Les Flèches de France : Paris – Charleville-Mézières (- Paris)

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Le cycle des Flèches de France 2007-2013,
épisode 3.

Paris, mercredi 28 novembre 2007, 6h30, dix jours après mon doublé Paris – Le Havre et Dieppe – Paris, je remets ça. Je vais m’attaquer cette fois à la Flèche Paris – Charleville-Mézières… Et pour le retour, on verra bien !

Sortie de Paris par la Seine-Saint-Denis, département de tous les fantasmes. Moment de nostalgie en traversant les villes et empruntant les routes de mon enfance. Rien ne semble avoir vraiment changé. Si, le soleil se lève sur une cité de Sevran ; les nuages tout en moutons roses floconneux, subliment la morosité habituelle du béton. Ce matin est joli. Pas que. Un chariot de supermarché gît, abandonné en travers de la piste cyclable. Le côté attachant de banlieue vivante côtoie sans transition le côté tête à claques… Comment demander aux gens d’être heureux dans un cadre de vie pas forcément enthousiasmant, où la liberté se résume parfois à avoir le choix entre rien et pas grand-chose. Bref, le jour se lève, les villes s’éloignent et le brouillard se rapproche, puis me recouvre de son humidité de lait poisseux. Un corbeau vole près de moi, silhouette noire se détachant du fond blanc, avant de disparaître, englouti comme tout ce qui m’environne. Pris dans la purée de pois, je ne vois pas l’entrée de Mitry-Mory, pas très loin à l’écart de la route que je continue de suivre – avec un peu d’obstination – et me voilà à tourner interminablement en rond sur le site de l’aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle, au milieu des silhouettes fantomatiques des camions et du grondement des avions à la manœuvre. Tout un monde furieux que j’essaie de fuir en vain. J’arrive tardivement à m’en dépêtrer au prix d’un détour considérable, toujours en prise avec le brouillard. Une fois revenu sur le bon itinéraire, je me retrouve à cheminer sur la plaine agricole. Après une première belle bosse en sortie de Montgé-en-Goële, je me laisse glisser dans la descente pour arriver au pointage de Saint-Soupplets.

L’étape est courte, une trentaine de kilomètres. Quelques bosses entrecoupent le plat. La brume se lève en fin de matinée, à mi-chemin de La Ferté-Milon que j’atteins sous un beau soleil, ce qui m’évitera de finir complètement gelé, tout comme le p’tit noir du zinc, prétexte à faire tamponner ma carte verte au bistrot.

Je ne m’éternise pas ; il ne faut pas laisser la bête refroidir ! Décembre sera là dans quelques jours, et il ne fait pas bien chaud à l’Est… Et il reste tout de même dans les 170km à effectuer. La route est toujours doucement bosselée, rien de bien méchant. Je continue de progresser à travers la plaine agricole. Le décor est maintenant plus évident, plus profond, plus vert sans le brouillard. En milieu d’après-midi, le soleil est déjà sur le déclin et me voilà à Braine pour y pointer.

Je m’extrais de la ville par une belle montée, puis le terrain se calme ; l’étape se montrera plate. Bientôt, je suis accompagné par le retour de la poisse cotonneuse et glaciale. Le soleil n’aura pas tenu bien longtemps. En me rapprochant des rives de l’Aisne, la brume s’intensifie, le froid aussi. Pour ne rien rater, pour ne pas revivre le naufrage de Mitry-Mory, je m’arrête quelques instants pour m’orienter dans cet univers blanc, tandis qu’un joggeur sorti de nulle part m’aborde au sujet de la survenue du brouillard. Il faut dire que le sujet de conversation est tout trouvé. Apparemment, il est tout naturel pour lui de tomber sur un voyageur à vélo, en cette saison et au milieu de nulle part. Finalement, le bonhomme se montre curieux de mon apparition ici. Pour ne pas finir congelés à force de papoter, nous finissons chacun par nous remettre à nos sports respectifs. C’est ainsi que je rejoins Neufchâtel-sur-Aisne pour me ravitailler et pointer.

D’abord plate, cette étape se bosselle progressivement. Tout début de soirée, la nuit noire de fin d’automne – encore brumeuse – cède brusquement la place à la lune et à son cortège d’étoiles. Ne voulant pas s’avouer vaincu tout de suite, le brouillard m’enverra encore quelques vagues laiteuses enveloppées de langues d’air glacial, mais sans conviction. Le parcours nocturne est maintenant plus agréable, avec l’horizon dégagé et le ciel clair. Mis à part la baisse de la température qui me glacera les pieds, j’arrive tranquillement à Signy-l’Abbaye… Les orteils engourdis !

Le temps de glisser la carte postale dans la boîte aux lettres, et c’est reparti pour une fin de parcours passant largement à travers bois. 30km, pas plus. Une moitié globalement en faux plat montant – en approchant de Neuville-lès-This sur sa butte, par la bien nommée forêt de Froidmont – et une seconde partie en légère descente, pour finir à Charleville-Mézières, aux environs de minuit.

 

En principe, il ne me reste qu’à rentrer me coucher au chaud ! Mais comment ? Aller à la gare, attendre une éternité, et espérer trouver un train au matin. Bof, le temps de poireauter, celui du trajet en supplément, des correspondances avec un peu de malchance, et je serai rentré ou quasiment… Alors ? Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place ?

 

Demi-tour ! J’ai repris la route en sens inverse, bien sûr ! À l’assaut des ténèbres. Pendant la nuit du retour, je n’ai pas rencontré âme qui vive. Pas une voiture, pas un camion, rien, quatre heures de suite. Juste une biche surprise par mon arrivée silencieuse. Apparemment, l’Ardennais ne semble pas franchement fêtard. Le temps passe et le froid se fait de plus en plus vif, ma sacoche se givre et de la glace se forme dans mes bidons. Je n’arrive que très difficilement à m’hydrater. Les villages, éclairés à l’aller, sont maintenant – passé minuit – tous plongés dans l’obscurité. Leur physionomie s’en trouve complètement changée. Il ne ressort de la pénombre que les premières illuminations de Noël déjà mises en place par les habitants. Avant le lever du jour, le crachin présent une bonne partie de la journée cède la place à la pluie. Il persistera pendant presque tout le temps restant, entre de trop rares rayons de soleil. Mais qui dit pluie et récolte des betteraves, dit boue sur les routes… Et il y en aura ! Dire que la veille elles étaient plutôt propres… Malgré quelques généreux arrosages à l’odeur redoutable – à base de terre et de bouses de vaches mêlées – provoqués par les camions qui me croisent étroitement sur les petits chemins, je ne subirai aucune crevaison. Un miracle. Puis le vent de face, en rafales, monte comme passent les heures. Il me ralentira fortement tant que je ne serai pas abrité du souffle par l’urbanisme francilien, dans les derniers kilomètres. Je traverse Paris en fin d’après-midi, dans les embouteillages monstrueux à l’approche des fêtes de fin d’année. Pour éviter le pire, je dois rester très vigilant après 540km et une nuit blanche passée à pédaler. Voilà, rendez-vous au printemps pour la suite de ce cycle des Flèches de France. À suivre…

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