BCN et BPF : Gascogne – 32 Gers & 40 Landes & 65 Hautes-Pyrénées & 82 Tarn-et-Garonne

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Kilomètres réalisés : 21120
Provinces BPF validées : 27 / 36
Départements BCN validés : 71 / 91

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En sillonnant ses 4 départements, cette province de Gascogne loin d’être monotone, vous fera découvrir ses différents visages : du calme plat de la façade atlantique des Landes à la pure montagne pyrénéenne en flirtant par trois fois avec l’Espagne… Et pour le reste ce sera plutôt vallonné, en passant au retour à travers les vignes du pays de l’Armagnac. Ce circuit d’un bon gros millier de kilomètres (1150 en fait), part tranquillement de Montauban pour cheminer grossièrement cap au sud en direction des Hautes-Pyrénées… et là, ça se corse car elles le seront, hautes les Pyrénées. Bien plus que pourrait le laisser penser les trois seuls cols rencontrés en chemin :

  • le Pas du Tir (760m)
  • le Col de d’Aspin (1489m)
  • le Col du Tourmalet (2115m)

Sur le retour, dont le vallonnement ne sera pas à sous-estimer, il y en aura bien un 4ème, tardif – à une centaine de kilomètres de l’arrivée – mais bien modeste :

  • le Col de Viandès (270m)

Bon alors, on y va ?

Allez, c’est parti. Montauban, heure tardive mais une nuit d’août encore très chaude, les degrés restés accrochés à la trentaine du thermomètre. Dans la perspective l’un de l’autre, les lumières changeantes du Pont Neuf et du Pont Vieux dansent indolentes sur le Tarn. Aux alentours de minuit, la ville n’est pas tout à fait endormie. Pour s’en échapper, passer sous les rails des voies SNCF par le petit tunnel est surprenant. Très bas. Même à pied, peut-on s’y tenir debout ? Je ne sais pas, pas l’impression, pas envie de tester avec mon crâne ! Bas de plafond en tout cas le passage. Il faut se coucher sur le vélo, ne pas hésiter à faire la limande, sinon la tête s’exploserait sur le béton ; mauvais départ ! Sur le bassin à la naissance du Canal de Montech les lampions trouent l’obscurité, la musique s’élève, les gorges beuglent. L’air est imbibé d’alcool, les corps s’agitent apparemment insensibles à la chaleur. Le samedi bascule au dimanche, c’est la fiesta. Je laisse la frénésie festive derrière moi, et sous le regard de la pleine lune le silence retombe sur le bavardage des grillons. Dans cette platitude des berges, la lumière de mes torches tire de leur sommeil tout un éventail de bestioles : oiseaux, batraciens, ragondins nonchalants dont la couleur terne se fond dans celle du bitume ; et dérange dans leurs affûts quelques chats noctambules venus chassés je-ne-sais-quoi. L’avancée est tranquille, quelques bateaux sont amarrés de-ci, de-là. 25km paisibles, puis il faut s’éloigner du canal. La montagne m’attend, mais plus tard, rien ne presse. Les arches du pont à l’approche de Verdun-sur-Garonne, écartent la nuit avec leur teinte criarde bleue fluorescente. En sortant de Gariès, dans cet univers jusque-là tout plat, le décor change soudainement pour devenir vallonné avec l’apparition de la première bosse. Briguemont, traverser le village adossé à la ligne de crête gratifie d’un beau panorama au clair de lune. Arrêt à Mauvezin, ne pas confondre, ce n’est pas un lieu de pointage de cette province de Gascogne, ici on est encore dans le Gers ; le Mauvezin qui nous intéresse comme contrôle se trouve dans les Hautes-Pyrénées… ce sera donc une centaine de kilomètres plus loin, vers l’Espagne. En attendant, il reste une douzaine de kilomètres avant d’atteindre tranquillement Gimont en fin de nuit. Il reste à attendre l’aube pour pointer et repartir.

L’étape est courte et très roulante à tirer les grands bouts droits dans le petit matin jusqu’à Simorre. Il y a ici comme un avant-goût des routes des Landes… qui se présenteront 600km plus loin ! Dans le village, l’église fortifiée ressemble à première vue à un énorme cube de pierre complètement laid, mais qui arrive à dégager une certaine forme de beauté brute pour qui a la curiosité d’en faire le tour. Fortifiée n’est pas un vain mot, même si ici on est très loin de l’esthétique, à l’autre bout de la France, des églises de la Thiérache.

En chemin vers Boulogne-sur-Gesse, je suis surpris par la petite butte qui passe devant le barrage agricole des eaux de la Gimone. La route se fait bien bosselée en approche du village puis se poursuit vallonnée plus raisonnablement. À travers le voile atmosphérique apparaissent les sommets pyrénéens délavés, jouant à se camoufler, bleu gris foncé sur le bleu gris clair de la lumière du matin, comme une promesse encore lointaine mais parfaitement visible. La route prend presque imperceptiblement de l’altitude tout en restant roulante et la montagne se fait graduellement plus nette pour devenir une évidence. Milieu de matinée, la température frôle déjà les 30°C pour l’entrée dans les Hautes-Pyrénées. En se rapprochant du contrôle, il y a beaucoup de circulation en traversant les noyaux d’urbanisation de Lannemezan et Capvern. Le château de Mauvezin se détache au loin sur sa butte, dans une silhouette de pierre crème surmontée de toitures noires dans un beau contraste baigné de soleil. Plus que quelques kilomètres et j’aurais atteint le village pour y pointer après cette étape encore assez facile.

Le château se présente à l’autre bout du bourg aux maisons clairsemées, étiré en longueur au fil de la route départementale sans vraiment de centre-ville. Après le contrôle, demi-tour en retournant à Capvern. J’y fais escale pour un décrassage aux toilettes publiques, ce qui vu les températures de ce midi, n’est pas superflu. Il faut maintenant obliquer plein sud pour attaquer les choses sérieuses et grimper à la rencontre du Lac d’Orédon. (Le problème c’est que les trois pointages à venir se trouvent dans des culs-de-sac en direction de l’Espagne, donc sur des routes présentant la seule voie d’accès. Il n’y a pas d’autre choix pour y aller que d’être piégé dans la circulation automobile, et de redescendre profondément au creux de la vallée pour attaquer la montée suivante sans pouvoir couper « tranquillement » à travers la montagne entre deux. Pas de cols, rien. Ces sites ne sont pas d’un accès paisible dans le flot estival des vacanciers, mais de toute façon vu leurs situations géographiques… on ne risque pas d’y accéder l’hiver non plus ! Sur les BCN / BPF du Dauphiné, pour le pointage de La Bérarde par exemple, on se retrouve également en altitude dans un terminus de roches lové au creux de la montagne, mais au moins il n’y a pas de circulation intense, fin de la parenthèse). Bref, revenons à Orédon. Jusque-là, la route ne s’élève pas vraiment, la montée est encore tranquille à Arreau, où je fais le plein des bidons au robinet à côté de l’église avant de repartir pour le Pas du Tir, modeste col qui se glane au prix d’un tout petit détour. L’altitude commence à grimper doucement après Saint-Lary-Soulan, et plus sérieusement après Fabian en obliquant sur la Route des Lacs. En continuant de monter sous un couvert de pins, la température chute de 45 à 35°C. La pente n’en finit pas, 9 % environ, le cœur cogne sous cette chaleur. Milieu d’après-midi, la plupart des gens redescendent déjà, beaucoup plus de voitures dans l’autre sens par rapport à celles qui me doublent. Tant mieux. Le bruit du torrent m’accompagne, promesse de fraîcheur illusoire, inaccessible. La protection des arbres ne dure pas et la fournaise reprend. Tout le reste semble immuable, la route monte toujours et le torrent joyeux bavarde inlassablement. Dans le dernier kilomètre, l’approche du pointage au Lac d’Orédon se fait par une redescente… Qu’il faudra bien sûr grimper en repartant !

Le paysage du lac lové au creux des sommets montagneux est grandiose… surtout en tournant le dos au refuge et au parking ! La nature remet l’Homme à sa place, le renvoie à sa propre insignifiance. Après ce moment méditatif, il faut repartir. Demi-tour. Avant de se laisser glisser dans la descente, il faut regrimper la butte pour retourner sur la Route des Lacs. Une soixantaine de mètres de dénivelé à gagner, rien d’insurmontable. En basculant dans les courts lacets de la descente, où on aperçoit Arreau serti dans son écrin rocheux au creux de la vallée. En approchant du bourg une petite butte me surprend pour accéder au village. À sa sortie, fini le temps de récupération, de la perte d’altitude ; direction le Col d’Aspin. Les freins peuvent maintenant se reposer, c’est aux cuisses de travailler car il faut regrimper ! Pas très difficile dans l’absolu, la montée se stabilise vite à 8 %. En haut, des animaux plus curieux que le reste de leur troupeau déambulent en liberté au milieu de la route. Début de soirée, le sommet de col est recouvert d’une multitude incroyable de camping-car, les uns contre les autres, envahissants comme une vermine. Vision d’apocalypse, pas de raison de s’attarder. Je rejoins La Séoube au creux de la descente. Décrassage intégral aux toilettes publiques et quelques heures d’attente pour ne pas arriver trop tôt au prochain pointage du Tourmalet. La nuit est encore chaude et c’est reparti tranquillement jusqu’à Sainte-Marie-de-Campan sous le regard de la pleine lune. Début de montée assez facile, puis 12km avant le sommet, la pente se stabilise aux alentours de 9 %. À mesure que l’on prend de l’altitude, le panorama nocturne s’ouvre pour entrevoir quelques hameaux illuminés en contrebas. La Mongie se voit 2km avant, au clair de lune, à la faveur des lacets de la montée. En traversant la station de ski, les pyramides d’appartements masquant la montagne hésitent entre laideur fonctionnelle et beauté graphique. Encore 300m d’altitude à prendre et le Col du Tourmalet se présente en fin de nuit, finalement plus long que vraiment dur. Le géant Octave semble courir après la lune. Personne au sommet, tranquillité d’avant l’aube, panorama minéral sublime ; puis le petit jour amène de la profondeur et des taux chauds en direction de la vallée. Aller voir au bord, le contrebas est vertigineux, les lacets à pic. En étant tout à fait rationnel, qui aurait envie de redescendre par-là ? J’hésite. Mauvaise idée. Ne pas commencer à cogiter, l’acrophobie guète. Tout de suite repartir sans laisser à la peur le temps de s’installer, il n’y a rien d’autre à faire !

Redescendu à Luz-Saint-Sauveur, c’est reparti pour remonter dans le matin calme. Les gorges du Gave de Pau sont très profondes mais son murmure trahit sa présence. Le pourcentage de l’ascension est très inégal. Après Gèdre où l’on rejoint la rivière, elle s’échappe de nouveau vers les profondeurs. Gavarnie se présente au terme d’une montée pas trop pénible, presque sans bagnoles. Pas trop laborieuse, mais poursuivre jusqu’au célèbre Cirque demande des pneus dont je ne dispose pas pour pouvoir affronter les 5km de chemin de grosses caillasses… Demi-tour, tant pis !

Retour à Luz-Saint-Sauveur une nouvelle fois au creux de la descente. Fin de matinée, période estivale, bouchons. Patience pour s’en échapper. La route redevient ensuite roulante en direction de Pierrefitte-Nestalas. Dernière grosse montée, fastidieuse par le dénivelé et la chaleur direction Pont d’Espagne. Courage, le reste sur près de 800km sera juste vallonné… en attendant, il faut grimper ! 43°C. Le torrent court au fond des gorges. Petit répit de Cauterets à La Raillère, puis les voitures et la côte se font pénibles. Pointer dans un parc d’attractions, quelle curieuse idée. Bon, pourquoi pas. L’accueil se fait par une barrière de péage, charmant. Disneyland au terminus de la France, dans un cul-de-sac entre les montagnes. Parking infini et monstrueux, combien de milliers d’emplacements ? Alibi d’un Parc Naturel, la bonne blague… ou comment saccager le milieu naturel en toute bonne conscience pour en faire une plateforme géante à bagnoles qui déversera le piétinement titanesque du tourisme de masse. Vision d’apocalypse, emblème d’un monde absurde de surconsommation. Une foule compacte d’estivants bienheureux déambule sans entrevoir le moindre paradoxe. Interdit aux vélos quels qu’ils soient, panneau explicite, et il faut pointer là ! On en rajoute une couche, la bicyclette plus nuisible qu’une bagnole, le délire devient kafkaïen. Décidément, comment se sentir à sa place ici ? Quelle connerie d’avoir décidé que ça en fera un lieu de contrôle alors qu’on n’est très loin d’y être le bienvenu !

Demi-tour une dernière fois, retrouver Pierrefitte-Nestalas dans la vallée et continuer ensuite à plat sur une petite vingtaine de kilomètres par la voie verte, voilà un début d’étape facile. En tirant les grands bouts droits sur la piste cyclable, une barre rocheuse s’impose au loin sur l’horizon. La fournaise de cet après-midi brûle les yeux, air trop sec, tandis que le barrage de pierre semble se rapprocher comme dans un mirage. Pas envie d’y grimper, qu’est-ce que ça fout là d’abord, en principe je tourne le dos aux Pyrénées ! Puis en traversant Lourdes, comme par miracle la montagne droit devant disparaît d’un coup. La route n’est pas plate pour autant en s’éloignant de la ville. Franchir une belle butte permet d’accéder à Loucrup, et une plus modeste apparaît sur la route de Montgaillard… suivie d’une descente plus longue que la montée ; ouf ! À partir de là, pas de doute, c’est le retour du terrain bien vallonné, mais avec des petites bosses joueuses. En chemin vers Barbazan-Dessus, un patou décide de me prendre en chasse depuis le fond de son pré. Je pique immédiatement un sprint pour ne pas lui laisser le temps d’approcher. Grâce à Pythagore la diagonale est toujours plus longue, et je sors vainqueur de la triangulation ! Après ce coup de chaud, un arrêt au cimetière de Cavalanté est bienvenu pour faire le plein de bidons et tremper les fringues dans l’eau froide pour avoir un peu de fraîcheur. À Hourc, le petit monument en hommage aux Poilus de 14 est original, figurant semble-t-il un Saint-Georges terrassant le dragon boche… ou quelque chose du genre ! En approche de Mansan, la montée se fait plus revêche… Il en reste encore une autre pour arriver au contrôle de Saint-Sever-de-Rustan… et non pas Saint sauveur de rustines, ce serait trop facile !

Début de soirée. Le petit village déjà endormi semble écrasé par cette chaleur incroyable subie toute la journée. Coup d’œil à mon téléphone. Merde, la nouvelle est tombée cet après-midi : train du retour supprimé… en fait tous les trains, rien, à part attendre 4 jours pour remonter le vélo de Montauban. Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Je cherche, incrédule. C’est vrai, plus de trains avec vélo… plus de trains tout court dans toute l’Occitanie ! Situation incroyable et inédite. Qu’est-ce que j’irais foutre à rester 4 jours à Montauban ? Pas de fringue de rechange en plus de ce que j’ai sur moi, que je lave dans les toilettes publiques et renfile trempé… et puis surtout le nerf de la guerre, pas le budget pour 4 jours d’hôtel. Bref, démerde-toi a dit feu le service public ! J’élargis le périmètre, regarde si du côté de la Nouvelle Aquitaine des trains continuent à circuler… oui, mais pas avec vélo… Et merde ! Je cherche dans toutes les gares où je pourrais passer à proximité : rien, désespérément rien. Unique possibilité, reste une place vélo après-demain, juste avant la grande débâcle du rail occitan, sur le train de nuit passant par Saint-Vincent-de-Tyrosse. Bon, la réalité s’impose à moi, il faut que j’écourte le circuit, que j’arrête au pointage d’Hossegor ou Mimizan… pour revenir plus tard finir les 400 malheureuses bornes restantes. Fait chier, la canicule dicte sa loi. On continue à jouer les autruches la tête dans le sable avec la Planète, pour ne surtout pas gâcher la fête ; l’écologie est devenue le dernier bizness à la mode pour continuer à faire du fric, alors il faut accepter d’en voir venir les conséquences ! Nous croyons fixer les règles du jeu, mais ne sommes que des parasites irresponsables, des pions en échec. Fin de nuit, après une pause de quelques heures, la motivation en berne – je sais que quoi qu’il arrive je ne finirai pas cette sortie comme prévu – c’est reparti sur une route à plat jusqu’à l’approche de Marciac. La légère brume qui se forme au lever du jour s’estompe vite. Sur la grande place du village, les chapiteaux ayant accueilli le festival de jazz il y a quelques jours sont en cours de démontage. La quinzaine de kilomètres menant au contrôle de Bassoues se fait ensuite vallonnée.

Je flâne au petit matin dans le village médiéval protégé par son impressionnant Donjon. En repartant, la route qui passe par le tombeau de Saint-Fris continue bosselée, naviguant tout d’abord sur la ligne des crêtes aux alentours d’Armous-et-Cau, en faisant cap à l’ouest de façon un peu tortueuse pour entrer dans le quatrième département de cette province de Gascogne : Les Landes. Déjà 30°C à 10h, la journée s’annonce très chaude. Un bon décrassage intégral est bienvenu aux toilettes publiques de Beaumarchés, où la route est devenue toute plate. Vu la température, les fringues lessivées sécheront vite, remises directement sur le bonhomme ! En passant par Cahuzac-sur-Adour – les yeux dans les yeux, hein ! – je me fais asperger par je ne sais pas le combientième arroseur d’irrigation du maïs réglé en plein sur la route. Se faire rafraîchir n’est pas particulièrement désagréable en soi, mais l’odeur de captation d’eau douteuse, peut l’être, elle ! J’ai un peu de mal à comprendre l’opportunité d’une telle culture dans un Sud qui manque toujours plus d’eau ; pour nourrir les vaches du coin ça se comprend, mais bon, comme il ne semble pas y en avoir énormément dans les environs… À partir de Saint-Mont, le nom du village est un indice pour le relief, et la route se remet à gondoler pour accueillir le vignoble. L’après-midi se fait suffocant : 48°C au-dessus du bitume, cet épisode caniculaire ne fait pas dans la demi-mesure, les prévisions météo étaient largement en dessous. Je ne sais pas si la chaleur a sa part de responsabilité, mais à Miramont-Sensacq je manque de discernement, passe deux fois par l’église avant de comprendre – à la troisième – qu’il faut plutôt y tourner le dos. Il manque bien un panneau dans le village pour arriver à s’orienter correctement. Cet avis personnel se confirme quand je passe devant un ballot de paille recouvert de l’inscription humoristique, mais comportant sa part de vérité : « Vous êtes perdus, nous aussi » avec les directions de Clèdes et Pimbo. Une fois remis sur la bonne route, celle de Clèdes donc, nouvel arrêt au cimetière à l’entrée du bourg pour me tremper généreusement sous le jet du robinet, putain ce qu’il fait chaud… En repartant je dégouline de flotte, fraîcheur illusoire, je serai sec en 5mn ! L’univers est devenu un four, on frôle les 50°C au-dessus de l’asphalte. Ne pas toucher au cadre du vélo, le titane nu est devenu une poêle à frire ; et dire que pour certains le dérèglement climatique n’est qu’un simple canular ! L’étape se montre vallonnée jusqu’au bout pour atteindre Hagetmau dans une fournaise étouffante, très usante, même si la route n’a rien à voir avec les montées pyrénéennes d’hier.

Tout début de soirée, trop tard pour arriver de jour au prochain pointage de Sorde-l’Abbaye. Escale à Tilh pour quelques heures, tranquille dans l’abribus tourné de l’autre côté de la rue. Rapidement le début de nuit se remplit de fracas. L’eau tombe, orage silencieux. L’averse est forte, s’éternise, et malgré tout rafraîchie à peine l’atmosphère qui se fait moite. Fin de nuit, c’est reparti pour une fin d’étape assez roulante. Bien vite la pluie s’invite, et comme un métronome rythme les moments secs et les minutes liquides. Cette alternance se poursuit jusqu’à Sordes-l’Abbaye. Quelques instants avant l’aube, je flâne dans le village en attendant de pouvoir pointer au jour naissant.

Au petit matin redevenu sec, la route repart en traversant les faubourgs industriels de Peyrehorade. Après un passage par un méandre de l’Adour, en s’éloignant de la berge, un court raidillon à 11 % se présente pour accéder à Sainte-Marie-de-Gosse. Le vallonnement s’atténue ensuite peu à peu, moins vite que l’idée préconçue s’imagine la platitude landaise, mais là, il faut dire que je viens de l’intérieur des terres, je ne longe pas encore de près ou de loin le littoral… et ça change tout : pas de longues lignes droites interminables, aussi désespérément plates que tendues obstinément vers un infini bordé de pins plantés dans le sable, non, pas encore, je ne suis pas arrivé dans ces Landes-là ! À partir de Bénesse-Maremne je suis pris dans le flot incessant des bagnoles… mais protégé par les aménagements de la piste cyclable. La proximité de l’océan s’accompagne d’une urbanisation frénétique. Vaste usine à ciel ouvert dont le touriste est la matière première élevée sous le soleil, les pieds dans le sable. La circulation est intense, automobilistes comme vermine électrifiée plus ou moins pédalante, tous au comportement individualiste semblant ignorer les règles élémentaires du Code de la route. Gros bouchons en centre-ville. De ronds-points en ronds-points, le chaos de Capbreton se poursuit sans interruption jusqu’au site contrôle de Soorts-Hossegor. La première partie du nom de la ville semble invisible, seule la deuxième moitié subsiste dans le langage courant. Faire attention à obtenir un pointage avec le nom d’Hossegor seul – on ne sait jamais – vu le côté psychorigide de la FFVélo, fédération qui fait les yeux doux aux paresseux électrifiés, mais qui vous cherchera des poux dans la tête si vous roulez vraiment et sans vous soucier des heures !

 

Je consulte les nouvelles, c’est confirmé : aucun train les prochains jours pour affronter la fournaise en Occitane. Bon, OK. Je calcule et recalcule, pas le temps de pousser jusqu’à Mimizan pour revenir prendre mon train. Ça m’aurait fait un pointage de plus mais le retour vers la gare risque d’être trop court. De pas grand-chose, mais pas question de rater le seul rapatriement disponible ! Mon cœur fragile a déjà assez souffert de ces chaleurs démentielles, alors pas question de forcer non plus, même sur le plat. Tant pis, je me dirige directement vers Saint-Vincent-de-Tyrosse. Village sans charme, une éternité à attendre. Les heures sont sirupeuses, collantes comme l’asphalte sous le soleil de ces derniers jours. Les problèmes s’accumulent. La SNCF est un château de cartes sur le point de s’effondrer : les retards s’allongent, des trains sont supprimés, départs de feux le long des voies, train de marchandises en panne, passage à niveau léthargique ; tout ça ressemble à un très mauvais rêve, mais hélas incroyablement vrai ! Finalement comme beaucoup d’autres, le train de nuit arrive avec largement une heure de retard. Et merde, dire que – en le sachant plus tôt – j’aurais eu le temps d’aller pointer à Mimizan et en revenir. Décidément tout s’enchaîne… Fin de la première partie. Situation inédite, cas de force majeur peut-être, mais au goût amer de l’inachevé. Si, avec du temps à perdre, j’avais été certain que la SNCF me rembourse mes frais, j’aurais pu finir ce circuit et attendre à Montauban que la canicule passe… pour que les trains reviennent en Occitane, mais vu ma poisse légendaire je n’ai pas tenté le coup, peut-être ai-je eu tort ?

 

Résumé de l’épisode précédent : faute de train pour pouvoir en revenir si j’avais fait la boucle entièrement, cette province de Gascogne s’est retrouvée écourtée, amputée même, sous la canicule… Jusqu’à 48°C au-dessus du bitume, tout de même ! Depuis, les jours ont passé, la chaleur s’est laborieusement atténuée dans le Sud, les températures sont redevenues moins extrêmes, la SNCF a préservé son matériel en Occitanie, il est temps de boucler la boucle et de finir ce circuit.… où jusque-là rien ne s’est déroulé comme prévu. S’y recoller, mais pour un peu plus de 400km ça fait petit joueur et cher de billets de train. En y regardant mieux, en redémarrant de Bayonne, il y a moyen d’y ajouter les Pyrénées Atlantiques en préambule – ou en préliminaire, tout dépend à quel point vous aimez le vélo ! – avant de retrouver le tracé initial de la Gascogne en remontant vers Hossegor. Reste à voir si cette fois la chance sera de la partie… ou non ! Bref, tout début septembre, après un hors-d’œuvre orageux et bien arrosé faisant le tour du Béarn – 430km et 7 cols quand même – et être remonté de Bayonne, me revoilà sur un air de déjà-vu à traverser les deux très étalées et très touristiques villes de Capbreton et Soorts-Hossegor, là où j’en étais resté au dernier contrôle. À une quinzaine de jours d’intervalle, même s’il en reste beaucoup, moins de vacanciers cette fin d’après-midi. Rien ne presse pour atteindre Mimizan à 70km de là, parce que pour pouvoir pointer en ville il faudra attendre demain matin… pour aujourd’hui, le temps d’arriver ce sera trop tard.

Petite pause de quelques heures au déclin du jour, donc, avant d’attaquer la remontée de la forêt des Landes plein nord, un peu à l’écart dans les terres. Traversée nocturne et solitaire au clair de lune, une demi-lune plus exactement, peu importe. Elle est belle malgré tout, cette moitié de pomme dorée lancée au ciel. Quasiment pas de bagnoles sur la route parallèle à la piste cyclable, au calme pour tirer des grands bouts droits plats dans la nuit. Quelques îlots d’éclairage se présentent de temps en temps, principalement des campings au milieu de la pinède. Un peu avant l’entrée dans Vielle-Saint-Girons, l’énorme usine chimique DRT/DSM exhale une forte odeur de produits ménagers. Le remugle de crème à récurer vire à la puanteur. Un peu plus loin l’odeur se change en celle du plastique chauffé et plus loin encore, elle devient un court instant plus agréable, se transformant au final en odeur de soude plus piquante. Largement illuminé dans la nuit, le rideau d’arbres n’arrive pas à cacher, ni la silhouette ni les diverses haleines fétides du monstre, qui ronronne à moitié dissimulé derrière le rideau d’arbres. La multitude d’odeurs successives en mutation constante au fil de mon avancée, me poursuivra un moment après avoir laissé – sans regrets – le site classé Seveso derrière moi… et dire, pour finir, que la commune fait partie de la Réserve naturelle du Courant d’Huchet ! … Juste après être rendu à la forêt et à une atmosphère plus naturelle, un groupe de chevreuils traversent la route devant mes phares. Curieux que les bestioles logent là, en lisière d’une telle horreur olfactive. Vielle-Saint-Girons, deuxième fois que je rentre dans le village à quelques kilomètres de distance. Je ne suis quand même pas en train de tourner en rond ? Je ne suis pas à ce point en manque de sommeil, j’ai déjà fait bien pire ; qu’est-ce que j’en ai vécu des nuits blanches intégrales ! Alors, bizarre. Les effluves chimiques attaqueraient-ils à ce point mes neurones fatigués par deux jours de routes béarnaises ? En fait non, ma cervelle est dans son état habituel. La commune est éparpillée, séparée en trois bourgs bien distanciés les uns des autres. Je marque un arrêt pour faire le plein des bidons au cimetière de Lit et Mixe. Dans une anfractuosité au-dessus du robinet, la tête d’un lézard curieux dépasse du mur, nous voilà deux insomniaques. Dans cet univers horizontal, une petite montée inopinée à 5 % permet d’accéder à Saint-Julien-en-Born. Ce sera la seule surprise de cette étape plate menant au pointage de Mimizan.

En repartant sur la voie verte, les portillons se font vite dans le style brutal avec des chicanes en poteaux télégraphiques. En cas d’inattention, prendre une bûche prend ici tout son sens ! Plus loin, en approche de Pontenx-les-Forges, un amas de ferraille (dé)composé de tripailles de vélos démembrés laissé à décrépir se veut sans doute œuvre d’art contemporain. Quelques belles pièces dans l’enchevêtrement m’interpellent. Deux questions me viennent à l’esprit. Entre expression artistique et sauvegarde du patrimoine roulant, où se situe la légitimité ? L’art conceptuel nécessite-t-il des composants rares, alors que des pièces courantes sont plus représentatives d’un concept où la qualité de l’objet pèse peu face à la présence de l’objet lui-même ? Je n’ai pas les réponses. De quoi cogiter cinq minutes, où entre les étapes Hossegor / Mimizan et Mimizan / Sabres, la monotonie s’installe sur les grands bouts droits et plats principalement tracés en forêt. Il y a très peu de villages traversés, et rouler sur la voie verte au lieu de la route départementale n’arrange rien, rend au contraire l’avancée encore plus désertique.

Après le pointage de Sabres, le chemin repart toujours aussi rectiligne, horizontal et sans grand point de repère. Je joue dans ma tête avec le nom des villages éparpillés de loin en loin. Labrit, Cachen ; l’abri caché est sans doute celui où l’on se sent le mieux ! Après Roquefort, pas le village du fromage persillé mondialement connu – le Roquefort-sur-Soulzon, site contrôle des BCN / BPF de l’Aveyron – mais l’autre, le Roquefort tout court que personne ne connaît, et plus modestement landais, quelques creux et bosses apparaissent sur la route pour tromper l’ennui. Le pointage de Labastide-d’Armagnac n’est plus très loin, en passant par le cimetière de Saint-Justin pour faire le plein des bidons.

En repartant, un arrêt s’impose déjà au bout de quelques kilomètres. La chapelle de Notre Dame des Cyclistes mérite un détour insignifiant. J’avais prévu de dormir un peu sous le grand abri attenant, pour le symbole, et parce que quand même, la présence du routard fatigué que je suis ne devrait pas se montrer trop offensante ! Malheureusement, rien ne colle point de vue horaire, d’autant plus que dans mon empressement à essayer d’éviter les orages prévus violents en fin de parcours, j’ai pris beaucoup d’avance en arrivant en début d’après-midi. Pas le temps de flâner et de m’attarder jusqu’à la nuit, donc. Sur place, le terrain du sanctuaire est envahi de camping-cars. Une multitude. Le plus gros du troupeau est formé de retraités bedonnants, leurs transats dépliés au soleil, à brailler comme des gorets. Triste rendez-vous de squatters roulants venus là parce qu’ils savent qu’ils peuvent rester peinards, personne ne viendra les déloger. Je ne suis pas très fervent du fait religieux, c’est un euphémisme, mais un peu de respect, bordel ! Beaufitude, vulgarité, rires gras, telle semble être la Sainte Trinité du blaireau… qui n’a rien à voir avec Hinault ! La chapelle est fermée… décidément, rien à faire ! En repartant, une grimpette à 8 % se prolonge longuement en montée plus calme. Bien que déjà en pays d’Armagnac, je me demandais où pouvait bien être la vigne ? Jusque-là que des champs de maïs… puis aussitôt passé la double frontière du Gers et de l’Occitanie, le vignoble jaillit immédiatement, exubérante dans son évidence. Au terme de cette minuscule étape où le vallonnement est progressivement revenu dans le décor, j’abandonne la platitude rectiligne de cette « Route 66 des Landes », la D626 longée sur 110km depuis Mimizan, pour arriver à Cazaubon. Premier pointage pour ce retour dans le Gers. Comme pour Labastide-d’Armagnac, pas grand-chose d’ouvert, le village semble mort, accablé sous le soleil en ce tout début d’après-midi. Repos mérité, léthargie d’après-saison touristique peut-être ? Allez savoir.

L’étape commence par une belle descente en quittant Cazaubon. Pour se remettre sur pied après avoir fait une cure au pays de l’Armagnac, on pourrait en faire une autre à Barbotan-les-Thermes pour corriger les excès du breuvage, en tout cas la route y passe. La montée pour traverser le village préfigure la suite pour un bon moment : un terrain plutôt bien vallonné, entrecoupé cependant de rares moments de plats jusqu’à Larressingle. L’accès à la forteresse médiévale bordée de vignes se mérite par une côte de plus… il faudra s’y habituer pour la suite !

L’après-midi s’étire en longueur, laborieuse. Pas de répit entre les pentes. Monter descendre, monter descendre sans arrêt, rend cette étape vraiment ingrate. Fatigante, même si l’inclinaison – autour de 5 % –  reste modérée. Une petite trentaine de kilomètres et Lectoure se présente au loin, perchée au sommet de sa colline. J’atteins le site de contrôle en début de soirée dans le jour déclinant, flâne dans le village – il y a de quoi s’y attarder – puis repars tranquillement.

Le terrain reste toujours très vallonné jusqu’à L’Isle-Bouzon, où l’on redescend des hauteurs pour continuer sur une route à plat. Moment de grâce à la tombée du jour. Peyrecave, le banc sous l’auvent de l’église m’appelle. Quelques heures à passer pour ne pas arriver trop tôt au prochain pointage, ça tombe bien, alors je m’allonge là, tranquille ! En fin de nuit c’est reparti, le panache de fumée de la centrale nucléaire de Golfech rivalise avec la lune rousse. Le silence s’interrompt. Le bruit aveugle des moteurs trahi la présence de l’autoroute qu’on longe un moment tandis que le parcours aborde une longue montée au pourcentage raisonnable… qui se prolonge doucement jusqu’au contrôle d’Auvillar. Par rapport aux deux précédentes, cette étape s’est finalement montrée facile et roulante, enfin ! Le petit village est d’une grande beauté dans ses vieilles pierres, absolument magnifique dans la lumière du jour sur le point de naître.

Calme et sérénité du petit matin, route plate, une vingtaine de kilomètres de récupération, répit pour les jambes en remontant les berges du Canal latéral à la Garonne jusqu’au contrôle de Moissac. Je croise pas mal de marcheurs aux sacs à dos bien remplis, lourdement équipés et n’ayant pas succombé au plaisir dominical de la grasse matinée ; peut-être y a-t-il de nombreux jacquaires parmi eux, cheminant vers Compostelle.

En repartant, le parcours s’élève vite pour devenir à nouveau assez vallonné de bout en bout. Fini la facilité et aussi la tranquillité. Pas mal de chiens laissés en liberté dans le coin. Je manque d’être bouffé par deux clébards sortant d’un pavillon en retrait de la route – non clôturé bien sûr ! – et plus loin un autre traîne en plein champ, hésite à me prendre en chasse et renonce en me voyant partir en sprint. Un peu plus loin un grand barouf remplace les aboiements, le bruit d’un essaim géant plutôt que la menace des crocs. Le feulement suraigu des moteurs annonce un circuit de motocross, compétition du dimanche matin. Pour le chant des oiseaux, c’est râpé, il faudra repasser. Pas grave, Lauzerte n’est plus très loin, visible bien avant d’y arriver. Pour cela, il faut patiemment grimper, aller chercher le petit village sur sa butte tandis que le bourdonnement des frelons motocross continue à se faire entendre à cinq ou six kilomètres de là.

Une fois redescendue de la butte pour s’éloigner de Lauzerte, la route remonte pour rejoindre la vallée de la Barguelonne où le vallonnement s’épuise doucement. Je marque un arrêt à l’ombre à La Brousse, ça ne s’invente pas, et un chien de plus commence à sortir de je ne sais où pour me chercher des noises tandis qu’une côte commence de plus belle. L’église Saint-Martin – qu’on croirait basilique byzantine – domine sur les hauteurs le village de Castelnau-Montratier. Vision magnifique et furtive échappant à l’appareil photo en dévalant la pente à pic pour s’extraire du bourg. Les bosses bien marquées repeuplent le paysage à travers les coteaux. De rares villages occupent les lignes de crête. Montpezat-du-Quercy ne fait pas exception, et se mérite par une longue montée de plus. Tout début d’après-midi, le village est désert, écrasé de chaleur, personne dans les rues.

En repartant, je passe par le Col de Viandès et son altitude insignifiante… tout comme sa difficulté. Pourquoi avoir matérialisé un col ici alors qu’il y a tant d’autres pentes à gravir par ailleurs, et des bien plus âpres ? Mystère. Situé entre rien et rien, il ne semble pas non plus relier de vallées en particulier ; sa seule particularité est d’être situé au bord de l’autoroute ! Quoi qu’il en soit, pourquoi faire le grincheux, toutes ces montées et descentes plus ou moins usantes à la longue méritaient bien en récompense la présence d’un petit col ! Juste après, le parcours fait une infidélité à la Gascogne – de 5 ou 6km – en passant par le Lot. À partir de cette petite excursion hors sujet, la route redevient une fois de plus bien vallonnée et en particulier au retour dans le Tarn-et-Garonne, une descente au voisinage de Puylaroque fait perdre dans les 150m de dénivelé. Le temps de ces 3km de répit est appréciable dans la chaleur moite de cet après-midi. 35 degrés nébuleux, les orages prévus pour ce soir semblent commencer à planter leur décor. Je me récure aux toilettes du lac du Fourquet, et en repartant la route est toujours aussi longuement et péniblement gondolée. Comme par symétrie, la remontée suivant le lac s’étire elle aussi sur des kilomètres. Cette étape vallonnée de bout en bout laisse une impression laborieuse, même si en fait je n’ai pas perdu beaucoup de temps. Le site contrôle de Caylus s’aborde dans une bonne descente. Avec ses petites rues médiévales repliées à l’écart de la rue principale qui dévale le village dans sa modernité ordinaire, le cœur du village reste à distance du tumulte des bagnoles en transit. La fatigue de toute cette fin de parcours depuis la reprise d’altitude en sortant des Landes n’est pas à négliger. Au moins aussi pénible que le départ de ce circuit en passant par les Hautes Pyrénées, parce que ce retour casse-pattes vaut bien – à l’usure – la vraie montagne.

Après avoir quitté le village et être descendu dans la vallée bien encaissée, la progression se fait à l’horizontale, sans effort, largement sous un couvert d’arbres. Petite étape, un saut de puce, une douzaine de kilomètres faciles. Les trouées dans la végétation laissent apparaître des sommets quasi montagneux, inattendus vers l’horizon alors que la route suit la cuvette tracée par le cours de la Bonnette. En avançant, la barrière rocheuse se tient à distance puis se rapproche, prend plus de place dans le paysage, sans avoir à s’en inquiéter pour rejoindre Saint-Antonin-Noble-Val. Le village est beau dans ses vieilles pierres bordées par l’Aveyron, mais logiquement il faudra bientôt trouver un passage pour se hisser sur les hauteurs, passer la roche, et pouvoir ainsi retourner vers Montauban. En théorie rien ne presse – sauf la foudre – tous les pointages sont faits, j’ai jusqu’au lendemain matin un peu avant l’aube pour prendre mon train.

Allez, en route pour un dernier bout de chemin, donc, et pas besoin de traverser la barrière rocheuse. Finalement elle est restée de l’autre côté, sur la berge d’en face en passant le pont pour sortir du village. Plus loin, le Moulin des Ondes se présente cubique, moderne, laid ; comme un navire de béton échoué sur la rive. Rien que pour la beauté du paysage, le parcours fait un petit décroché bonus par la Route des Corniches. Comme son nom l’indique, elle se mérite par une grimpette de plus – 80m de dénivelé – mais on n’est plus à ça près, non ? Les flancs chauves blanc ou rose de la montagne, les arbres verts aux troncs et branchages bien noirs, la rivière sauvage, le sous-bois qui semble comme torturé, tout ça donne une ambiance superbe – ou inquiétante si vous êtes pessimiste ! – à cette fin d’après-midi. Petit arrêt contemplatif en haut du belvédère. La vue est redevenue dégagée, le panorama est magnifique vers la vallée comme vers le relief environnant… le début de la descente l’est aussi. En enjambant le pont métallique pour arriver à Cazals, un pêcheur à la mouche se tient au milieu de l’Aveyron. Lui aussi doit trouver les lieux sereins. Le village ne manque pas de charme, et s’en extraire demande un dernier effort pour grimper une belle côte de 1,5km de montée âpre et continue pour gagner 125m d’altitude. La dernière difficulté de ce parcours passée, la suite se fait bien roulante en traversant la Forêt de la Garrigue pour rouler plus ou moins au voisinage du cours de l’Averon. Arrivé à Lamothe-Capdeville, je me suis rapproché le plus possible de Montauban sans me retrouver en territoire urbanisé. De quoi avoir la possibilité de trouver un endroit tranquille pour passer la nuit au sec et repartir avant l’aube pour attraper le premier train du matin… et monter pas trop dégoulinant dans le TGV ! En effet, l’orage prévu n’est maintenant plus bien loin, les éclairs zèbrent le ciel dans le silence du soir. Le jour tombe, pour l’instant tout va bien, mais il va sans doute falloir repartir sous la flotte pour les dix derniers kilomètres ; tant pis ! Je m’organise un bivouac de fortune sous l’auvent face à la plage. Je suis bien, la foudre reste silencieuse. La nuit arrive discrète, je commence à somnoler quand des gens arrivent. Ils viennent pour ouvrir la cahute contre laquelle je me suis adossé… et qui est en fait la buvette des boulistes ! Après un dimanche de compétition, les deux hommes préparent un after nocturne pour le club. Ils sont gênés de me trouver là parce que je vais être dérangé par le bruit. Bon, je vais essayer de trouver autre chose ailleurs. Ils me proposent d’aller chercher une tente, comme ça je m’installe un peu plus loin au calme sous les arbres avant de repartir. Moi non plus je n’ai pas envie de les déranger, après tout je n’ai rien à faire là. C’est le monde à l’envers, je campe à l’improviste n’importe où et ce sont eux qui cherchent à m’arranger. Puis l’un d’eux qui habite juste à côté pense à l’arrière de la salle des fêtes qui dispose d’une grande surface couverte en remontant vers le centre du village. Il m’indique le chemin. Marché conclu, j’y vais, merci les gars ! Bonne pioche. Comme prévu je m’installe à l’angle du bâtiment, à l’arrière, caché de la rue et protégé de la pluie comme du vent. Parfait pour cette courte nuit. Vers les 2h du matin, dans un demi-sommeil je vois passer une forme à quelques mètres de moi. Un raton laveur géant. Sur le coup, mon esprit n’entrevoit rien d’étrange dans cette apparition ! Je ferme les yeux pour les ouvrir l’instant suivant en sentant une présence. Le raton laveur est là, sauf que ce n’est pas un raton laveur ! Je me retrouve nez à nez avec deux chiens, un énorme et un tout petit. Moment de flottement. Qu’est-ce qu’ils fichent là ? Par nature je me méfie de leurs intentions. Je ne suis pas du village, je suis l’intrus, je suis un cycliste en plus ! Je ne peux pas me carapater vite fait, toutes mes affaires sont étalées là, je suis en chaussettes. Bon, faut faire avec… les deux bestiaux sont en fait du genre collant, ils me font la fête, veulent se faire caresser, pas moyen de s’en dépêtrer. Oui mais bon, pour finir peinard ma nuit ici, c’est foutu. Je commence à ramasser tout mon barda, à replier le camp sans brusquerie… tout en faisant des papouilles à mes deux compagnons nocturnes. Le gros est tellement bien qu’il entreprend de se coucher sur mon matelas gonflable. Apparemment il lui semble plus confortable qu’à moi ! Pas facile de le récupérer et le dégonfler sans déranger le bestiau. Une fois le tout laborieusement replié sous le regard joueur de mes deux compagnons, je repars tranquillement le vélo à la main… il ne faudrait pas qu’ils me prennent pour un cycliste ! Nous remontons les rues du bourg dans la nuit. Ils ont entrepris d’aller dans la même direction que moi. Toujours pas moyen de se débarrasser de mon escorte. Petit à petit, ils finissent par prendre un peu d’avance tandis que je ralentis le pas. Accaparés par diverses odeurs à droite à gauche, ma présence devient moins intéressante. Je m’arrête un moment pour voir. Je ne sais pas s’ils sont du village ou non. S’ils habitent par ici, je ne peux pas retourner m’allonger derrière la salle des fêtes, sinon mes deux « amis » risquent de réapparaître après avoir fait leur petit tour… et j’en serai rendu au même point. S’ils sont perdus, je n’ai pas envie de passer devant eux à vélo pour le cas où, leur instinct canin de bouffeurs de mollets réveillé, ils me prendraient en chasse. Je les laisse donc partir… où que vous alliez bonne route ! Au bout d’un bon moment, je repars moi-même en scrutant tout ce que pourraient me révéler les poches d’obscurité. Personne, pas un chat, pour le coup pas un chien non plus, pas une bagnole, rien. Passant devant la plage, je fais un signe à mes boulistes toujours à leur fête et franchis le pont, soulagé, me disant qu’il est peu probable que les deux clébards soient passés par là. Rendu provisoirement au dernier bout de campagne éphémère précédent l’agglomération de Montauban, le crachin commence à tomber. Très vite, l’orage devient vite furieux. Pas de auvent à la gare, rien ne déborde l’aplomb du bâtiment, rien pour s’abriter dans les environs, rien de rien en apparence sous la pluie battante de cette fin de nuit. Je m’apprête à finir totalement trempé en attendant l’ouverture de la gare, quand j’aperçois la borne de la caisse du parking où je tiens juste debout avec la moitié du vélo au-dehors. La pluie m’éclabousse, mais je peux attendre là, même s’il y a plus confortable. Pas grave, je serai bientôt dans le train à sécher, cette province mouvementée de Gascogne enfin terminée !

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