension nerveuse comme je peux. Finalement j’arrive à Vilaines-la-Juhel toujours sous les vidanges du diable !

Inutile d’attendre que l’averse se calme… Il n’y a aucune chance. Ce lundi après-midi la luminosité sera digne d’un crépuscule, les phares allumés seront de rigueur. La pluie vire aux précipitations orageuses violentes, drôle de troc que d’échanger la peste contre le choléra !IMGP2723 En passant par Lassay-les-Châteaux, l’indexation de mes vitesses a des ratés. Étrange, je n’en comprends pas la cause. Toute cette eau n’explique pas tout. En m’arrêtant pour essayer d’en trouver l’origine, je m’aperçois que l’écrou de ma cassette est desserré, alors que j’avais révisé le vélo avant de partir. Et dire que ce maudit écrou ne s’est jamais desserré depuis que j’ai changé de transmission…IMGP2731 il y a bien dix mille kilomètres ! Je le resserre à la main du mieux que je peux, mais bien sûr je suis conscient que cela ne tiendra pas. Tant pis, je me servirai sans forcer, des huit plus grands pignons restant exploitables sur les dix. Les deux autres sont bien trop branlants, autant éviter la catastrophe ! IMGP2742Peu avant d’atteindre Fougères c’est l’apocalypse : ciel noir, grondements terribles. Je m’imagine déjà foudroyé… ce qui me déclenche une nouvelle vague d’hilarité paradoxale. Il faut dire que depuis mon naufrage de 2007, je me suis préparé mentalement à subir quatre jours de pluie, et là franchement, je ne suis pas déçu ! À Lévaré, petit arrêt café sympathique. Les ravitaillements impromptus font aussi tout le charme d’un Paris-Brest-Paris… surtout sous la pluie !IMGP2743 Avec la météo exécrable, je ne suis pressé de repartir, mais il le faut. J’arrive à Fougères les muscles des jambes enfin moins douloureux, enfin un signe encourageant. À l’étape, je vais voir le stand du vélociste, pour essayer de régler mon problème de cassette. Le mécanicien me resserre l’écrou de la cassette. Il réussit à le bloquer, le filetage n’est donc pas foiré, mais je continue à trouver cela étrange… comment a-t-il bien pu se desserrer comme par magie ? Je pars avec mes interrogations, sans réponse rationnelle, faire une nouvelle cure de protéines au self.

Après une première partie de crachin, l’activité orageuse devient de plus en plus chaotique. Les éclairs sont nombreux, furieux, la foudre ne semble pas s’abattre bien loin. Peut-être une question de temps avant que je finisse électrocuté ? Alors j’imagine Mathias Malzieu sautillant dans un coin de mon crâne, Song for Jedi tourne en boucle dans ma tête. Les flashs ne s’arrêtent pas de fuser de partout, incessants, il n’y a plus de réelle obscurité dans cette nuit qui vient de tomber. Les trombes d’eau sont ininterrompues, la situation est vraiment dantesque. Des cyclistes s’abritent partout où il y a un petit bout d’abri, mais je continue d’avancer vaillamment. Inconsciemment, peut-être aussi, qui sait ? Je préfère ne pas m’arrêter pour ne pas être rattrapé par le sommeil, et parce que je perdrais sans doute de nombreuses heures à attendre une hypothétique météo plus clémente. Vu le climat et mon physique malmené, j’aurais peut-être besoin de ce précieux temps plus tard,PBP2011_2 je ne veux donc pas le gâcher inutilement. Complètement noyé lui aussi, mon appareil photo rendra bientôt l’âme, malgré son sac plastique de protection. Les jambes par contre, commencent à aller mieux, voilà un point positif. Progressivement, la pluie se fait moins forte, enfin ! Juste avant d’arriver à Tinténiac, je croise les premiers 80h partis le dimanche… et maintenant sur le retour. Déjà ? Personnellement, j’aurais été content de ne trouver la pluie qu’au retour, en tout cas ils semblent aussi trempés que moi, c’est rassurant !

En repartant, la pluie cesse assez vite. Dans un dernier sursaut d’orgueil, au loin des éclairs zèbrent toujours la nuit, le silence les rend dérisoires… Pourvu que je ne m’en rapproche pas à nouveau ! Minuit à peine passée, je me retrouve face au contrôle secret de Quédillac. Je ne m’attarde pas, autant continuer pour essayer de mettre de la distance entre les orages et moi. Malheureusement, assez vite des grondements se font entendre. Tant que la foudre restait muette, j’avais toujours l’illusion de pouvoir y échapper, mais là, l’évidence s’impose ! Je me rapproche à nouveau des orages, pour aller une fois de plus me jeter dans la gueule du loup. Les éclairs deviennent de plus en plus éblouissants. Les nuits passent mais ne changent pas, ce mardi est identique au lundi, seuls les lieux traversés changent. Les flashs crépitent autour de moi, l’obscurité est aussi claire que la veille. Ce sera encore un très gros orage. Le tonnerre, de plus en plus brutal, fait vibrer l’air. Dommage, mes pieds commençaient à sécher un peu. En arrivant vers Loudéac la pluie se calme. Je n’ai envie de rien, ni de dormir, ni de manger, ni de continuer. Surtout pas envie de repartir. Est-ce que ça existe un Paris-Brest-Paris sans pluie ? Je commence à en douter. Le scénario est le même qu’en 2007, le menu tout aussi indigeste : de la pluie, encore de la pluie, toujours de la pluie… mais avec des orages en plus, pour bien pimenter les plats ! Pourquoi je ne suis parti la veille, le dimanche après-midi dans la tranche des 90h, au lieu d’attendre le lundi matin. j’aurai pu passer au travers de tout ce déluge au lieu d’y rester prisonnier indéfiniment.

Le moral n’y est pas, mais je dois continuer à pousser vers l’ouest avant que le sommeil me gagne, avant d’ajouter un autre problème à toute cette déroute. En quittant Trévé, je pédale soudainement dans le vide dans la montée. Je comprends immédiatement qu’il y a un nouveau problème avec ma cassette ! Je m’arrête pour constater les dégâts : comme je le pressentais, l’écrou s’est encore dévissé… et maintenant tous les pignons tournent dans le vide. Je suis dans de beaux draps ! Je suis en pleine nuit sous le crachin, il est 4h du matin, je ne sais pas quoi faire ? Rebrousser chemin jusqu’à Loudéac en poussant le vélo sur le plat et dans les montées et espérer que ce soit réparable avec ce dont dispose le vélociste sur son stand ? Le temps de faire demi-tour, de réparer, de repartir, et c’est deux bonnes heures de perdues à coup sûr, pour un résultat aléatoire car le corps de roue libre a dû exploser. Les roues en 650c ont eu leurs heures de gloires, mais maintenant elles sont devenues assez rares, à tous les coups je suis bon pour… l’abandon. Pester contre cette saloperie de cassette, dans la nuit et l’herbe mouillée n’y changera rien, il faut que je prenne une décision avant d’être submergé par le désespoir. C’est quand même étrange qu’un écrou de cassette desserré détruise soudainement les cliquets du corps de roue libre. Il n’y a rien de logique là-dedans. Je ne vois pas bien comment les deux pourraient être liés, et ça serait quand même un sacré hasard pour que des avaries indépendantes touchent le même organe, et se produisent simultanément ! C’est à rien n’y comprendre. Pour essayer d’éclaircir le mystère, je démonte la roue. Rien ne vaut une bonne séance de mécanique nocturne sous la pluie ! Et là, surprise, le corps de roue libre n’a rien. Il fonctionne parfaitement alors que les pignons tournent dans le vide… ce n’est décidément pas banal ! Je revisse encore une fois à la main cet écrou récalcitrant, et en bidouillant un peu j’arrive à obtenir un pignon exploitable, le deuxième, celui de 12. Le résultat n’est pas trop branlant, mais pas question de forcer dessus ! En y allant tout doucement, et avec un peu de chance, je dois pouvoir atteindre Saint-Nicolas-du-Pelem. La solution me semble plus intelligente que de revenir à Loudéac. Il faut être joueur dans la vie, et croire en sa bonne étoile, même dans les moments de poisse ! Je prends l’arrêt du crachin comme un signe encourageant, alors c’est reparti !

Avec ma seule vitesse et selon mon choix de plateau, soit je mouline sur le plat, soit je peine terriblement en montée. Pas vraiment l’idéal, mieux que rien, se rappeler : surtout ne pas forcer ! En arrivant dans Saint-Nicolas-du-Pelem même, un bon nombre de cyclos dorment n’importe où dans la ville, apparemment terrassés par le petit matin, et visiblement pas du tout gênés par l’humidité ! Étrange, alors qu’à deux minutes il y a de la place pour dormir au contrôle… et au sec ! Soudainement j’ai un doute affreux : je ne suis pas dans un contrôle officiel, mais juste un point de passage optionnel. L’arrêt étant facultatif, il n’y a peut-être pas de stand de vélociste ici… pousser jusqu’à Carhaix-Plouguer me semble soudainement aussi hasardeux que bien laborieux… J’en viens à regretter de ne pas avoir rebroussé chemin jusqu’à Loudéac, au fond pas si loin… Tant pis, trop tard, je verrai bien. Heureusement tout est prévu ici aussi, l’homme de l’art est bien là. Je suis sauvé… ou pas ! Je lui explique rapidement mon problème, démonte la roue, et la donne au mécanicien. Il termine de s’occuper d’un tandem, puis se penchera ensuite sur mon cas. En attendant, je profite de l’arrêt pour manger quelque chose : des protéines bien sûr ! À mon retour, il prend ma roue, et reste un moment dubitatif devant les pignons tournant dans le vide. Apparemment, il ne comprend pas plus que moi ce qui se passe. C’est plutôt rassurant, mais j’aimerais mieux que ce soit plutôt réparable ! Pour y voir plus clair, il entreprend de retirer la cassette… et rien ne vient ! Il force, s’écorche un peu les doigts, se met à pester. Mon cas n’est pas ordinaire… Il fait levier, force, ça commence enfin à bouger… Il a vraiment un mal fou à arracher les restes de l’ancienne cassette disloquée, une Sram Red. Ce modèle est subtil : seul un flasque à l’arrière, rouge comme le nom l’indique, possède des cannelures qui s’accrochent au corps de roue libre. Donc si ce flasque se désolidarise du reste, tout l’étagement des pignons – complètement creux – tourne dans le vide. Cette bizarrerie de conception m’a donc été fatale ! Voilà en tout cas un mystère d’éclairci… j’aimerais bien que le ciel fasse pareil ! Pour remplacer la cassette, pas de miracle, ce sera de l’à-peu-près, avec un étagement plus adapté à la course qu’au cyclotourisme… et une note qui s’élève à plus d’une centaine d’euros. Oups ! Me voilà délesté de tout mon argent liquide. Je n’ai pas l’habitude d’avoir de telles sommes sur moi, mais prévoyant le désastre à venir, j’avais eu le flair de retirer de l’argent au distributeur, quand j’ai eu mes premiers déboires… Comme quoi j’avais bien eu raison ! Même si je suis très content de pouvoir continuer, il est quand même dommage que les vélocistes viennent avec du matériel coûteux – en principe juste pour dépanner – et qui n’est pas forcément adapté à notre pratique. Mais je ne crache pas dans la soupe, je suis tiré d’affaire, c’est l’essentiel.

Je quitte enfin Saint-Nicolas-du-Pelem avec l’esprit, et le compte en banque, plus légers ! Ma nouvelle cassette a un étagement déroutant, les pignons sont trop rapprochés. PBP2011_4 Par contre, elle s’accommode sans problème de la vieille chaîne. Pas de sautes d’humeur, les dents accrochent bien, tant mieux. Je mouline à fond sur le plat et pas assez en montée, cela change vraiment mes habitudes, mais quel bonheur de retrouver dix pignons au lieu d’un ! Mes soucis musculaires semblent s’éloigner eux aussi. Point de vue sommeil, la nuit blanche s’est bien passée, aucune envie de dormir, tout va bien de ce côté… sauf que le crachin persiste. L’étape me semble vite avalée, j’arrive à Carhaix-Plouguer dans la circulation dense de ce mardi matin. Malgré mes mésaventures nocturnes, je n’ai pas trop perdu de temps par rapport à l’heure de fermeture des contrôles.

Avant de m’éloigner de Carhaix-Plouguer, toujours sous la bruine, je fais un petit arrêt boulangerie. J’engloutis deux croissants aux amandes à faire damner un saint. Dommage, je repasserai trop tard au retour ! Pour se rendre à Brest il faut grimper les Monts d’Arrée. À première vue, rien de terrible, mais le faux plat ascendant n’en finit pas. La route est très passante, très large aussi, mais je ne me sens pas vraiment en sécurité. De nombreux camions doublent n’importe comment, me frôlent en s’écartant à peine, et pourtant il y a de la place. En face, c’est maintenant un véritable défilé de cyclistes sur le retour. Moi aussi je veux en être… mais pas avant 5 ou 6 heures. Brest se rapproche, mais le moral est en berne. PBP2011_5La circulation agressive m’énerve, tant de cyclos sont déjà sur le retour – la procession en sens inverse est infinie – à croire que je suis le dernier à être sur l’aller. Désespérant ! Roc Trévezel se la joue incognito, noyé dans la purée de pois collante et le crachin. Vers le sommet, les abords rocheux sont magnifiques. Le décor minéral et végétal semble bien rugueux, mais revêt des teintes pastel agréables : brunes, violettes, jaunes et vertes. Brest n’est plus bien loin, le ciel se dégage, il fallait simplement arriver au bout du monde pour trouver un peu de soleil. Je commençais à croire le bleu définitivement retiré du monde. Enfin un peu de chaleur, c’est le paradis, vive la Bretagne ! Pour cette édition du PBP, la partie brestoise urbaine a été rallongée, ce qui n’est pas plus mal – surtout si mon appareil photo n’avait pas rendu l’âme – mais rend l’arrivée au contrôle assez laborieuse. Il faut ouvrir l’œil pour passer sans encombre tous les rails croisant le bitume de la zone industrielle. J’ai l’impression de tourner en rond en ville, dans les embouteillages de cet après-midi.

Ça y est, j’ai obtenu mon Saint Graal du moment : le tampon final sur la feuille de l’aller. PBP2011_3La moitié est faite, c’est donc bien vrai, il n’y a plus qu’a rentrer. Malgré mes mésaventures de la nuit dernière, j’ai réussi à regagner un peu de marge point de vue délais. Par radio-corbeau, j’obtiens au vol des informations sur quelques connaissances : des abandons déjà, dans les 84h surtout, plus de sec et plus d’optimisme en 90h. Avant de repartir, j’en profite pour prendre une douche bien méritée, et regraisser mes fesses déjà bien entamées par la selle. Un sandwich plus tard, une petite discussion avec les bénévoles (pas la bouche pleine) et c’est reparti.

Quelques gouttes de crachin se remettent à tomber, le ciel s’assombrit, pourvu que ça se maintienne… finalement oui ! Il va falloir grimper le Roc Trévezel dans l’autre sens ! Toujours rien d’extraordinaire dans l’absolu mais mon assise commence à être douloureuse, et je ne me sens toujours pas en sécurité sur l’interminable route passante de cette étape. En plein après-midi il y a beaucoup moins de camions que le matin, c’est déjà ça. La lande est toujours aussi magnifique dans ce sens. Enfin une tête connue. Je rencontre « Miss couettes » du forum Super Randonneur, et ses compagnons de Royan. Comme elle n’a pas pu valider une des quatre distances qualificatives, elle fait son PBP rien qu’à elle, sans numéro, sans inscription, sans valider officiellement, mais elle s’en fiche, elle le fera dans les temps, na ! Une belle leçon de volonté. Dans ce sens, c’est à notre tour de croiser ceux qui sont encore sur l’aller. Heureusement pour eux, ils ne sont plus très nombreux, les rangs sont très clairsemés. Cette fois, la vue du Roc Trévezel est dégagée. Je remarque enfin l’énorme mât de télécommunication, invisible au matin dans l’autre sens, en passant pourtant juste à côté ! Au sommet, des spectateurs nous attendent. En début de soirée nous sommes de retour à Carhaix pour pointer.

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Je reprends la route en solo. Dès la sortie de la ville, la pluie fine reprend pour ne pas me quitter de l’étape. Décidément ! Encore une fois la situation déclenche mon hilarité : incroyable, le seul endroit où il ne pleut pas c’est Brest… Et pourtant la ville n’est pas franchement connue pour sa sécheresse ! J’avais bien fait de me préparer mentalement pour quatre jours de pluie… on ne va pas en être bien loin si ça continu. Ayant une bonne marge point de vue horaire, et en espérant que la pluie cesse pendant ce temps, je décide de m’arrêter à Saint-Nicolas-du-Pelem pas pas pour une séance de mécanique cette fois ! Je mange tranquillement mais rapidement au self, puis m’accorde le grand luxe de trois bonnes heures pour dormir… le temps d’éloigner les averses… ou pas ! J’arrive difficilement à sombrer dans le sommeil, à cause des randonneurs qui ronflent et se retournent dans tous les sens. Le réveil est un peu laborieux, mais en pleine forme, trois heures est apparemment la durée idéale de sommeil pour moi, surtout après la nuit blanche de lundi à mardi. Les genoux aussi vont bien, tout est parfait.

J’avais peur de la fraîcheur de la nuit en repartant, mais même pas, la température reste douce. Apparemment, la pluie s’est éloignée pendant mon sommeil, très bien. La lune essaie de percer les nuages… sans succès. Quelques feux rouges ne semblent pas très téméraires dans l’obscurité. Je les rattrape facilement. Je comprends alors qu’ils n’y voient pas grand-chose. Avec l’éclairage de mon tout nouveau moyeu dynamo, je leur sers de poisson pilote à ces randonneurs moins bien lotis que moi avec leurs torches à piles. Nous arrivons à Loudéac mercredi à l’aube. Arrêt petit-déjeuner de rigueur, un café qui va bien, et c’est reparti !

Dans les bas-côtés, la présence de tous les déchets possibles et imaginables m’énerve de plus en plus ; il n’y a donc aucun respect ni pour l’accueil qui nous est offert avec tous ces gens qui nous acclament, ni pour la nature, ni pour son amour-propre de cycliste ? C’est vraiment si compliqué de mettre ses emballages vides dans un coin de sacoche ou de maillot,Plaque7516 et de s’en débarrasser au prochain contrôle ? La sensibilisation à l’écologie évoluant doucement dans les esprits, je constaterai quatre ans plus tard que la route est devenue bien propre, heureusement. Cette matinée commence à devenir assez fraîche. Normalement, je n’ai pas pu le rater cette nuit, mais alors où est donc ce satané contrôle secret du retour ? Il se présente enfin à Illifaut. Le soleil semble vouloir émerger de l’horizon ce matin. Bonne nouvelle. On verra bien s’il a de la suite dans les idées !

Apparemment oui. Les nuages sont attaqués de toutes parts. Ils se retrouvent de plus en plus troués de bleu. Victoire ! Le soleil fait même une ou deux timides apparitions. Comme hier, le vent rend le fond de l’air frais, malgré des températures ayant déjà bien remonté depuis l’aube. Petite pause pour remplir le bidon à Quedillac, et c’est reparti.

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Le soleil sort enfin de sa cachette et commence à bien briller. Mercredi sera une belle journée, les 20°C seront même franchis. Incroyable ! Ça change des deux jours précédents, de toute cette pluie incessante. Avec le beau temps, et après une nuit sans souci mécanique, je commence à savourer pleinement ce Paris-Brest-Paris. J’ai envie de crier haut et fort que je suis sur le retour ! Je refais tout doucement mon avance sur l’horaire de fermeture des contrôles, il faut rattraper le temps passé à dormir, mais pas de panique, tout va bien. J’arrive à Tinténiac un peu tôt, mais autant profiter du self avant l’affluence. Sur un PBP il n’y a pas de midi – pas de minuit non plus – on mange quand on veut, on dort où on peut, le temps n’a d’importance que sur les tampons du carnet de route. S’asseoir sur une chaise, et surtout garder les fesses immobiles, apporte un soulagement extraordinaire. Un délice par rapport à cette selle commençant à virer au supplice.

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Le soleil frappe fort maintenant, quand les nuages s’écartent. La température est agréable, le ciel est sec, les kilomètres semblent passer plus vite. Je suis de retour à Fougères mercredi en début d’après-midi. Le moral est au beau fixe, et l’accueil qu’on nous réserve au bord de la route est toujours merveilleux. Avec le temps plus clément, les spectateurs sont plus nombreux. J’aime la Bretagne ! Comme très souvent dans les grands brevets, ce sont toujours les mêmes cyclistes qui me doublent, une vingtaine, une trentaine, une cinquantaine de fois ! Quel intérêt d’aller vite si c’est pour s’arrêter tout le temps ? Je préfère avoir un rythme plus régulier. Maintenant de nouvelles têtes me dépassent. Des 90h un peu juste en temps et qui se « réveillent », des 84h qui veulent faire « un temps », je n’ose pas penser à des 80h hors délais, mais il doit bien en avoir quelques-uns. L’après-midi se passe chaudement et tranquillement. Mes douleurs au fessier sont de plus en plus intolérables. C’est mon gros point faible, jamais totalement résolu, même avec une selle en cuir. Je progresse difficilement, surtout dans les côtes où l’appui devient une torture. PBP2011_8Dans une montée justement, je crois reconnaître à la fluidité de son pédalage Sophie Matter habillée rétro avec le vélo assorti (ce sera bien elle) qui m’enrhume littéralement dans ma médiocre ascension. Dans ces conditions, rejoindre Villaines-la-Juhel me semble laborieux, surtout en m’accordant des moments de roue libre pour ménager mon assise. La barre symbolique des 1000km est enfin franchie. J’arrive mercredi en tout début de soirée au contrôle. Le ciel est voilé. Il y a encore beaucoup de spectateurs venus voir les animations. Je vais au self pour là aussi pouvoir m’asseoir un instant sans douleur. Aussi bien des participants que des spectateurs y mangent – mais nous sommes prioritaires dans la file d’attente ! – et bien sûr des conversations intriguées ou simplement , curieuses s’engagent. Nous sommes les héros du jour, il faut en profiter. Je quitte mes voisins de table sous leurs encouragements.

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J’ai dû mettre plus de temps que prévu pour prendre mon repas, le jour baisse vite. Je pensais pouvoir me soulager un peu les fesses sur le chemin de Mortagne-au-Perche, mais il y a encore trop de montées et de faux plats. Où sont donc passées les descentes ? Je pense que la douleur doit accentuer cette impression, car les bosses n’ont pas l’air d’être si terribles en vérité. À l’aide de mon moyeu dynamo, cette nuit encore je sers de guide pour cyclos à l’éclairage faiblard. Il y a une foule de vélos cette nuit sur les routes, bien plus que les deux nuits précédentes. Contrairement aux deux nuits précédentes, ce long faux plat en ligne droite amenant vers Mamers est très fréquenté. La longue procession de feux rouges que je vois s’élever doucement vers le ciel me semble interminable. Je me sens beaucoup moins seul à me trouver au milieu du flot des randonneurs. Ce n’est pas un peloton, les cyclos sont plus dispersés, mais c’est très sécurisant. Il y a également une foule incroyable en train de dormir absolument n’importe où, la tête ou les jambes au ras du bitume, à en être dangereux pour eux. C’est vraiment surréaliste. Saint-Rémy-du-Val semble être le premier village à apparaître depuis une éternité, puis la pénombre reprend vire ses droits. Je m’arrête à Mamers où le club local nous a organisé un sympathique ravitaillement informel. Une bonne soupe bien chaude me fait le plus grand bien. Je remercie les organisateurs de cette initiative si réconfortante au milieu de la nuit, puis reprends la route enfin plate avec un petit groupe. Le jeudi à peine commencé, nous arrivons à Mortagne-au-Perche pour pointer.

Le sommeil ne veut toujours pas de moi, tant mieux. Je décide donc de repartir en solo, on verra bien. Malheureusement, bien vite je suis pris d’une furieuse et irrépressible envie de dormir entre Mortagne et Longny-au-Perche. L’avancée est pénible pour mon cerveau travaillant au ralenti, ayant tout juste la force de se laisser guider par la ligne blanche du milieu de la route. Je lutte péniblement contre le sommeil, pour arriver à trouver un banc sur lequel m’allonger cinq minutes. J’en trouve un à Longny-au-Perche au pied de l’église. J’entends le bruit furieux des roues libres dévalant la descente, si redoutable dans l’autre sens. Après quelques minutes d’assoupissement, je repars. Nouvel arrêt une petite quinzaine de kilomètres plus loin à La Ferté-Vidame, pour une nouvelle pause de quelques minutes sur un banc. Mes idées sont plus claires, pas de nouvel arrêt, mais la nuit est laborieuse. Morphée fait de plus en plus de victimes dans les rangs des cyclos. Plus ça va, plus ils sont nombreux à s’arrêter morts de fatigue vraiment n’importe où ! J’arrive à Dreux jeudi avec le jour. Je n’ai plus sommeil, mais comme j’ai une bonne avance, il me semble plus prudent, après une bonne douche, d’aller dormir un peu. Je prévois 1h30 d’arrêt, mais je me lève après une heure, n’arrivant pas à dormir avec le retour du jour, et surtout avec toutes ces allées et venues bien peu discrètes, car je suis visiblement arrivé à l’heure où tout le monde repart !

C’est la dernière étape, plus que 65km. Dans quelques heures s’en sera fini du Paris-Brest-Paris. C’est si long à arriver, quatre ans d’attente… et si vite terminé ! Dès que je me relève, je reviens vite à la réalité. Il y a comme un problème : mes deux genoux sont bouillants et complètement rigides, il y a comme deux œufs durs qui auraient poussé à mes fesses au niveau des ischions, mon poignet gauche est très douloureux et la main se referme difficilement, et accessoirement pour finir j’ai des soucis avec quelques orteils. Je fais un bilan rapide du plus grave, tendinite pour tout le monde, c’est ma tournée générale : poignet plus deux genoux qui font trois ! Pas question d’abandonner maintenant. Je serre les dents – et les fesses – et je repars. Haut les cœurs ! Je sais hélas, de grande expérience, que les tendinites ne m’empêchent pas de pédaler – péniblement – mais au prix d’une douleur terrible, mais je ne suis plus à ça près avec mes fesses. Même en me traînant lamentablement, je rejoindrai l’arrivée dans les délais, promis !

PBP2011_10C’est donc reparti… à la vitesse folle de 8km/h maximum. En l’espace d’une heure, j’ai l’impression d’être devenu centenaire, mais j’espère quand même mieux vieillir ! Pas de miracle, chaque tour de pédale déclenche une vive douleur, et le suivant fait déjà souffrir par anticipation. Je pensais mettre une éternité à rejoindre St Quentin en Yvelines, mais pas tant que ça en fait, car j’arrive tout doucement à accélérer ma moyenne. Les 10km/h sont allègrement passés. Incroyable, je file comme une fusée ! PBP2011_11Heureusement que cette dernière étape est plate, sinon je me demande bien comment j’aurais fait. Il y a beaucoup de spectateurs sur le bord des routes. Vu mon avancée médiocre, j’ai le droit à beaucoup d’encouragements. Ma souffrance doit se voir, elle doit être assez évidente, ce qui m’énerve un peu. Passer si lentement devant ces gens… Ils méritent mieux qu’un cycliste agonisant ! J’essaie de relativiser en me disant que même en perdition, j’ai environ dix heures d’avance sur les cyclistes de la tranche des 90h qui me doublent ! Un panneau indiquant l’arrivée dans 15 km me confirme que Paris-Brest-Paris est bien fini. SAM_0053En entrant dans la ville nouvelle, j’envoie au diable mon lot de tortionnaires : mes articulations, mes fesses, mes tendinites. J’oublie tout pour me mettre à accélérer franchement. Pour me défouler un peu, je fais des sprints sur les grandes avenues entre deux ronds-points. Au milieu de la forte circulation dense de ce midi, j’ai intérêt à bien garder les yeux bien ouverts !J’arrive à rattraper quelques cyclos, nous formons un bon petit groupe. Dernier rond-point assailli par les spectateurs, j’arrive à fond… GateauPB2011et fais un tour d’honneur après avoir raté la planche. C’est fini, cette fois c’est bien vrai, à dans 4 ans. Le rideau est tiré, la représentation est finie en moins de 80h, que demander de mieux ? Je suis heureux d’avoir eu ma revanche sur 2007, dans un temps que je trouve très honorable pour moi. Maintenant que ces trois journées hors le monde sont terminées, il va falloir redescendre sur terre et passer à autre chose ; mais ça, c’est une autre histoire ! En attendant, je me dis qu’en 2015 je ferai mieux. Le compte à rebours est déjà enclenché !

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