Cycles Gérard – (≃ 1915)

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Attention : un Gérard peut en cacher un autre, rien qu’à Paris, et même dans le seul 10ème arrondissement !

Sur ces publicités de presse des années 1920, en haut la Fabrique de bicyclettes Alfred Gérard (d’abord au 131 av Philippe Auguste – 11ème, puis au 109 fbg St-Denis – 10ème), et en bas les Cycles Gérard tout court (d’abord au 142 rue Lafayette – 10ème, puis de l’autre côté du trottoir, au 139)… Curieusement, ces deux marques homonymes ont eu la bougeotte l’une comme l’autre !

 

Le vélo présenté ici provient du second fabricant : les Cycles Gérard. Cette autre publicité met en scène une semeuse, figurant également comme vous allez le voir, sur la plaque de cadre.

 

Plus anecdotique, ces deux marques n’ont rien à voir avec la bicyclette pliante conçue par le Lieutenant Henri Gérard à la toute fin du 19ème siècle, et qui équipera – produite en série par Peugeot – des pelotons d’infanterie pendant la Grande Guerre.

 

Présentation

Ce vélo des Cycles Gérard – déniché en Picardie – est dans un état de rouille avancé. Vu son âge respectable et le prix modique auquel je l’ai acquis, ça fait 5€ bien employés ! Forcément, je n’ai pas pu y résister.

Il y a bien quelques pièces qui ne sont manifestement ni d’origine ni d’époque, mais finalement rien d’insurmontable avec un peu de chance, de travail et de patience.

La plaque de cadre en laiton est celle des Cycles Gérard situés au 142 rue Lafayette à Paris. C’est la première adresse du fabricant qui a ensuite déménagé de l’autre côté de la rue Lafayette, au N°139. L’effigie de la semeuse, apparue sur les monnaies dès 1897 – et un peu plus tard sur les timbres – est d’un graphisme bien familier pour ceux qui se souviennent des francs… avant l’euro.

Vue sur les raccords de cadre. Notez le câble du frein arrière tombant comme un cheveu sur la soupe, et qui a été rajouté par la suite. Pourquoi pas lors du changement du pignon fixe – qui ne nécessite pas de frein arrière – par une roue libre mono vitesse ; simple supposition.

Effectivement, les freins ne sont pas du même modèle, mais celui de l’arrière n’est pas forcément à supprimer. Les améliorations pas trop anachroniques signent aussi – à mon avis – le vécu d’un vélo. Point de vue colliers de maintien du câble, par contre, on peut faire mieux ! Plus épineux, il y a un garde-boue arrière mais celui de l’avant a disparu. Alors, enlever l’un ou rajouter l’autre ? Vu que cette bicyclette possède un carter de chaîne, il semblerait plus logique d’appareiller un garde-boue avant plutôt que de dépouiller l’arrière… À voir.

Remarquez, sur la fourche, la fixation prévue pour accueillir une lampe à carbure. Pas de problème, j’en ai quelques-unes sous la main.

Vu de l’arrière, la fourche ajourée – à baguettes – ne manque pas d’allure. Ses pattes ne sont pas fendues, mais seulement percées pour l’axe de roue… Il faut donc jouer sur la flexion des bras de fourche pour arriver à sortir la roue. Étrange, et pourtant normal pour l’époque.

La Selle est délicieusement ridée, crevassée même, mais le cuir un peu sec ne semble pas en trop mauvais état. Elle est signée Indian, mais le rapport avec les motos américaines du même nom est plus qu’improbable !

J’aime les beaux carters de chaîne. Sans la rouille celui-ci, plutôt imposant, serait sans doute joli. Le logo par contre, est indéchiffrable, sans doute depuis longtemps.

 

 

Sa fixation à l’avant est assez alambiquée.

Sous la crasse, le dessin du plateau est élégant mais n’a rien d’extraordinaire. Il peut donc continuer à jouer à cache-cache derrière le carter sans regrets.

À première vue, ce pédalier à clavettes à l’air standard et classique. Ses cuvettes sont filetées classiquement, par contre, la gauche est verrouillée par un boulon… et pas la droite, plus susceptible de se dévisser ! Ce système de jeu de pédalier à simple pince est inhabituel dans l’absolu, mais fréquent pour l’époque.

On peut trouver plus couramment ce type de montage, présentant un boulon de chaque côté, sur les jeux de pédalier excentriques de tandem.

Les poignées en bois ne sont pas forcément très confortables, mais sont toujours du plus bel effet… quand il y en a deux !

Ici, dommage que l’une soit fendue en dessous… et que l’autre soit une horreur en plastique pourri, mais j’ai au moins un modèle pour en refaire une paire.

Le jeu de direction me laisse perplexe, il semble y avoir une très fine goupille fendue (flèche verte)… pas forcément simple à extraire.

Voyons maintenant les détails qui fâchent, car sur ce vélo il y a un curieux contraste entre les pièces de l’avant, sans conteste d’origine ; et celles de l’arrière, visiblement non :

  • Pour les étriers de frein, le rajout à l’arrière – même s’il est plus récent – n’est pas forcément un drame… mais trouver autre chose serait mieux ! Ce type d’amélioration se rencontre souvent sur des montures début 20ème siècle. Cela ne me choque pas, contrairement aux leviers et poignées qui seront à unifier.
  • La jante avant à chapeau de gendarme est conforme, et l’arrière en profil classique est franchement douteux. Reste à trouver une deuxième jante étroite en 700B à chapeau de gendarme de 30mm de large… pas forcément évident !

  • pour finir, cet horrible catadioptre en plastique n’a rien à faire sur ce vélo. À retirer au plus vite… comme ce qu’il reste du pneu !

À l’avant, le garde-boue – en chapeau de gendarme également – à disparu, il faudra en trouver un… ou se résoudre à retirer l’arrière.

 

Alors ; polissage, peinture, nickelage… ou essayer de rester dans un beau jus si la patine n’est pas trop dévorée par la rouille ? À voir ! Une chose est sûre : il y a du boulot, quelques pièces à dénicher, mais rien d’insurmontable. Cette machine centenaire mérite bien un peu de patience et de persévérance.

La restauration

Un démontage complet s’impose. Vu l’état de rouille généralisée, on aurait pu logiquement penser que tout serait bloqué, grippé, indémontable sur ce vélo centenaire. Hé bien non, pas de grande difficulté à ce stade. Bon, il a quand même fallu taper de manière un peu obstinée sur les clavettes pour les extraire des manivelles, mais c’est un grand classique sur ce type de pédalier. Après un bon nettoyage, la patine protégée par du Restom 6100 Protec Look est préservée sans trop d’hésitation.

Malgré tout, quelques surprises sont à signaler…

Le cadre pesant moins de 3kg, et la fourche moins de 1kg malgré une colonne de direction très longue… forme un ensemble au poids raisonnable, moins lourd que bien des vélos plus récents, telles les légions de Peugeot aux fameux tubes allégés ! Je ne sais si les Cycles Gérard étaient réputés pour faire des vélos légers, mais celui-ci ne paraît pas si lourd pour un centenaire. Effectivement, l’épaisseur du tube vertical du cadre n’est que de 1mm, et même 0,8 pour le tube de direction (voir l’extrême finesse à gauche de la photo)… ce qui explique pourquoi la cuvette inférieure est tombée toute seule lors du retrait de la fourche ! Le tube est bien trop mince pour supporter les contraintes reposant sur la partie inférieure du jeu de direction… déformation inévitable. Erreur grossière de conception, mais bon, nous sommes après tout dans une industrie qui se cherche encore à l’époque… ce qui peut expliquer un certain amateurisme. Une solution fiable pourrait se résumer à souder un manchon de renfort sur la partie basse du tube de direction, et recharger légèrement à la soudure l’intérieur, pour que la cuvette soit bien maintenue sans aucun jeu… mais la silhouette du vélo s’en trouverait alourdie. De manière moins invasive et plus respectueuse de l’engin, la cuvette inférieure sera maintenue par de la colle époxy industrielle (pas le machin tout-venant de supermarché), ni vu ni connu. En cas de nécessité de remplacement du jeu de direction, il y aura toujours la solution de chauffe et de frappe pour extraire l’ancienne cuvette.

Autre problème structurel, le retrait du frein arrière laisse apparaître un pontet dessoudé, limite arraché. Aurait-on trop forcé pour faire rentrer l’étrier d’une façon barbare ? Ça semble bien être l’origine du problème. Une belle brasure au chalumeau, qui se fond avec le reste de la patine, et tout rentre dans l’ordre. Le frein – de toute façon d’allure trop récente – ne sera pas remonté aux forceps, il faudra un modèle plus en accord avec le reste du vélo. Même en changeant d’étrier, la soudure du pontet reste assez discrète derrière lui. Le cadre n’a pas trop souffert aux alentours. Grâce au Thermishield, la patine est préservée. Il ne faudrait pas abîmer une peinture de cet âge tout de même !

Au sujet du cadre, toujours, l’intérieur du boîtier de pédalier est pris dans des couronnes de crasse boueuse fossilisée. La graisse figée par le temps est saturée de terre et de poussières qui ne présagent rien de bon. Malgré tout, une fois nettoyés, les chemins de billes et les billes elles-mêmes sont restés en très bon état. Seul l’axe présente une toute petite zone écaillée (flèche rouge), mais rien de dramatique pour un vélo qui ne sera sans doute pas d’un usage intensif. Tant mieux, car trouver un modèle de la bonne longueur aux portées de 17mm au lieu du classique 16mm – ce qui explique les 12 billes de chaque côté plutôt que 11 habituellement – commence à être difficile. 1mm de différence, on s’en fiche me direz-vous… Oui mais non, et pour 3 raisons :

  1. Les billes ne reposant pas sur la même orbite, ça changerait la ligne de chaîne en modifiant l’alignement de l’axe, sortant davantage vers la droite dans ce cas.
  2. La cuvette gauche demanderait à être vissée plus profondément… pouvant poser problème pour serrer correctement l’écrou de blocage.
  3. Comme il y aurait un espace plus important entre axe et cuvettes, les billes seraient moins protégées contre l’entrée de saletés et de l’humidité… et donc de l’usure.

La rouille a parfois du bon, parce qu’outre l’étrier de frein arrière que je ne trouvais pas d’époque – et il ne l’est manifestement pas – celui de l’avant ne l’est pas davantage ! Sa forme n’est pas choquante, elle est même parfaite une fois recouverte de rouille, mais le décrassage révèle une inscription World Champion licence « Lam »… une marque apparue en 1937 ! Troublant, car ce modèle fait plutôt utilitaire à l’aube des années 40, et n’est pas en accord avec l’image sportive véhiculée par son nom. Tant pis, on fera mieux à l’arrière.

L’étrier qui était sur le vélo est au centre des photos. Son allure ne va pas du tout, trop moderne. Les deux autres, avec leurs fixations sur les haubans sont beaucoup plus adaptés : à gauche le frein avant – même s’il est marqué « Lam » ! – et à droite, l’exemplaire destiné à l’arrière, plus conforme à l’époque.

Le levier, assez laid je trouve, qui commande le frein arrière me rappelle plusieurs modèles (notamment Reyor) des années 20. Rien de choquant, donc. Un deuxième, similaire, sera ajouté à l’avant pour faire la paire. Des poignées en bois viendront compléter l’ensemble.

Bien que les cages des pédales soient identiques, les axes ne sont pas du même modèle, et un a été scié pour arriver à la bonne longueur. Une fois les pédales remontées, la différence ne se remarque pas.

La transmission confiée au pédalier d’origine, restait à savoir s’il fallait de nouveau cacher le joli plateau – maintenant décrassé – derrière l’énorme carter de chaîne ? S’il fallait retrouver un garde-boue en profil chapeau de gendarme pour compléter l’avant ; bref, s’il fallait rhabiller et alourdir le vélo, ou le laisser dans un état minimaliste et élégant. Céder au compromis – de n’installer que les garde-boue – était bien tentant, mais pas de demi-mesure, ne pas jouer les pisse-froid… Ce sera du tout ou rien ! Abandonner le monumental – et source d’emmerdements en frottements avec le pédalier ou en cas déraillement – carter de chaîne, pourquoi pas, mais tant pis, par respect pour le vécu du vélo on conserve le tout ! Point de vue roue libre, 18 ou 20 dents pour le pignon ? Tenir un bon rythme sur le plat et peiner en côtes, ou mouliner pour être à l’aise longtemps en terrain vallonné ? J’ai essayé les deux, et assez vite le 20 est lassant même en conditions tranquilles… ça n’avance pas !

Avouer qu’il aurait été dommage de se passer d’une « gueule » pareille, surtout dans sa patine préservée.

La selle ne pose pas de gros problèmes. Il faut seulement lui redonner une forme convenable et traiter l’assèchement du cuir. Malgré ses profondes lézardes, elle est encore tout à fait capable de vous emmener loin en toute fiabilité, et dans un bon niveau de confort. Comme souvent, la tige trop courte a besoin d’être remplacée… d’autant plus qu’ici elle a été sciée de travers, fendue, sagouinée !

 

 

L’horrible catadioptre en plastique disparaît du garde-boue arrière au profil du cabochon en verre à facettes qui bringuebalait derrière la selle… avec l’avantage de camoufler les trous laissés en trop !

 

Sur la route

Une bicyclette col-de-cygne… auprès des cygnes !

 

Je trouve que les vélos à cadre ouvert, col-de-cygne ou pas, sont une absurdité mécanique. Alors, bicyclette pour curé de campagne, ce Gérard ? Pas tout à fait. C’est une machine très agréable à rouler avec l’inertie des grandes roues. L’effet gyroscopique se fait particulièrement sentir, et en virage le vélo engage facilement sur l’angle, donnant l’impression de tenir davantage de la moto que du vélo… malgré la vitesse de pointe limitée due à l’unique pignon.

 

Contre toute attente, le vélo remonté pèse 15,4kg ! En action on n’a pas cette impression de machine massive, d’autant plus qu’on ne part pas d’un châssis si lourd. Mais où se cache donc le surpoids ? Une bonne part vient des roues, plus larges que celle qui subsiste d’origine en chapeau de gendarme. La paire a été remplacée – faisant prendre près d’un kilo – dans l’impossibilité de retrouver seulement une jante étroite pour l’arrière… sans compter les pneus de refabrication dans l’exotique diamètre de 700B pas franchement légers non plus. L’accastillage est aussi en cause avec les garde-boue et l’énorme carter de chaîne, le tout en acier…Mais bon, on reste après tout au même niveau de poids qu’un Peugeot de tourisme deux ou trois fois plus jeune !

En pratique, le seul véritable problème des vélos centenaires n’est pas de faire de la distance avec un développement unique, une fois tranché le dilemme du rapport de transmission, mais la puissance de freinage – surtout ici sur des jantes à chapeaux de gendarmes – assez légère dans les conditions actuelles de circulation, en particulier face à la crétinerie urbaine généralisée et motorisée.

Comme on n’est jamais à l’abri d’un caprice mécanique sur une machine de cet âge, à l’usage une pédale s’est totalement grippée sur son axe. Forcément, arriver à rentrer sur Paris depuis Nantes s’est montré assez pénible ! Au retour, le démontage a révélé une bille brisée en trois morceaux. La périphérie de la cage tournant alors – très difficilement – autour de sa partie centrale verrouillée sur l’axe. Quelques centaines de kilomètres plus tard – parce qu’il fallait bien rentrer ! – et la pédale avait bien souffert.

En partant du principe qu’un objet ne vaut que par son usage, je préfère une collection vivante faite pour – le plaisir de – rouler à une autre, morte, composée de machines impeccables mais inutiles, ne sortant pratiquement pas.

Bref, un bon travail de chalumeau a réparé les outrages subis, sans renier le vécu – récent pour le coup – de l’engin.

 

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