BCN et BPF : Bretagne – 22 Côtes-d’Armor & 29 Finistère & 35 Ille-et-Vilaine & 56 Morbihan

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Kilomètres réalisés : 19970
Provinces BPF validées : 26 / 36
Départements BCN validés : 67 / 91

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Cette province de Bretagne, je l’avais commencée plus tôt dans l’année avec le département de Loire-Atlantique, tout plat et géographiquement parlant le cul entre deux chaises. Pas bien ni long ni fatiguant, mais pour caser les quatre autres en une seule sortie, pas simple. Il a fallu composer avec les problèmes de santé, le manque de temps disponible, la difficulté de trouver un créneau météo pas trop mauvais et suffisamment long… le tout en évitant la période touristique trop chaude aux routes saturées de bagnoles. Après avoir concilié tout ça, voyons le tracé. Naturellement, pas de cols pour cette fois ! Et pourquoi pas ? Il y en a tout de même quelques-uns, pas bien hauts, de dispersés en Bretagne. Je n’allais pas faire l’impasse sur les Monts d’Arrée et le Roc’h Trévezel, bien connus du Paris-Brest-Paris… Euh, si en fait, mais pour passer voir son faux-frère, le Roc’h Trédudon. Du coup en cherchant bien, pas un, mais deux petits cols à franchir, celui de Lanfains à 322m et du Tédudon à 385m… quand même ! Ne riez pas, il ne faut pas sous-estimer la difficulté de cette sortie de près de 1300km au vallonnement quasi-constant, surtout dans l’optique de le réaliser d’une traite, ici en quatre jours et demi en voyageant léger – spartiatement, même – comme à mon habitude. Bref, passé un démarrage en douceur, les moments de répits seront assez rares dans ce circuit aux mille bosses. Vous avez aimé le Paris-Brest-Paris, ou détesté ses innombrables buttes, vous en aurez au moins autant sur ce parcours assez exigeant, d’autant plus avec la canicule du plein été et la circulation estivale. Aller au bout de monde pour voir la fin des terres émergées se mérite après tout… alors, on y va quand même ? Sûr que oui !

C’est parti. Le TGV déjà bondé de ses premiers vacanciers me recrache à Vitré. J’ai été trop optimiste sur le calme avant la tempête de cette fin juin. Besoin d’aller nulle part, premier pointage direct. Après, faut pédaler. Le quartier médiéval est très joli, et au bout de quelques centaines de mètres seulement, une première longue côte apparaît pour traverser la ville. Montée pas trop difficile, avertissement sans conséquence, mais qui annonce un terrain vallonné. La silhouette minérale de la petite chapelle à l’entrée de Taillis, confirme sans ambiguïté que je suis bien sur les routes de Bretagne. L’ardoise, la pierre, le granit, les hortensias ; le décor est posé. Fougères n’est pas loin mais l’air déjà chaud, 30°C en milieu de matinée pour une étape finalement bien bosselée.

Comme un air de déjà-vu, la ville se présente au terme d’une mise en jambes de 30km à peine. À part les différents lieux où j’ai pu habiter, Fougères est sans doute la ville où je me suis le plus souvent rendu, à vélo, mais pas que. Silhouette familière, toujours, pour la forteresse, sentinelle patiente et millénaire qui veille imperturbablement sur les portes de Bretagne, restées béantes et maintenant endormies dans les courants d’air. La route repart bien roulante, avec une première partie tranquille et presque plate. De la lande bretonne, seuls les bas-côté en gardent le souvenir avec un liseré de fougères – la plante, cette fois ! – formant un rideau de camouflage devant les champs cultivés. Une longue descente tranquille mène à Rimou en perdant une altitude qu’il faut reprendre plus tard en approche de Bazouges-la-Pérouse. Les 36°C de ce midi deviennent impitoyables en direction de Combourg… à cause du bitume tout neuf qui réfléchit la fournaise dans une âcre puanteur concentrant impitoyablement les ardeurs du soleil.

C’est reparti pour une étape bien roulante toute plate, cap au nord pour rejoindre le rivage via Dol-de-Bretagne. Sans faire de trop grands détours, j’ai essayé d’incorporer à ce circuit dans la mesure du possible, les sites du Tro Breiz (les villes des sept Saints fondateurs de la Bretagne, où il manque ici St-Malo et St-Brieuc). La chaleur exacerbant le désir de rivage, à Saint-Benoît-des-Ondes la mer fait enfin son apparition. En sortant du village, les cabanes ostréicoles s’alignent au bord de la route, exhalant la forte odeur iodée et musquée qui va avec. Longer le littoral fait chuter la température de 38 à 30°C… Tant mieux, l’approche de juillet est féroce. Je connaissais la Bretagne plus tempérée. Le vent fait du bien, la vue sur mer aussi. Vivre à son voisinage doit rendre blasé, et pourtant… Pour ma part je la retrouve toujours – si rarement – avec le plaisir de l’insolite tant elle a une place trop restreinte dans ma vie. L’arrivée au contrôle de Cancale permet de bénéficier d’un large panorama sur la baie. Au cimetière, un autre cyclo est en train de jouer les canards en s’aspergeant d’eau au robinet. Je procède à la version simplifiée : je fais le plein des bidons, passe mon t-shirt sous le jet de flotte et le renfile tout dégoulinant en souhaitant une bonne route à mon congénère du moment.

En repartant, je sais que tout sera sec en moins de 10mn, mais sur le coup l’humidité glacée fait le plus grand bien. Éphémère également, la baisse de température ne dure que le temps d’avoir le rivage en vue. En retournant un tant soit peu dans les terres, juste de quelques kilomètres, l’impression d’être dans une étuve m’accable de plus belle. 41°C et ça n’a pas fini de monter. Sous les roues, un bitume ramolli, consistance de caramel mou ; les pneus crissent, émettent des bruits de succion. Si au moins cela pouvait permettre me les rechaper, ça serait toujours ça de pris au lieu de rester simplement ventousé à la route ! À Port-Saint-Jean, la Rance ne se fait pas encore estuaire mais est déjà bien large. Les terres s’effacent, lui cèdent le passage le temps d’offrir un beau panorama. Sur l’autre berge, à Port-Saint-Hubert, il faut monter un peu pour quitter le village. Les bosses se répètent en sortie de Plouër-sur-Rance et de Pleslin-Trivagou, pour donner à cette deuxième partie d’étape un caractère gondolé. Dans la bonne côte qui se dirige vers le centre-ville de Saint-Cast-le-Guildo, les arbres à papillons exhalent une parfum capiteux, délicieux mais entêtant. La traversée de la station balnéaire se mérite car le village n’est pas tout plat.

La chaleur continue de monter, un après-midi au purgatoire. Les heures filent, la fournaise me retient. 18h, le cardiaque que je suis à beau s’accrocher en essayant de ne pas trop forcer, boire plus qu’une locomotive à vapeur, c’est le coup de pompe magistral, grosse fatigue. Abri providentiel, je m’assois à l’ombre du calvaire en sortie de Hénanbihen. Je me dis que, et de une j’échappe au soleil cinq minutes, et de deux la compagnie de Jésus n’est pas si mal ! Après tout, on emmène dans ses rêves et cauchemars les compagnons que l’on peut. Qui sait si quelqu’un mieux que lui, peut comprendre ce qu’on peut endurer à 44°C au dessus de l’asphalte sans être un  surhomme… Mais il faut y retourner, avancer. Le vent n’offre même pas de fraîcheur, brasse l’air qui n’est qu’un voile de tiédeur ; faire avec à défaut de pouvoir faire sans… En surchauffe au milieu de cette étape vallonnée, je me perds à Lamballe. Mauvaise interprétation de mes notes, manque de discernement, simplement une question d’épuisement ? Quoi qu’il en soit, toujours puriste, toujours pas envie de GPS, pas envie que ma liberté dépende d’une machine qui me dise où aller. Néanmoins tout a un prix : beaucoup de temps perdu ! Bref, j’arrive au pointage de Moncontour plus tard que je l’aurais prévu.

En repartant en début de soirée, la route continue dans la montée pour un petit moment. Passé La Gare-de-Moncontour, ça monte toujours. En fait, le profil est à la hausse jusqu’à l’entrée de Plémy, et plus tard redescend doucement par paliers. Ensuite, les longues bosses moins marquées reprennent leur droit, plus faciles. La fin d’étape, en récompense à cette journée passée dans le brasier, devient très roulante depuis Le Quillio. Bivouac à Mûr-de-Bretagne après avoir pointé, tandis que le jour s’apprête à tomber. Arrêt obligatoire pour ne pas arriver trop tôt au contrôle suivant. En me décrassant aux toilettes publiques, je m’aperçois que je suis complètement recouvert de grains de sable, poussière de mer portée par le vent du littoral.

3h du matin, c’est reparti pour se caler tranquillement sur le lever du jour à Quintin. L’air de la veille est devenu frais, presque froid. L’étape semble un peu vallonnée, mais dans le noir allez savoir vraiment, la nuit modifie souvent les perceptions et donne des facilités dans le relief. En tout cas la route est paisible, personne, aucun bruit à part la sérénade de quelques crapaud joyeux dans l’obscurité. De rares étoiles peuplent le ciel tandis que la lune basse est partie se coucher depuis un moment. Ténèbres sereines, la compagnie des batraciens ; tout va bien. Finalement, après un départ de Mûr de Bretagne doux et tranquille, le chemin devient bien vallonné et le brouillard se lève très épais sur Le Bodéo. Pour ne pas en rester là, le crachin se met à tomber lui-aussi, et on ne voit plus grand-chose en fin de nuit… à tel point que juste après Lanfains, plus haute commune de Bretagne, son col éponyme passerait presque inaperçu sans sa pancarte… Le contrôle de Quintin est tout proche, il n’y a plus qu’à attendre que le jour laiteux débouche un peu le clair-obscur à défaut de chasser la brume.

C’est reparti dans le brouillard et l’humidité poisseuse du petit matin… en passant par Mississipi. Inutile de chercher ici un cours d’eau majestueux, il n’y a rien à part un ruisseau insignifiant qui passe totalement inaperçu si on ne sait pas qu’il existe ! Ce n’est malgré tout pas une chimère de brume. Du grand ouest français au grand est américain il n’y a qu’un pas, et à un « P » près on était en Louisiane, c’est le panneau qui le dit. Le mystère de l’orthographe se dissipe facilement quand on sait que les deux « P » étaient l’usage dans les éditions du Larousse jusque dans les années 30… pour fixer la graphie en 1980 seulement, après 50 ans d’hésitation et les deux orthographes admises ! Mais pourquoi un nom pareil à ce village ? Mystère, en tout cas le lieu-dit existe depuis belle lurette, déjà au XIXème siècle de manière certaine. Après les nébulosités du dictionnaire, le brouillard se dissipe lui aussi peu à peu dans le petit jour ; persiste le fin crachin. Après un début d’étape plat, la route se fait progressivement vallonnée. Les ruines de l’église de Bringolo sont émouvantes avec leur toiture effondrée par l’incendie. Espérons qu’avec ses solides murs toujours dignement debout elle retrouve vite un toit. La jolie petite cité de Pontrieux présente une longue côte pour la traverser, comme si elle voulait retenir le visiteur. Cette étape est finalement bien gondolée jusqu’au contrôle de Tréguier, qui comme Saint-Cast-le-Guildo offre un profil très accidenté.

L’étape est très courte, 25km, et encore une fois bien vallonnée. En revenant vers le bord de mer, une volée de mouettes passe au-dessus de moi en criant. Que serait la Bretagne sans ses mouettes ? D’un autre coté, en bon banlieusard parigot j’hésite, est-ce vraiment des mouettes ou bien des goélands… Finalement j’en sais rien ! Peu importe. Sur la fin il faut gravir un raidillon à 11 % entre Perros-Guirec et Ploumanac’h, en approche du pointage au site des rochers de granit rose.

En repartant vers le sud et les Monts d’Arrée, une très longue côte se poursuit sur des kilomètres pour sortir de Lannion et s’en éloigner. Les étapes qui se succèdent depuis ce matin, de plus en plus bosselées, commencent à devenir ingrates. Sur le chemin de Huelgoat, les bosses s’aplanissent avant Scrignac. La route devient plus roulante sur les derniers kilomètres, pour plonger vers le lit du Squiriou en perdant pas mal de dénivelé. L’embellie est momentanée, éternel recommencement parce qu’après avoir rejoins le cours d’eau, il faut bien évidemment regagner le dénivelé perdu. Même si le ciel persiste dans sa grisaille, le village accroché à son lac reste joli.

En repartant, la route monte en douceur vers La Feuillée. Chemin familier encore, bien connu du Paris-Brest-Paris au cours de la montée du Roc’h Trévézel… et qui commence alors de plus loin, de plus bas, depuis Carhaix. Cette fois je viens pour son faux-jumeau, Le Roc’h Trédudon et son col… qui se montre facile. Forcément, puisqu’à La Feuillée tout le travail est déjà presque fait. Au sommet les éclaircies viennent avec les hauteurs, et la vraie lande bretonne se dévoile enfin entre les apparitions rocheuses. En ce moment les bruyères ne sont pas en fleurs, privant le paysage de leur pointillisme rose violacé ; tant pis. Cette étape n’est pas trop pénible, moins que la précédente mais toujours bosselée, avec de plus longs moments de montée et ses bons moments de descente également, comme le retour à plat sur Plounéour-Ménez pour arriver au contrôle de Saint-Thégonnec. Saint-Thégonnec-Loc-Eguiner pour être exact avec les regroupements de communes, mais il ne faut pas s’embrouiller avec Loc-Eguiner-Saint-Thégonnec rencontré quelques kilomètres avant sur la route. Des bourgs distincts aux deux noms renversés, cocasserie géographique propre à entretenir la confusion. Mais bon, difficile de se tromper devant la majesté de l’église protégée par son enclos paroissial, peut-être le plus célèbre de Bretagne… ou au moins du Finistère. Par certains aspects et l’ambiance générale, on pourrait presque y trouver un petit air de Palais Idéal du Facteur Cheval… Enfin c’est un avis très personnel !

Pour rejoindre Le Conquet, il y a mieux à faire que de couper brutalement à travers les terres en suivant au plus court la N12 à vol d’oiseau. Mieux mais plus long aussi pour une grosse étape, plus de 110km. Allez, cap au nord pour un crochet vers un autre site du Tro Breiz : Saint-Pol-de-Léon. Sur le chemin, au fond de la Baie de Morlaix la mer réapparait, surplombée par le damier de maisons blanches aux toits d’ardoise noire saupoudrées sur la rive d’en face, à Carantec. La route, la même sur 42km – la D10 – vire ensuite plein ouest plus ou moins près du rivage. Ç’est dans ces moments-là, où dans le cyclisme de longue distance il vaut mieux avoir une riche vie intérieure ! Dans les villages traversés, les premières bosses sont énormes puis après vite fait, tout se nivèle totalement, même plus de quoi tromper l’ennui ! C’est assez étonnant comme cette portion de Finistère nord, avec ses côtes déchiquetées, semble tout plat aussi bien à l’horizon que sur cette route interminable. La nuit s’apprête à entrer en scène, ne pas arriver trop tôt au pointage suivant, avant le jour, alors je continue un peu au voisinage de la côte des Abers avant de marquer un arrêt de quelques heures à Tréglonou… puis c’est reparti à 3h du mat’. Dans la nuit tout tournoie : les lumières rouges des éoliennes tout au loin, les phares sur le rivage, le vent fort qui souffle solitaire. Seule reste imperturbable, droit devant, la ligne d’orage que je talonne. La foudre, bien visible dans sa menace stroboscopique encore muette me dissuade de me rapprocher trop vite. On dit le Breton têtu, alors j’essaie de montrer aux éléments que moi aussi j’ai un côté penn-kalet ! Je ne sais pas si mon obstination a été efficace ou non, mais je ne rattraperai jamais la zone de foudre jusqu’à atteindre le contrôle du Conquet sur une route quasi plate, bien roulante. Le tonnerre s’est perdu dans l’océan, je suis arrivé au bout du monde, à la première pointe du trident finistérien dirigé vers les Amériques.

Curieux, à la pointe St Mathieu, cette église ruinée qui se trouve enchâssée entre deux phares. Étranges aussi ces nuages qui se retrouvent un coup anodin, un coup menaçant, alternativement au gré du vent. En revenant à l’intérieur des terres, sur la route de Saint-Renan, je suis surpris par un raidillon à 8 / 11 % et je reste comme planté à le gravir péniblement. Plus tard, la circulation est infernale dans les environs de la métropole brestoise à l’heure de l’embauche. Pas le bon créneau horaire, et pourtant j’avais prévu de passer bien au large de l’urbanisation pour être tranquille. Les très longs toboggans de cette étape bosselée n’aident pas à fuir au plus vite Brest dans son contournement. Sur le chemin de Daoulas, après être monté laborieusement par créneaux, la descente fait perdre près de 150m de dénivelé d’un coup. De longues montées ingrates, interminables, font la symétrie, comme celles du Faou et Rosnoën qui font prendre au moins 120m. Ensuite la route se stabilise sur les crêtes que le vent frais balaie fort. Le paysage s’ouvre sur un vaste panorama, gondolé où porte le regard. Contrairement à hier après-midi où j’étais surpris par la platitude au nord, le Finistère sud change de physionomie : la vue est accidentée dans tous les sens. Les trouées à travers la végétation font entrevoir un temps la mer. Les longs toboggans sont de plus en plus pénibles à mesure que l’on s’avance vers la presqu’ile de Crozon. Le vent souffle de plus en plus fort et dans les grandes montées, je me traîne lamentablement. Dans ces conditions, l’arrivée à Camaret-sur-Mer est un soulagement.

Petite visite au deuxième bout du monde, face à l’Atlantique, à la Pointe de Pen Hir, et c’est reparti… dans l’autre sens, forcément ! Sur le retour de la presqu’île, les bosses ont l’air plus courtes, moins hautes. Effet psychologique, vent plus favorable, routes plus faciles en passant par le sud de la péninsule ? Sans doute la combinaison de tout cela. À Crozon, un peu de répit est offert par la voie verte. Pas de dénivelé, pas toutes ces bagnoles qui me fatiguent depuis ce matin ; enfin !Je peux profiter d’un peu d’ombre et troquer la fureur des moteurs contre le chant des oiseaux. Seul problème, toutes les portions ne sont pas goudronnées, chemin de terre et bitume alternent de manière curieuse. Un sur deux, pas de jaloux, mais toujours roulants les uns comme les autres. En approche de Pentrez, la route se jette dans une descente vertigineuse. Au fond de l’énorme cuvette, la remontée est moins effrayante mais demande quand même un bon effort pour grimper ses 10 %. L’océan apparaît ensuite dans le village proprement dit et son enfilade de plages… qu’il faut quitter par un âpre raidillon débutant à 15 %. Comme à la pointe de Crozon, sitôt quitté Douarnenez le vent se fait bien sentir, tempétueux et d’autant plus fort que je m’approche lentement de la pointe du Raz. Le vent infernal balaie tout, j’ai du mal à tenir la trajectoire. La route est cependant plate mais il faut s’accrocher contre les assauts tempétueux. Apprenti marin échoué en terre ferme, je tire les bords ; avancée laborieuse. Les éoliennes tournent à plein régime avec un bruit qui rappelle le claquement sec d’un lasso mêlé aux bruits métalliques d’imagerie médicale, scanner ou IRM. Par ici, pas de doute, elles doivent être rentabilisées vite fait. La descente entre les deux Pointes, du Van – du vent, surtout ! – et du Raz se fait dans un décor majestueux. La grande cuvette offre un écrin naturel grandiose. C’est le seul endroit que le vent n’atteint pas, et en remontant de l’autre côté, en approche de la Pointe-du-Raz, tout le souffle ressurgit de nouveau, le vent furieux qu’on ait pu le faire taire. Ici plus qu’ailleurs, réside la beauté sauvage des paysages du Finistère : l’eau, le vent, la roche et rien d’autre. Peut-être juste une touche de vert et une pincée de sel pour finir le tableau.

En repartant en début de soirée, 50km à faire sur cette D784…  Il faut de nouveau puiser dans ses ressources intérieures pour affronter une telle distance sur la même route… Après 800km, il ne faut pas sous-estimer l’effet de l’ennui ! Hélas, en tournant le dos à ce dernier bout du monde je ne bénéficie pas vraiment d’une route facile… parce qu’en descendant cap au sud, le vent stoppe presque totalement. Incroyable, aucun espoir qu’il me pousse. Seule la face nord de cette fin des terres est balayée par le souffle, et la face sud reste apparemment tranquille. Cette indulgence des éléments a pu aider la jolie petite ville d’Audierne à se développer paisiblement à l’abri des vents dominants. Pour briser la lassitude de cette route interminable, je marque un arrêt à Plozévet à la tombée du jour. Le Monument aux Morts derrière l’église est indiscutablement breton…. Redémarrage à 3h, question d’habitude. Dans l’air flotte une odeur familière… mais pas de bord de mer. L’usine de matière plastique ronronne doucement sur un rythme régulier, émettant une odeur proche de celle du filament chauffé des imprimantes 3D. Traversée nocturne de Quimper. La ville est endormie, la route facile pour arriver au contrôle de Concarneau à l’aube.

Tout est paisible, la ville close sommeille encore, parfait pour flâner un instant au calme de ses vieux murs. En retournant vers l’intérieur des terres, les bosses se font plus courtes qu’hier, mais toujours présentes de bout en bout pour arriver jusqu’au Faouët sur un terrain bien vallonné.

En repartant, le chemin devient bien roulant. La chaleur grimpe vite dans la matinée, rapidement accablante. La route perd progressivement de l’altitude, et passé le Bas-Pont-Scorff il faut remonter la pente. Les petites bosses restent toujours présentes. Début d’après-midi, sous la fournaise l’écorce des pins cliquette. Après Plouhinec, la piste cyclable à l’ombre des grands pins et des chênes mêlés n’apporte pas la moindre fraîcheur. L’odeur surchauffée de bois et de résine est entêtante. Entre claquettes et xylophone, mes roues jouent aux marteaux piqueurs sur les passerelles de bois. Le long de la route, à droite, à gauche, des deux côtés, portions évaporées ; tantôt là, tantôt rien, l’ordinaire des pistes cyclables sans aucune cohérence. Beaucoup de circulation en direction de Quiberon. La voie verte à l’entrée de la presqu’île permet d’échapper au piège du flot de bagnoles. Une fois l’asphalte évaporée en chemin de terre, on débouche à Saint-Pierre-de-Quiberon sur la route serpentant le long de la Côte Sauvage. Le vent de plus en plus fort rend l’avancée très fastidieuse vers le sud. L’impatience d’atteindre Quiberon, liquéfié par la température, donne l’impression de perdre beaucoup de temps sur cette route de bord de mer, magnifique, mais le contour de la côte déchiquetée semble rallonger la distance et raccourcir le temps dans un vent très fort qui freine bien.

L’après-midi déjà bien entamée, il est temps de repartir. En théorie pas bien compliqué : demi-tour puisque l’eau est tout autour, sauf au nord. Je tourne un peu en ville, me perd. Je demande à un habitant, il m’indique un chemin par lequel je suis déjà passé. Instant de perplexité. Devant mon incrédulité, il rajoute, sérieux : « C’est par là, sinon l’autre sens ça vous fait repartir pour un tour ! » Dubitatif, j’hésite un peu puis préfère suivre mon instinct plutôt que son conseil. Je vais à l’opposé pour m’apercevoir au bout d’un moment… que je suis bien sur la bonne route. Il est de ces gens qui ne trouvent pas mieux que de vous envoyer à l’inverse, pour la simple satisfaction – puérile ou sadique – de vous imaginer perdu. Ce ne sera ni la première ni la dernière fois, c’est ainsi, le monde est imparfait ! Revenu avec soulagement sur le continent, le pointage de Carnac n’est plus qu’à deux pas.

Qui dit Carnac dit mégalithes, ou plus précisément la plupart du temps, menhirs. Inconcevable de ne pas aller à leur rencontre… même s’il n’y a pas vraiment de voisinage direct entre les rochers et le village. Alors c’est reparti par le modeste Alignement du Ménec – apparaissant comme de simples dents plantées dans leurs gencives d’herbes – puis celui de Kermario, se montre plus impressionnant. Succès des compétions nautiques oblige, La Trinité-sur-Mer semble complètement bâtie autour de son important port de plaisance. Alignement des mâts et des coques contre celui des pierres levées, tout est question d’époque ! Sur l’autre rive du Crac’h, direction Sainte-Anne-d’Auray, via Auray tout court. C’est le pointage alternatif à Belle-île. Que voulez-vous, outre le côté un peu surréaliste d’incorporer une île bien détachée du continent à un brevet cycliste – en pédalo le concept pourrait se défendre plus facilement ! – passer près d’une heure dans un rafio à essayer de contenir ses tripes… et autant dans l’autre sens une fois l’estomac lui-aussi remis dans le bon sens ; bof, bof, très peu pour moi. Dans le soir, le sanctuaire apparaît grandiose, le soleil rasant joue à passer au travers de la Scala Sancta, inonde le vitrail de sa lumière pour envelopper la basilique de l’autre côté de l’esplanade. Contrejour insaisissable pour l’appareil photo, de quoi y voir pour les 400 ans de l’apparition de Sainte Anne une contradiction divine… pourquoi pas ? !

Traverser Vannes n’est pas si compliqué, l’heure tardive est toujours un atout pour sillonner les grandes villes. Comme partout ailleurs, le béton gagne du terrain, des lotissements ont surgi à l’est depuis mon dernier passage, s’essayant au cubisme sur quelques étages, loin de l’esthétique des maisons à pans de bois du vieux Vannes médiéval. Retrouver le centre-ville de Theix est surprenant, tellement il est détaché du panneau d’entrée du village. La suite et sans surprise et la nuit tombe sur la route bosselée en direction de Rochefort-en-Terre. Le petit village est joli, mais comme j’y ai déjà pointé, pas besoin de m’arrêter cette nuit… Tant mieux, je poursuis tranquillement mon chemin, rien ne presse, les ténèbres s’installent, la lune veille.

Après Pleucadec, je rejoins la voie verte. Retour en terrain plat. Les portillons sont suffisamment larges pour ne pas mettre pied à terre, mais pas assez pour ne pas risquer de se casser la gueule dans la nuit… sans un minimum de prudence. Ceci-dit, arrêter le cycliste téméraire est un peu le but de ces installations ! Les heures passent. Après la fournaise de la journée, la température a dû facilement repasser sous la dizaine de degrés… pas trop ce qui faut pour aider à tenir éveillé. Entre La Chapelle-Caro et Le Roc-Saint-André, en quittant cet intermède de néant paisible – même sans les ténèbres, les anciennes voies SNCF reconverties n’offrent souvent pas grand-chose d’autre que la solitude – la fin d’étape redevient vallonnée. L’aube paresseuse est lente à arriver, promesse en suspend depuis 4h du matin. Impatience. Ne pas se presser pourtant, aller juste assez vite pour se réchauffer mais pas plus, rien ne sert d’arriver au pointage de Josselin avant l’aube.

Le château attend paisiblement le voyageur venant de l’autre berge de l’Oust, puis après la rivière dont le nom est une invitation à partir, une longue montée semble au contraire vouloir retenir le visiteur. La route tournicote à l’écart de la furie matinale de la N24, en terrain plat tandis que je respire des petits nuages de froid blanc. Après Ploërmel, encore calme en début de matinée – où je marque une pause décrassage aux toilettes publiques – c’est le retour en deuxième partie d’étape des bosses interminables jusqu’au pointage de Paimpont.

En quittant le village au bord de son étang, par-delà les arbres le soleil resplendit. Pourtant la forêt est obscure, de quoi l’imaginer remplie de magie et de sortilèges. On comprend facilement que le mythe de Brocéliande se soit enraciné ici. Bien plus loin, sorti du couvert végétal, l’imposante église de Maure-de-Bretagne – toute dans les tons sombres elle-aussi – splendide avec ses volumes complexes, se prête bien à la photo tandis que de bout en bout les bosses sont usantes. Le dernier pointage de Grand-Fougeray est un soulagement, plus de 1200km de fait !

J’étais déjà passé dans le village de nuit, comme un bonus, en faisant plus tôt dans l’année le tour de ce bout de Bretagne qui n’est pas la Bretagne : la Loire-Atlantique. Le soleil du début d’après-midi n’apporte pas grand-chose. Avant de repartir, je m’arrête aux toilettes publiques attenantes à l’église pour un décrassage intégral. De quoi arriver encore frais pour prendre le TGV du retour à Vitré sans empuantir les autres voyageurs. Merde, occupé. Je ne sais pas ce que fabrique le bonhomme là-dedans – il n’a quand-même pas la même idée que moi de s’en servir de salle de bain itinérante ; les gens sont gonflés à la fin ! – mais te temps passe. La chasse d’eau se répète : trois, quatre, cinq, six fois. J’essaie de me dire que cinq ou dix minutes ne vont pas changer fondamentalement mon timing, au fond, mais le stress s’installe. Qu’est-ce qu’il peut bien faire, c’est Tchernobyl la-dedans ou quoi ? Je crains le pire olfactivement parlant… de repartir sans avoir pu me laver, mais non ! Je passe néanmoins en avance rapide, mode récurage consciencieux mais accéléré. Les fringues dégoulinants de flotte seraient presque trop froids, mais pas le temps de pinailler. Bref, dernière étape, c’est reparti. Pour s’extraire de Grand-Fougeray, la longue montée me semble raide, mais la fatigue doit surtout donner cette impression. Les bosses se répètent, et après Ercé-en-lamée et la descente au fond de sa cuvette, remonter jusqu’à Tresbœuf est cette fois indiscutable… et assez épuisant sous le cagnard. Pour passer le temps, je m’amuse avec la succession des panneaux : la proximité avec Soulvache me fait sourire, La Couyère n’appelle pas de commentaire, et plus loin, sous la canicule, l’entrée dans Visseiche est tout à fait de circonstance ! La fin se rapproche, ma marge horaire pour le train du retour est finalement assez confortable, alors  je repasse le bonhomme sous la flotte au robinet des toilettes rudimentaires de Vergéal. Avec les 34°C de l’après-midi, une petite retouche finale ne peux pas faire de mal. Ce n’est ni du luxe ni une nécessité absolue, mais de toute façon je serai sec avant d’arriver. Vitré n’est plus qu’à une douzaine de kilomètres, n’oubliez pas d’y pointer si vous ne l’avez pas fait au départ. Fin de l’odyssée !

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