Les Flèches de France « vintage » : Strasbourg – Paris

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Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 8.

 

le vélo pour revenir de Strasbourg :Fuji Sagres (1985)
nombre de vitesses :2 x 6
développement maximum :7,30m (48/14)
développement minimum :2,90m (38/28)
poids du vélo :11kg
dénivelé du parcours :790m/100km

 

Déjà deux vélos ce soir dans le TGV qui m’emmène à Strasbourg, trois avec le mien, le doyen, celui qui va aller le plus loin ! Les gens sont curieux de savoir où je vais. Une discussion s’engage entre incrédulité et surréalisme. Quel intérêt de fuir Paris pour y retourner aussitôt à vélo ; dans la nuit, en mode non-stop pour 24h ou un peu plus ? Je suis d’accord, c’est absurde ; mais la vie en général n’est-elle pas par définition, un miracle improbable et absurde ! Premier arrêt, Nancy, la quasi-totalité des voyageurs s’évapore et me voilà tout seul dans le compartiment… et presque dans le wagon. Dehors l’obscurité est totale, le train file à toute vitesse mais le temps ralenti. Pas envie de dormir, hâte d’arriver ; les minutes s’allongent, Strasbourg se fait désirer. La ville arrive enfin ; terminus. Une faune douteuse rôde autour de la gare, la police aussi ; alors après un pointage rapide, aucune raison de s’attarder !

La nuit est tombée depuis un moment déjà. 23h. Début d’étape plate, tranquille, peu de circulation. Quelques villes de la banlieue strasbourgeoise s’enchaînent, puis s’espacent peu à peu. Les bois et forêts les remplacent peu à peu dans le paysage que ma torche déchiffre. Avant que l’urbanisation se soit complètement diluée je prends une pizza à un distributeur ; parce que même si ma traversée de la montagne ne sera ni très haute ni très longue, il faut bien du carburant pour avancer ! En passant par La Fischhutte, la route s’élève irrégulièrement jusqu’à Grendelbruch. Depuis le départ et pour encore un bon moment, j’ai l’impression que tout l’environnement alterne entre la senteur du jasmin et celle des résineux. On peut trouver pire pour accompagner une nuit à pédaler ! Dans les ténèbres, je mets parfois en fuite de gros animaux allant se réfugier plus profondément en forêt. Après Shirmeck, l’ascension du Col du Donon commence… Enfin ! Assez facile jusqu’à Grandfontaine, la pente devient ensuite plus raide, mais le pourcentage reste raisonnable. Petite lueur dans le noir, la tour de télécommunication du sommet apparaît furtivement dans ses lumières rouges, à travers la saignée que forme la route sinueuse dans les grands arbres. Dans cette deuxième partie de montée, deux petits replats permettent de récupérer un peu avant d’atteindre le haut du col. Aux bruissements perçus de temps à autre, je dois toujours être observé par le gros gibier curieux de cette lumière lente qui avance en silence, au contraire du bruit et de la fureur escortant habituellement les autres véhicules. Finalement l’ascension est assez facile, et les installations hôtelières du sommet forment un îlot de lumière réconfortant. Je prends ma photo de pointage puis repars au cœur de la nuit.

Je me laisse glisser sur l’autre versant du col. En principe le plus dur est fait… Mais pas le plus long ! En traversant les villages, le clapotis joyeux de l’eau dans les grands bacs de pierre des nombreuses fontaines continue de bercer ma nuit. À Raon-l’Étape, revenu en plaine et la pizza finie, je m’enfile la boîte en carton entre les vêtements pour avoir un peu plus chaud… En évitant de me tartiner de gras ! Comme souvent jusqu’au lever du jour, les températures prévues par la météo sont très largement optimistes ! Une longue côte se présente pour traverser Baccarat. L’église Saint Rémy et son clocher très effilé se détachent en ombre chinoise en fin de nuit… Adoucissant une silhouette anguleuse résolument moderne, puis je descends des hauteurs en quittant la ville. L’aube, un peu grise un peu nébuleuse, se lève paresseusement sur Domptail d’où je m’éloigne par une nouvelle pente. La route prend alors un peu de relief en chemin vers Mattexay. Une déviation est annoncée. Au petit matin je ne gênerai personne, alors comme il y a presque toujours moyen de longer les travaux à vélo, éventuellement en le portant, je continue. Part de flemme, pas envie de faire un détour… Et en fait j’aurais dû ! Je me retrouve face à un cul-de-sac de boue, d’engins, de grues. La route n’existe plus, le pont enjambant le cours d’eau non plus. Il a été déposé pour de gros travaux de terrassement. Le vélo sur l’épaule, je descends dans la cuvette jusqu’au lit du ruisseau. Pas facile, casse-gueule le passage à gué sur la route de Bayon… Et nous nous étalons tous les deux dans la boue ! Et merde, un vélo tout propre, fraîchement restauré ; et remerde, la godasse droite y a perdu presque toute sa semelle, arrachée au talon et quasiment jusqu’aux orteils. Comment continuer les 350 ou 400km de cette Flèche sans pouvoir appuyer sur les pédales ? Je fouille au fond de ma sacoche. Toujours quelques bricoles au cas où, pour l’inattendu et l’urgence. J’improvise un rafistolage de fortune avec un mini-tendeur et un gros élastique, pour que ma pauvre savate cesse de ressembler à un vieux crocodile pathétique à la gueule largement ouverte. Ce n’est pas l’idéal, mais ça permet de continuer. Le cyclisme au long cours est souvent un exercice de rusticité ! Petit à petit la route devient plus vallonnée, et j’arrive au contrôle de Vézelise en passant devant le château de Craon, à Haroué.

Après une toute petite bosse pour s’échapper du site de pointage, la route semble redevenue plate, puis se fait vite modérément vallonnée. Le soleil commence à émerger des reliefs à l’horizon, et s’extirpe difficilement de son matelas de nuages vaporeux. Matin triste, luminosité paresseuse. La montée pour traverser et s’éloigner de Jubainville est plutôt longue, mais suivie aussitôt par la descente en symétrie. Alors que les bosses étaient courtes jusque-là, elles s’étirent maintenant en longueur. Passant par Greux, je fais un détour insignifiant par Domrémy-la-Pucelle, occasion d’ajouter le village natal de Jeanne d’Arc à la liste de mes BCN / BPF. Revenu sur le parcours officiel, une longue bosse se présente pour atteindre Vaudeville-le-Haut et arriver à s’en éloigner. Je marque un arrêt au sommet de la butte, devant la stèle blanche baignée de soleil. Dans cette atmosphère paisible et silencieuse, les éoliennes au garde-à-vous semblent les seules à honorer les morts du maquis. Le vent de travers, présent depuis l’aube commence à être très fatigant cette fin de matinée. Après la longue montée en deux temps de Saudron, la route devient très roulante jusqu’à Joinville. Le répit prend fin en ressortant de la ville pour retrouver les longs toboggans de la route, même si leur pourcentage ne semble pas très élevé. Je fais le plein des bidons en sortie de Nomécourt. Pas évident de trouver un cimetière avec un robinet, pas évident de trouver un cimetière tout court, car ils sont souvent petits, repliés autour des églises et sans point d’eau. La route reste gondolée jusqu’au contrôle de Wassy.

Bien que le village ait quand même une certaine importance, pas beaucoup d’endroits pour pointer. Suites du Covid ou autre chose, il y a eu du dégât dans les petits commerces, beaucoup ont laissé la clé sous la porte. À l’heure où j’arrive, les survivants sont pour la plupart fermés. Je m’arrête pour faire tamponner ma carte au bar… Au moment ou la propriétaire sort pour boucler la porte… Ça, c’est fait ; merci pour l’accueil ! Le début d’après-midi est parfois ingrat dans nos campagnes. Je repars, progressant toujours sur les bosses étirées en longueur, mais dans l’ensemble plus roulantes… Celle de Montier-en-Der est cependant assez pénible. J’arrive dans cette partie typique de la Champagne abritant des églises à pans de bois. À partir de Bailly-le-Franc, la route est redevenue quasiment plate. J’entre dans l’interminable steppe agricole champenoise. L’idée de parcourir la soixantaine de kilomètres, sur la D65, que me promet la feuille de route en ajoute à ma lassitude. Mon assise devient franchement pénible. Je m’aperçois alors que pour une raison totalement étrange, le rembourrage de ma selle a migré des côtés pour former un monticule au centre. Aucun confort n’est donc à espérer sur cette fin de parcours ! Même si pour moi une selle autrement qu’en cuir est toujours une torture passé 300km, j’avais pourtant prévu un cuissard du genre rembourré avec cet Assos Mille GTC « Kiespanzer ». Malgré cette précaution, la selle à la garniture en vadrouille est un supplice. Les grands bouts droits plats et venteux, avec de temps en temps quelques bosses peu marquées, n’offrent pas de répit pour se mettre en roue libre et pouvoir soulager l’assise. À cause du vent fort de travers, de la selle inconfortable et des cale-pieds qui m’écrasent les orteils, sans compter ma godasse à l’agonie depuis 200km, je n’avance pas aussi vite que je voudrais. Je m’agace contre mon côté poissard, mais ce n’est pas une surprise… et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même de me retrouver dans cette situation ! Pas d’autre choix raisonnable que d’avancer. Je rejoins les abords de la vallée de l’Aube ; le jour décline et je vais bientôt arriver, enfin, au contrôle d’Anglure dans la soirée.

Le profil de la route reste calme pour ce début d’étape qui continue un moment au voisinage des lits de l’Aube et de la Seine, puis s’en éloigne, cap au nord-ouest à Conflans-sur-Seine. Le village illuminé de Béthon, étalé sur la plaine et juché sur sa petite butte, se remarque de loin en début de nuit. Longtemps présent sur la droite je pense ne pas y passer, et puis finalement si. Son accès se mérite par une belle montée. Plus tard au cœur de la nuit, l’orientation n’est pas forcément évidente entre les petits villages de Seine-et-Marne. Il faut rester attentif de Chevru à Amillis, et connaître la route pour rejoindre directement l’obélisque en bordure de forêt de Malvoisine… Et éviter un détour par Touquin ! Une fois remis sur le bon chemin, en deuxième partie de nuit, le contrôle de Faremoutiers est tout près.

C’est reparti pour une dernière étape d’une trentaine de kilomètres à travers cette Seine-et-Marne qui m’est maintenant familière. Pas de grande difficulté d’orientation, pas de grande surprise, pas de grande difficulté de relief même si le pignon de 28 de ce Fuji Sagres de 1985 m’a été plus utile, avec la fatigue, pour grimper la côte de Tigeaux que pour monter le col du Donon… où il ne m’a même pas servi ! Il reste alors encore un peu de patience avant d’arriver au dernier pointage de Champs-sur-Marne au petit jour.

 

Voir ICI pour la Flèche réalisée (en doublé) dans l’autre sens avec un vélo moderne.

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