BCN et BPF : Normandie – 50 Manche

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Kilomètres réalisés : 6375
Provinces BPF validées : 8
Départements BCN validés : 24

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Après un faux départ dont seuls les trains de banlieue sont capables pour vous faire rater les correspondances des grandes lignes, me voilà à finir ce dernier département de Normandie : la Manche, après avoir écumé le Dauphiné cet été. Un département vaste : 465km à parcourir, mais avec une belle diversité de décors : marais, bords de mer, bocages, quelques bouts de forêts, de cultures agricoles… et comme cerise sur le gâteau : le fameux Mont Saint-Michel !

 

Une semaine de travail écourtée, un jeudi d’octobre au soir, je me retrouve là, au départ de la gare de Lison un peu avant minuit. Une gare presque au milieu de rien… et en fait, pas vraiment située dans le village de Lison ! L’épaisseur des ténèbres accentue cette impression de solitude. Peu importe. Les maisons sont vite englouties dans l’obscurité que je traîne derrière moi. Le début de nuit est doux, le terrain légèrement vallonné. En arrivant sur Carentan, la route est déjà redevenue plate. Je réveille un héron dormant en bord de Taute. Je m’arrête doucement, pose le vélo et sort l’appareil photo tandis que l’oiseau s’envole dans la nuit paisible. Raté ! Désolé pour le brusque réveil, l’ami. Je profite de la ville et de son éclairage nocturne pour faire une série de photos. J’ai le temps, la nuit est redevenue claire. Au ciel, trône une bonne moitié de lune et de grosses pelletées d’étoiles. Je n’en ai pas vu autant depuis longtemps ; sûr qu’en Manche avec les trois quarts du département entouré par la mer, la pollution lumineuse est forcément moins marquée, et la voûte céleste y gagne en quantité d’astres. Quelques kilomètres avant Utah-Beach, j’aperçois sur la plaine la lueur tournante d’un phare au loin. Peut-être celui de Saint-Vaast, mais je n’ai pas souvenir qu’il y en ait un. Vous savez avec les souvenirs, on y garde surtout ce qu’on y cherche, en ayant l’illusion de l’inverse… On verra bien, car il semble être dans cette direction. La lune va se coucher dans mon dos, rousse à l’horizon, quand j’atteins la plage d’Utah Beach. Le calme. Une ambiance sereine, étonnante. Du silence entre la fureur du va-et-vient des vagues. Le contraste avec ce qu’a dû être le débarquement me donne le vertige. Je m’attarde sur les dunes. Le noir derrière, et le bruit de ces vagues aveugles, invisibles. Rien que le noir de la nuit, et du vent de bord de mer. Je retourne vers le monument et la réplique de barge « Higgins » que je ne m’imaginais pas si petite, sans doute à peine 10m, et si étroite surtout. Pour donner moins de surface frontale à la mitraille ennemie… peut-être ? En repartant par le bord de mer, mes narines sont assaillies par l’odeur âcre et iodée des parcs à huîtres. Un cordon de lumières se précise, au loin légèrement à droite, posé sur la mer. Et ce phare qui n’en finira jamais de tourner. J’arrive à Saint-Vaast la Hougue. La nuit est encore là. Sur les quais un pêcheur rafistole son navire sans se soucier du bruit qu’il peut faire. Le port semble avoir le sommeil lourd, Je flâne, rien ne presse encore.

Je repars avec toujours ce phare en point de mire. Barfleur me vient à l’esprit, c’est là qu’il doit être planté ! Un petit coup de fatigue en chemin. Je m’arrête dans un recoin de Réville, m’endors un peu, pas loin de son église particulièrement bien mise en valeur par l’éclairage nocturne. Je rouvre l’œil, les couleurs sont toujours là, glissant du toit, débordant de la nuit ; c’est bête mais ça réchauffe ! Allez, c’est reparti. À Barfleur revient une odeur iodée plus agréable, une douce odeur de vase. J’aime bien l’odeur de la vase, celle des vacances de môme, celle d’il y a si longtemps maintenant. Le phare est enfin là, le même, avec sa signature lumineuse : faisceau blanc ; un temps court, un temps long ; deux secondes, sept secondes ; inlassablement. Les vagues sont maintenant plus réelles qu’un simple bruit de ressac. Elles ont la consistance d’une frange blanche, mousseuse ; d’un aller et d’un retour sans cesse dans la fin de nuit. En m’enfonçant dans les terres, la route redevient vallonnée. L’aube arrive, et avec elle, la brume dans les vallées. Il ne fait pas trop froid. Cherbourg m’accueille avec une bonne descente et de gros nuages gris foncé en face, ventrus et inquiétants, mais qui ne sont là que pour le décor, et pas pour la pluie. Je vois enfin le littoral de jour, dans un vent et une odeur agréables… et sans me perdre en traversant la grosse agglomération. Je suis presque déçu de cette facilité, moi qui me voyais déjà tourner en rond ! L’église massive, cubique et moderne d’Urville-Nacqueville contraste avec les vestiges de ce qui en fut une autre, un peu plus loin avec ce qu’il reste : un vieux clocher, et un petit bout de cimetière autour. En quittant le bord de mer, la route se bosselle à nouveau en passant par le Manoir de Dur Écu. Après la fraîcheur relative de la nuit, je me découvre. J’enlève des couches, quitte mon imper’ à Landemer, en admirant sur les hauteurs… la mer. Je sais, la rime est lourde mais facile ! Dans cette fin d’étape vallonnée, je suis surpris par le raidillon de Port-Racine, puis j’arrive à Anderville. Le village semble calme ce vendredi matin. Si calme ; personne. Rien d’ouvert. À la porte du bar-restaurant est affiché un « fermé le vendredi ». Bon, alors ça ne doit pas être le bon jour par ici. Je repars en faisant ma photo de pointage.

Les nuages sont toujours aussi gras, mais moins gris. Les 18°C dans le vent du littoral sont agréables, même trop pour une fin octobre. Et dire que j’aurais bouclé mes cinq départements de Normandie sans une seule goutte de pluie ! C’est aussi avec des mythes que l’on construit terroirs et territoires. En repartant je m’attendais à un terrain vallonné… et il le sera. Après avoir longé de loin l’Usine de Retraitement nucléaire de la Hague, je repasse par le même tronçon bosselé qu’à l’aller pour rejoindre Gréville-Hague. Il n’y a pas non plus beaucoup de choix en routes tranquilles menant au Cap de la Hague. Tranquilles au point où même les nuages ne m’ont pas suivi dans les terres. Sans surprise, le profil se confirme : les belles descentes d’un sens sont les bonnes montées de l’autre ! Je continue vers Branville-Hague par les chemins de traverse, puis la circulation devient un peu pénible ce midi sur cette première portion de D22 qui fait la jonction entre deux voies rapides menant à Cherbourg. La route se poursuit plus calme ensuite – bien qu’encore passante – sur de longs bouts droits aux toboggans bien roulants. Les toilettes publiques de Quettetot m’offrent une pause décrassage et plein des bidons, avant de passer par Briquebec et d’arriver à Saint-Sauveur le Vicomte par cette route ennuyeuse sur laquelle j’ai été une bonne trentaine de kilomètres.

Après une pause pointage et ravitaillement au pied du château de Saint-Sauveur le Vicomte, je repars sous un beau soleil. Le Mont Saint-Michel est déjà indiqué alors qu’il sera là dans 120km… autrement dit, pas tout de suite pour moi ! Et c’est là le problème : même s’il est encore tôt cet l’après-midi, je n’y arriverai pas de jour. En été ça aurait passé, mais avec les courtes journées d’automne je ne pourrais pas pointer aujourd’hui… Me voilà dans l’obligation d’attendre jusqu’à demain matin. Maudit règlement et contraintes de passage de ces satanés BCN/BPF ! Et les 8°C nocturnes promis par la météo – sachant qu’ils sont toujours optimistes – ne me donnent pas trop envie de coucher dehors. Allez, en selle, on verra bien en chemin ! Sur la route de La Haye du Puits, je suis percuté en pleine joue par un insecte qui vient ensuite s’agripper à mon épaule : un énorme truc qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une guêpe… sauf que celle-ci fait bien 4cm de long pour un bon centimètre de large ! Mais qu’est-ce que c’est que ce machin-là ? Frelon asiatique ou non, la bestiole est impressionnante, et vu les réactions que je fais déjà avec ses congénères de taille normale, je n’ai pas vraiment envie d’être piqué. Le vent la plaque sur ma manche et je continue à rouler ne sachant pas quoi faire. Avant qu’elle ne reprenne ses esprits, je l’envoie finalement voler d’un rapide coup de paume de la main, qui au moins est bien rembourrée par le gant ! Allez, bon vent… Puis je reprends à Saint-Germain sur Ay des grands bouts droits – tout plats cette fois –pas très loin du littoral. En passant par Créances, un gros écusson à l’emblème du poireau décore le rond-point… et du poireau il y en a dans le coin : des champs et des champs, et quelques-uns plantés de carottes aussi. La mer refait une petite apparition à Pirou-Plage dans un soleil déclinant. Je passe devant les ruines du Pont de la Roque, dont les arches centrales ont été détruites par l’aviation Alliée – au bout d’une vingtaine de bombardements quand même ! – pour gêner le repli des Allemands à l’été 1944. La nuit s’apprêtant à entrer en scène, je trouve de quoi me ravitailler à une épicerie, en passant à 19h pile par Le Repas… ça ne s’invente pas ! Juste après, je trouve des toilettes publiques à Folligny. Trop près du Mont-Saint-Michel pour passer la nuit à rouler même en flânant, trop loin pour espérer trouver quelque chose d’encore ouvert sur le Rocher, et la nuit s’annonce fraîche… L’endroit est propre, allez, je vais me faire une nuit sauvage « au chaud ». Mais avant, une bonne toilette à l’eau froide et dodo !

3h30, c’est reparti tranquillement. La lune est sans doute partie se coucher à 2h du mat’ comme hier. 6°C au lieu des huit annoncés par la météo, c’est frais mais tout va bien… Sauf que le petit matin promet d’être piquant ! En attendant, j’enfile des gants en latex sous mes gants courts pour que mes doigts ne s’engourdissent pas, et mets ma serviette de toilette en plastron coincée entre les bretelles du cuissard. Il faut être inventif pour voyager léger… sans geler ! Le ciel est toujours aussi bien étoilé, alors même que la brume plaquée au sol devrait m’empêcher de le voir. Étrange. Le Carrefour de la Mouche surgit de la nuit, éclairé au milieu de rien, avant que la route ne retourne à son néant glacé, roulante et paisible, en direction d’Avranches. La ville me surprend, toute en montée alors que je me rapproche du bord de mer. Un crétin au klaxon rageur me double alors que poussif je vise le bas-côté pour lui laisser le passage… Soyez bon avec les abrutis. Personne cette nuit, il n’y a qu’une bagnole, et la bonne c’est pour moi ! En ressortant de la ville, le brouillard est cette fois d’une épaisseur tenace. Les degrés s’égrènent un à un. Dans la purée de pois, pas facile de suivre les petites routes jusqu’au Mont Saint-Michel, mais je ne me perdrais pas, tout comme je ne me suis pas perdu en traversant Cherbourg et Avranches… ça change de mes égarements perpétuels vécus sur la TriRhéna, mais c’est une autre histoire ! Me voici au dernier bout de terre en face du Rocher. Depuis mon dernier passage, La Caserne a été rebaptisée Mont Saint-Michel… Franchement, quelle connerie ! C’est sans doute mieux pour les touristes et surtout pour le commerce, mais un Mont Saint-Michel sur le continent, ça n’a pas de sens ; enfin merde ! Il fait encore nuit, et je prends la passerelle piétonne en bois, conscient de tous ces panneaux me disant que je ne suis pas le bienvenu à vélo. De toute façon, pas question de l’abandonner là et de marcher des kilomètres avec ces foutues cales aux pieds, et pas question de ne pas le retrouver au retour. Faire pointer un brevet de cyclotourisme à un endroit où on est persona non grata est aussi quelque chose qui me dépasse, ça n’a pas vraiment de sens non plus…

J’arrive sur le foutu Caillou après que ma roue arrière se soit effondrée, coincée entre les deux rangées de planches de la passerelle ; et moi encore debout, stoppé net. Il n’y a pas à dire, on se sent bien accueilli par ici ! J’ai échappé au pire. Ma roue ne s’en sort pas trop mal, voilée quand même… on verra ça au retour. Sur l’esplanade au pied du mont, se trouvent des camions de marchandises et celui des éboueurs. C’est l’effervescence des chariots élévateurs avant le petit jour. Il faut faire place nette. Nettoyer et ravitailler le joli royaume avant que ne débarquent les flots de touristes. Je passe incognito et gare mon vélo à l’abri dans un coin, juste derrière les remparts. Encore trop tôt pour les grincheux sans doute, cet horaire m’arrange bien. Je déambule un peu. Les monceaux de frites grasses échoués à même le sol doivent sans doute faire partie de la décadence de fin de nuit. Je trouve un restaurant d’ouvert – pas celui qui vous fait des omelettes à 40 balles avec des œufs en or, si vous voyez ce que je veux dire – pour pointer et me réchauffer cinq minutes avec mon expresso, et causer un peu au barman. Même hors saison ça n’arrête pas par ici, alors je ne tarde pas trop. Après quelques photos je repars vite fait pour éviter d’être emmerdé avec mon vélo, alors que les premières navettes déchargent leurs piétons avides. Vous l’aurez compris, je n’aime pas le Mont Saint-Michel. Ou plutôt je n’aime pas ce que l’on en a fait : un piège à touristes de masse. Je lui préfère son petit frère, de l’autre côté de la Manche : le Saint Michael’s Mount, tout au bout de la pointe des Cornouailles anglaises, moins grandiose mais tellement plus intimiste. Et puis je n’aime pas qu’on me dise qu’un simple vélo va tout dégrader, que ma simple présence peut tout mettre en péril, tandis que les tires palettes bringuebalés sans ménagement sur le pavé ne gênent pas la santé des vieilles pierres. Si le touriste préfère se retrouver avec des gogos sur la photo plutôt qu’un guidon, il faut le ménager. Il faut le voir revenir ; il ne faut pas le gêner, ne pas dévier d’un centimètre le trajet allant du porte-monnaie au commerçant ! Bref, je fuis sans remords cet attrape-nigaud planté dans la brume.

La côte se devine au loin, derrière le trait rose laiteux, sous la mince frange annonçant la venue de l’aube au travers du brouillard. 2°C, le petit jour est piquant. Zéro pointé pour la météo et ses huit degrés de prévus. Merde, ils pourraient penser aux voyageurs damnés. Franchement, on sent bien la différence ! En m’enfonçant dans les terres, la température remonte à cinq, j’aurais presque l’impression d’une chaleur tropicale, puis redescend vite fait à trois degrés. Ils auront du mal à remonter, et mon moral aussi ! En passant par Les Chéris, le soleil écarte enfin les écharpes blanches, tandis que la route se vallonne à nouveau avec le retour du bocage dans le paysage. Les bosses sont de plus en plus marquées avec 12 % pour rejoindre Mortain.

La montée se poursuit pour traverser le village, et après un pointage et un ravitaillement bien mérité depuis cette fin de nuit glacée jusqu’à ce matin brumeux, je repars en passant par la vaste Abbaye Blanche – aux murs en fait totalement gris ternes – qu’on croirait sur le point de voir tomber en ruines majestueuses. Après Saint-Barthélemy, j’attaque une courte descente avant de remonter de plus belle de Brouains à Gathemo, pour cinq kilomètres d’une côte laborieuse, même si le pourcentage ne doit pas être en réalité bien extraordinaire. Après quelques bosses, la deuxième partie d’étape redevient plate, sauf dans la belle cuvette à quelques kilomètres de Condé sur Vire… où je déraille en attaquant la remontée à 13 % et fini par terre presque à l’arrêt ! L’amour-propre est bien plus blessé que le bonhomme, et je me mets à gueuler comme un putois, avant de repartir pour Condé sur Vire à deux pas.

Les grands bâtiments de l’usine Elle & Vire dominent l’entrée de la ville, ses cuves en inox brillent sous le soleil d’automne, puis je poursuis mon chemin en allant récupérer le dernier pointage du Calvados que je n’avais pas fait – faute de temps – avec le reste de ce département. Je file vite fait pour ce petit détour vers Balleroy sur Drôme à travers une courte étape toute plate. En chemin, la traversée de Saint-Jean des Baisants me fait sourire… Allez savoir pourquoi !

Il n’y a maintenant plus rien à pointer, mais il me faut encore rejoindre la gare de Lison en commençant par une longue pente douce à travers la forêt de Cerisy – encore bien verte – qui tarde à revêtir ses teintes rousses et dorées. La route se fait ensuite toute plate et bien roulante, de quoi attraper mon train avec une bonne marge d’avance. Voilà, les cinq départements de la Normandie sont enfin bouclés… Ça, c’est fait !

 

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