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Sur la carte de France qui commence à se remplir pour ces BCN / BPF, reste un gros trou à l’est où je n’ai exploré que l’Alsace. La Lorraine forme comme un vide… qu’il est grand temps de combler. Bon, 4 départements, 24 pointages, un gros bout. De la Meuse au territoire encore très marqué par les stigmates de 14-18 aux cols des Vosges, ça fait un bon millier de kilomètres de routes quoi ! En parlant de cols, en plus de celui de la Schlucht que je commence à bien connaître, il n’y en aura pas tant que ça en fait. Moins que sur ma sortie précédente, faisant le tour du Lyonnais. Ici, en commençant très modestement, on trouvera en chemin :
- le Col de Lesménils (272m)
- le Col de la Kundschaft (340m)
- le Col de la Vierge Clarisse (484m)
- le Col de Mon Repos (514m)
- le Col du Haut de la Côte (799m)
- le Col de la Grosse Pierre (954m)
- le Col de la Grande Basse (990m)
- le Col des Feignes sous la Vologne (954m)
- le Collet (1110m)
- le Col de la Schlucht (1139m)
- le Collet (1110m)… dans l’autre sens !
- le Col du Haut de la Côte (799m)… une 2ème fois !
- le Col du Peutet (645m)
Soit quand même treize à la douzaine… avec en guise de friandise, une petite incursion – nocturne – chez nos amis Belges pour éviter le cul-de-sac d’Avioth.
C’est parti. Depuis bien longtemps, le trajet en train est raisonnable… En durée, parce que pour le prix, c’est autre chose ! En théorie également, car problème d’assemblage du train, TER à l’arrêt en rase campagne, signalisation défaillante… bref, la routine d’une SNCF qui ne garde que le plus rentable en se désintéressant du bébé provincial, refourgué avec l’eau du bain croupie aux régions. Milieu de matinée passé, donc ; gare de Bar-le-Duc, c’est parti ! En quittant Naïves-Rosières, il ne faut pas l’être… naïf, en imaginant un départ tranquille. Il faut déjà s’attaquer à une belle butte à 10 %. En haut, les éoliennes prises de paresse sont totalement à l’arrêt. Pas de vent, c’est toujours ça ! À l’église de Baudrémont, une nouvelle montée se présente, en deux temps, pour traverser le village. Juste avant, le parcours évite celle de Levoncourt, un instant en ligne de mire avant de tourner, mais la construction moderne, géométrique, anguleuse – moche pour tout dire et tout résumer – mérite la curiosité pour un détour insignifiant. Pourquoi ne pas se laisser attirer un instant par cette horreur au clocher en peigne ? Hé oui, j’y ai succombé ! La route s’assagit ensuite, et après les quelques bosses de cette étape tranquille, on arrive à Saint-Mihiel par la prison.
Premier essai de pointage… raté ! On me refait le coup du tampon fantôme. Cette mauvaise foi de plus en plus fréquente m’agace également de plus en plus. Allez, je n’insiste pas, je pars de là. Je n’ai pas envie de me gâcher cette sortie avec une humeur grincheuse dès le départ. Avec tous les sites contrôle un peu déserts, le carton de la Meuse risque lui aussi d’être plutôt désert. Pas grave, j’ai déjà perdu assez de temps avec le train, ce sera une photo au panneau d’entrée de ville. En route pour une première partie d’étape un peu vallonnée, avant de retourner au plat… exception faite de la montée de la Butte de Montsec permettant d’accéder au Mémorial par sa longue montée en colimaçon à 5-6 %.
Pas de quoi rechigner, le panorama le mérite. L’hommage aux soldats également, c’est une évidence. Le planton sort de sa cahute et la jeune femme s’approche en me regardant d’un air torve, alors que je n’ai pas posé mon vélo dans le râtelier officiel. Pas question de franchir la limite invisible que sa présence doit signifier. En griffant le sol, mes cales aux pieds sont plus à même de dégrader le site que le passage d’une paire de pneus, mais bon, on ne plaisante pas, nous sommes en territoire amerloque ; à moi seul avec mon petit vélo à la main, je dois être capable de mettre en péril la sûreté américaine tout entière !
Après être redescendu de la butte et avoir traversé le village, la route est plate en repartant de Montsec. Passé Buxières-sous-les-Côtes, le lac de Madine fait quelques apparitions lointaines, furtives, donnant davantage l’impression d’une grosse flaque que d’une pièce d’eau qui doit avoisiner les 5km de long. Le final de cette courte étape facile se mérite par une longue côte pour accéder au contrôle d’Hattonchâtel. En haut, le porche de la mairie semble s’ouvrir sur le vide ; majestueux. La vue est incroyable, totalement inattendue et époustouflante… Au moins, on sait pourquoi on a grimpé jusque-là ! L’invitation à franchir l’arcade pour contempler le panorama ne se refuse pas.
La route repart à plat en forêt, puis une longue descente permet d’accéder à Dompierre-aux-Bois en perdant une centaine de mètres de dénivelé. Plus loin, des travaux ont lieu sur le pont qui mène à l’entrée de Bannoncourt. Pas une grosse réfection de chaussée, alors je tente le coup. Je me fais tout petit, vélo à la main pour ne pas gêner les ouvriers. Je leur demande à passer le sourire aux lèvres. La réaction française instinctive sera toujours de râler devant un obstacle… alors qu’un peu de douceur ne donne rien de moins, au contraire. Les hommes me laissent gentiment passer, tout va bien. Après avoir suivi tranquillement la vallée de la Meuse, un petit raidillon se présente pour accéder à Verdun. Milieu d’après-midi, pas beaucoup de circulation ; puis une très longue montée reprend pour quitter la ville et s’en éloigner. La route s’élève en fait jusqu’au monument d’André Maginot, juste avant le Lion de Souville. Curieuse sculpture pour un animal qui paraît plus agonisant que triomphant… D’un autre côté et c’est une évidence, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que toutes les victoires de 14 ont eu leur prix !
C’est ce que confirme sans équivoque le site de Douaumont. Même si j’y suis passé plusieurs fois à des heures et météos différentes, le frisson reste. Toutes ces tombes alignées paisiblement dans la descente comme une coulée d’âmes partant de l’ossuaire, épée symbolique plantée jusqu’à la garde et déterrée 20 ans plus tard par la folie des Hommes…
16000 croix qui brillent en plein soleil dans une blancheur d’os… Vertige, solitude, calme invraisemblable. Pratiquement aucun touriste, le feulement de quelques voitures se fait entendre au loin, rien de plus. Démesure vouée à l’oubli, le chant joyeux des oiseaux est insensible à la fureur d’il y a un siècle. Quiétude irréelle.
En repartant de la nécropole la route est facile, en descente jusqu’à Bras-sur-Meuse, puis une longue butte pas très dure en sortie de Chattancourt annonce un terrain vallonné. Le Mémorial Américain de Montfaucon se voit de loin au sommet de sa colline boisée. Pas étonnant que ce lieu stratégique ait été investi par les Allemands dès le début de la Grande Guerre. La statue en haut de sa colonne me dérange, me paraît grotesque depuis qu’on n’a rien trouvé de mieux que de s’en servir de support pour une antenne de télécommunication.
La route hésite entre vallonné et plat sur cette étape assez roulante qui mène à Avioth. La basilique est impressionnante dans la lumière de cette fin de journée, hélas la présence des échafaudages trouble la vue. À ses côtés, la petite tour dotée de son porche latéral est déjà à elle seule une incroyable dentelle de pierre. Mystérieuse par sa présence, elle l’est aussi par sa fonction. Oratoire, chapelle, lanterne des morts, tribunal… la Recevresse était plus vraisemblablement un édifice destiné à recevoir les offrandes des pèlerins venus à la basilique en dévotion mariale.
Ces deux bâtiments grandioses semblent insolites, ici, dans ce cul-de-sac géographique de la France. Je n’aime pas les demi-tours quand je peux y échapper, alors une petite incursion en Belgique évitera de faire machine arrière. En attendant, pointages de jour obligatoires sur ces BCN / BPF, alors pour ne pas arriver trop tôt au contrôle suivant de Longuyon, il y a pire comme endroit pour rêvasser quelques heures !
3h du matin, c’est reparti. Bien que terminus de la République, le petit village d’Avioth est resté étonnamment illuminé, là où tant d’autres municipalités optent pour l’obscurité. Nuit paisible, frontière vite passée ; France ou Belgique, la pleine lune ne fait pas de différence. Pourtant, il flotte dans l’air un je-ne-sais-quoi – irrationnel sans doute – d’exotique dans le simple fait de se savoir à l’étranger.
Sortie de Dampicourt, une usine surgit au loin dans le décor. Blanche, éclairée, trouant l’obscurité de son bruit et sa fumée, la papeterie n’arrête pas de tourner au cœur de la nuit, loin des habituels monstres endormis qu’exhibe maintenant l’industrie politiquement correcte.
La bête à l’entrée de Rouvroi semble, elle, bien vivante… comme toutes celles à l’autre bout du monde qu’il est mieux de ne pas voir ! En allant sur Torgny, le brouillard forme un couvercle dense, épais, verrouillant la vallée de La Chiers. La blancheur est impressionnante au clair de lune, presque le calme d’un lac, l’impression de se retrouver en montagne au-dessus d’une mer de nuages. Après le village, en quittant la Belgique, me voilà revenu discrètement en France, dans la Meuse qui m’accueille en plein brouillard… qui était donc de notre côté. Le chauvinisme n’a visiblement pas le pouvoir de chasser la brume ! Retour au pays, donc. L’accueil est tout de suite rugueux avec une belle butte pour traverser Velosnes endormi. C’est la seule difficulté en fait, pour cette étape facile menant – toujours dans le brouillard au petit jour – à Longuyon.
En repartant, une belle bosse se présente pour arriver à Arrancy-sur-Crusne. La lune telle une belle grosse boule rose est en chemin pour aller se coucher, tandis que de l’autre côté, les nuages filandreux rougeoient du soleil qui ne va tarder à les transpercer. La brume s’effiloche en passant au petit matin devant la Nécropole de Pierrepont.
La tour-lanterne est éteinte. S’allume-t-elle toujours ? Il est trop tard pour le savoir. Après un début de matinée calme, le paysage se bétonne, la circulation se densifie pour l’heure de l’embauche. Fontoy, Knutange, Nilvange ; je finis par me perdre dans l’urbanisation et le flot des bagnoles, puis retrouve la montée continue vers Le Konacker. Après un petit répit en campagne, l’arrivée se fait à Thionville par la piste cyclable, mal signalée, tracée le long des grands axes.
Rien d’agréable à traverser la ville qui a plutôt l’air d’une catastrophe urbaine que d’un joli site à visiter. Beaucoup de circulation agressive, des axes qui bouchonnent ; le travers habituel des grosses agglomérations. Pas envie de m’attarder dans ce pandémonium qui ne semble pas offrir beaucoup d’âme. Pas beaucoup de choses à voir – tout du moins par où je passe – beaucoup de bruit à entendre, le flot automobile qui se déverse partout, tout cela ne donne pas envie d’aller fureter. À fuir au plus vite, et sans regret. L’échappatoire prévue par la piste cyclable en bord de Moselle tient ses promesses. Elle ramène le plat, et surtout la sérénité jusqu’à Metz.
Grosse ville encore, circulation plus supportable en fin de matinée sur cette étape plate et facile allant en direction de Mousson. Le petit col informel de Neumesnil, pas très dur, ressemble plutôt à une montée un peu longuette. Par contre, la deuxième partie en obliquant au sommet pour monter au village de Mousson sur sa butte, est plus pénible, car le bourg en lui-même est situé au-dessus du col. Hé oui, tout se mérite, pas question d’aller pointer à Pont-à-Mousson, en plaine et avec de nombreux commerces… Non, ce serait trop facile !
Les sursauts de la route ont livré un indice : fini le plat, donc. En repartant c’est le retour des étapes bien vallonnées, et en premier celle permettant de rejoindre le contrôle suivant de Marsal, ancienne place forte frontière exploitant le sel depuis des millénaires. Ce circuit y entre par la Porte de France .
En repartant, je m’arrête à l’ombre du petit calvaire – où la croix ne correspond pas dans mon imaginaire à celle de Lorraine – où est gravée « va et espère ». Voilà une devise qui devrait correspondre à la vie en général, à tout voyageur à vélo en particulier, et en tout cas qui parle forcément au routard que je suis.
Plus loin, une vieille éolienne ayant jadis servi à remonter l’eau dans les abreuvoirs des prés, donne au paysage une note fugace de western. Après la croix et la salicorne des mares de Marsal évoquant la Bretagne, on voyage beaucoup en quelques kilomètres par ici !
Le terrain est doucement vallonné jusqu’à la halte fluviale. J’y fais la grande lessive de mes fringues et passe aussi le bonhomme sous l’eau pour le récurer. Après plus de 400km de route ça fait le plus grand bien,
comme sensation vivifiante presque glaciale à vrai dire, de renfiler directement son linge trempé… et c’est reparti pour une douzaine de kilomètres le long du canal. Parenthèse calme, tranquille, le temps que les fringues sèchent doucement sur le bonhomme ! Fin d’après-midi, après Sarre-Union la route se refait bien vallonnée. Dans la traversée de Montbronn, un calvaire se présente improbable. Énorme, ostentatoire, de bon goût franchement j’en doute :
flanqué d’une Marie sur pilotis sous sa cloche de verre, avec en guise de garde rapprochée un Saint aux quatre coins de la petite barrière de clôture. En sortant de Lemberg, une longue descente en forêt permet d’arriver à Mouterhouse, au bord d’un très joli lac. En sortant de la forêt, on continue à plat vers Baerenthal… où l’on retrouve l’abri des arbres pour les quelques kilomètres restant jusqu’au contrôle de Philippsbourg.
L’église du village apparaît dans une délicate teinte rose pastel baignée de la lumière du soir. Une nouvelle escale est nécessaire pour ne pas arriver trop tôt au pointage suivant, alors arrêt de rigueur en retournant au bord de l’étang de Baerenthal… Départ à 3h du matin, ça devient presque une habitude. En revenant encore un peu sur mes pas, j’oblique vite sur les routes forestières. La nuit impose la prudence… à vrai dire l’état des chemins aussi ! Le bitume est très largement dégradé par endroits, un véritablement champ de mines. Des grosses poches de caillasses sont présentes tout le long de la montée, jusqu’au Col de la Kundschaft… enfin jusqu’à son sommet présumé en l’absence de panneau, comme souvent sur ce parcours. Les animaux eux aussi restent invisibles, la présence de gros gibier ne se fait pas sentir au-delà de quelques bruits de mises en fuite face à mon avancée.
Puis sur l’autre versant, en descente, le bitume est bien meilleur. Parfois improbable, mais sans les grosses poches éventrées pleines de pierres, la route sinueuse est plus sécurisante à déchiffrer dans la lueur des torches. En tout cas, ça permet un peu de prise de vitesse entre les lacets. Le terrain est dégagé le temps de traverser Wimmenau, avant de retrouver les routes forestières. Après une partie lisse appréciable sur celle du Moosthat, celle du Pfaffeneck offre une ambiance différente.
L’impression qu’un million de taupes a élu domicile sous l’asphalte, tellement une constellation de bosses le déforme de partout, sans pour autant l’éventrer. Bref, une étape bien vallonnée et essentiellement forestière, dont l’état général aurait sans doute rappelé les champs de bataille à Georges Mouton, maréchal de Bonap’ au bronze imposant trônant sur la place d’armes de Phalsbourg, distant de quelques kilomètres du pointage de Lutzelbourg.
Le château veille à l’aube sur les hauteurs du petit village, sa tour carrée haut perchée dépassant du paysage. Une bonne douzaine de kilomètres seulement le sépare du pointage suivant, Dabo ; mais l’accès se mérite, en s’éloignant de la vallée de la Zorn par une très longue montée au pourcentage inégal depuis Neustadtmuhle, pour grimper les 200m de dénivelé… auxquels s’ajoute en tournicotant une centaine de plus à l’écart du bourg pour contempler la vue en haut du Rocher ; et elle le mérite. L’intérêt est ensuite de pouvoir – en plus du panorama – profiter de la longue montée faite jusque-là… pour se laisser glisser en sens inverse jusqu’à Neustadtmuhle.
En chemin, je n’oublie pas cette fois de faire valider mon passage à Dabo, et je vous conseille la Boulangerie Schott – en face de l’église – qui en plus du réconfort du ventre, dispose d’un très joli tampon circulaire pour votre carton… Pensez-y !
En approchant de Voyer, une ligne gris bleuté de sommets montagneux se détache furtivement au loin. Peut-être y a-t-il parmi eux le Donon, un vieil ami, celui qui m’a donné le goût d’aller gravir les cols à vélo malgré la crainte que ça représentait, et mes médiocres capacités de grimpeur toujours d’actualité ! Me tirant de mes songes, une paire de cigognes arpente un champ à pas prudents, tel couple de démineurs emplumés. Sur cette étape bien vallonnée de bout en bout, un raidillon à 8 % se présente pour s’extraire de Lafrimbolle, et un peu plus loin, il faut passer par un autre – court – passage à 9 %. Le Col de la Vierge Clarisse, bien que modeste, n’est pas pour autant ridicule et rappelle un peu la montée vers Dabo. Il suffit alors de se laisser glisser dans la courte descente pour arriver au contrôle de Pierre-Percée.
En quittant le village par le petit chemin, la route repart dans une courte descente qui ne reprend vraiment qu’après avoir atteint le barrage EDF de Vieux-Pré, pour finir longuement à plat en direction de Raon-l’Étape. En montant pour s’extraire d’Étival-Clairefontaine, les montagnes se font plus nettes, plus franches, plus proches, moins prises dans le voile atmosphérique et cette fois c’est certain, je tourne le dos au Donon. En quittant La Bourgonce, retour en forêt pour attaquer le Col de Mon Repos.
La petite note de fraîcheur offerte par le couvert de résineux est la bienvenue. La montée n’est pas très dure avec un pourcentage autour des 5 %. En haut l’atmosphère est paisible, les oiseaux gazouillent, invitant presque, vu le nom du col… au repos. Je m’accorde un court arrêt contemplatif, et allez hop, c’est reparti… plus facilement dans ce sens ! Après être redescendu du col, la route vire à plat sur la dizaine de kilomètres menant au contrôle de Bruyères, en suivant la vallée où s’engouffre un vent pénible.
Pour parcourir la vingtaine de kilomètres menant de Bruyères à Gérardmer, pas le choix, il n’y a qu’une route : la D423. Même si c’est le seul axe, la circulation n’est pas oppressante dans le milieu d’après-midi, et en deuxième partie de route, le cours de la Vologne n’est jamais bien loin. Tout au long du chemin, on gagne une centaine de mètres de dénivelé, Gérardmer se présente donc au terme d’un faux plat continu bien roulant.
Pour ne pas faire une étape avec le Col de la Schlutch en cul-de-sac, le tracé forme une boucle depuis Gérardmer par le sud via tout un chapelet de cols : du Haut de la Côte, de la Grosse Pierre, de la Grande Basse, des Feignes sous la Vologne…
pour finir par le Collet, dans la montée du Col de la Schlutch… Bref, il faut prendre son temps, c’est la seule étape de montagne de ce circuit. Rien d’insurmontable, mais c’était ça où revenir d’une vingtaine de kilomètres sur mes pas, alors qu’ici il n’y a que deux petits tronçons… permettant de repasser une deuxième fois par Gérardmer. Bon, je sais, ce n’est pas forcément très malin non plus ; sur ces BCN / BPF on est maître de ses parcours, alors il n’y a vraiment que moi que ça peut amuser de faire un circuit pareil ?
En haut de la Schlutch, donc, après 5km de descente en sens inverse, on continue la boucle par le nord en direction de Xonrupt-Longemer, en passant le long du lac pour retourner sur Gérardmer… c’est bien, vous suivez ! Si vous n’y avez pas pointé la première fois, c’est le moment de le faire. Deuxième passage, également, par le Col du Haut de la Côte sur un air de déjà-vu. Toujours ni très long, ni très dur, ni très haut ; monté en une douzaine de minutes, j’ai chronométré ce coup-là ! Après en être descendue, la montagne s’éloigne progressivement, diluée dans le paysage, et la route se stabilise à plat à Vagney. Beaucoup de vent s’engouffre dans la voie verte. Le contrôle d’Éloyes arrive au terme d’une étape finalement assez facile, mais le vent continue de souffler en rafales et me cloue littéralement sur place en remontant la vallée de la Moselle.
En échangeant le cap du nord pour le sud, le renforcement du vent s’explique : une grosse barre de nuages noirs monte à l’assaut du ciel clair de ce début de soirée. Il vaut mieux ne pas traîner pour le pointage au Val-d’Ajol… et pour tenter d’échapper à l’orage ! La météo ne semble pas inquiéter les habitants de Remiremont. La ville est pleine de vie, et pour s’en extraire, on se trouve déjà dans la montée du Col du Peutet.
L’ascension s’annonce un peu dure puis s’adoucit par la suite. En s’élevant, finalement le vent disparaît assez vite et grimper devient plus agréable… au point de s’éterniser un moment à plat, avant de repartir doucement pour les trente derniers mètres de dénivelé à gravir. Au sommet, les nuages inquiétants ont disparu. Les cols ont souvent cette capacité de retenir les orages, pour le meilleur… ou pour le pire ! Ce soir, tout va bien. Retour de l’horizontal à Faymont. L’heure tardive y est sans doute pour quelque chose, mais le village apparaît en déshérence, sinistre ; maisons et usines à l’abandon, les faubourgs vraiment tristes, pathétiques. Le centre-ville amène un peu plus de vie et de gaieté… sans grande exubérance ! Le contrôle du Val-d’Ajol n’est plus très loin, accessible par une route bien roulante.
Bon, qui dit Val-d’Ajol, dit val tout court. Forcément, après la descente permettant d’atteindre sa cuvette, ça remonte en direction de Plombières-les-Bains… Et ça remonte vraiment, sur près de 5km en faisant prendre plus de 200m de dénivelé. Ça aurait presque pu en faire un petit col, et plus on monte plus le panorama s’élargit sur les villages saupoudrés dans la vallée en contrebas, comme une série dont les épisodes seraient distillés par fragments entre les trouées des arbres. Une fois hissé sur le plateau, la route redescend sur Plombières-les-Bains. En plein centre-ville, sur l’autre berge de l’Augronne, il faut déjà remonter en direction de Xertigny à la tombée du jour.
Éternel recommencement… mais la côte est plus courte cette fois-ci, avant de s’épuiser en longues dents de scie. Encore trop de temps disponible pour rejoindre – même tranquillement – le site de pointage suivant, alors une autre escale s’impose… Comme Victor Hugo, je repars de Xertigny à l’heure où blanchie la campagne. Ce n’est pas qu’une vue de l’esprit cette mi-mai ; 3°C, ça fait un printemps plutôt frais ! La longue descente jusqu’aux Forges-d’Uzemain où la brume se lève sur l’écluse, me gèle les doigts.
Les – anciennes – portes d’entrées de fermes aux larges porches arrondis forment un élément architectural répétitif au fil des villages traversés ce matin. Mattaincourt, Mirecourt, beaucoup de circulation à l’heure de l’embauche. Je suis surpris par le raidillon à 9 % pour traverser Poussay. Comme une présence familière,
le Calvaire des Sept Sacrements en sortie de Frenelle-la-Grande me fait terriblement penser à ceux qui parsèment la Bretagne. Avant d’arriver sur Gugney, la Basilique Notre-Dame de Sion se voit déjà de loin au sommet de sa butte boisée, et un peu en contrebas, à gauche sur les hauteurs, apparait entre les arbres la silhouette carrée du château de Vaudémont. C’est par là qu’il faut aller. Une longue côte ingrate suivie d’un deuxième raidillon, plus court mais à 11 %, permettent de se hisser au pied du village… ce qui donne largement le temps de contempler le vaste panorama sur la vallée d’un côté, et les ruines anguleuses du château qui se précisent de l’autre !
Les morts de 14 seraient-ils devenus encombrants ? On peut se poser la question en traversant Vézelise, où l’hôtel de ville flambant neuf dans le virage en S a pris la place du Monument aux Morts – déménagé au diable Vauvert – dont il ne reste là, pour l’instant, qu’un arasement de socle. Exit donc, la statue du poilu bras ouverts veillant sur la mémoire de ses 70 camarades gravée dans la pierre. Loin d’être concerné par ma génération, ce genre de tour de passe-passe un peu merdeux me choque… Aussi surprenant mais de manière plus saine, arrivent la belle montée menant à Houdreville, puis un raidillon de 10 % pour accéder à Frolois. La banlieue nancéienne se rapproche, et quelques minutes passent sereines sur les berges du canal, tandis que les bagnoles filent bruyamment, à l’écart sur la berge d’en face. Je remonte ensuite la métropole par la piste cyclable, toujours accompagné de la fureur de la circulation, soit juste à côté de moi soit dans le feulement plus ou moins lointain de l’autoroute, avant d’obliquer vers le centre.
Bien que sur une voie dédiée, la prudence s’impose avec les nombreux croisements de grands axes, puis Nancy arrive enfin, après un long moment d’urbanisation. Traverser la ville implique une montée très sèche pour se diriger vers le plateau de Haye. Forcément, qui dit plateau qui quelque chose de plat… mais en hauteur ! Pas mal de circulation à la mi-journée, malgré tout sans être oppressante. Personne ne s’énerve même si je peine dans la montée qui s’éternise, pas un klaxon, rien, ce qui semble plutôt exceptionnel pour une grande ville.
Dans ce sens, le territoire de Nancy cède directement la place à la campagne. Pas de banlieue, pas de transition citadine. Le retour au calme est rapide… mais relatif, car la piste cyclable progresse le long de l’autoroute doublée d’une départementale ; on peut faire plus bucolique ! Après la traversée de Gondreville, le décor s’améliore sur la voie verte – une vraie, cette fois – suivant le Canal de la Marne au Rhin permettant d’arriver à Toul après une étape toute plate.
Énorme circulation en ville en milieu d’après-midi. En repartant, il faut se hisser sur les hauteurs, de Blénod-lès-Toul à Vannes-le-Châtel, en traversant la forêt de Meine sur son plateau. Pour accéder à Pagny-la-Blanche-Côte, il faut franchir une nouvelle bosse, plus douce. Au sommet, je ne vois pas ce qu’il y a de blanc ni d’un versant ni de l’autre de la côte. En fait, tout est vert d’arbres et de présence agricole sur les deux flancs de la grosse butte. À Sauvigny, je ne résiste pas à l’appel du cimetière. Pour les bidons d’abord, pour un décrassage discret ensuite… si possible. Pas de chance, deux femmes sont là, plus loin, l’arrosoir à la main. Pour l’exhibitionnisme au robinet on repassera, c’est raté, alors je me replie sur la soif ! Les visiteuses se rapprochent, et je m’excuse de ma présence, échoué ici. Vu la chaleur de l’après-midi, elles n’y trouvent rien à redire, au contraire. J’en serai presque surpris, l’empathie commençant à devenir une denrée rare apte à nourrir l’âme. Nous discutons un instant de tout de rien, de mon tour express de la Lorraine,
et elles s’en retournent dans les rues du bourg. Je fais un tour d’horizon pour m’assurer d’être maintenant bien seul, et sans tarder, je passe à la deuxième phase de mon projet : lessive et décrassage du bonhomme… en guettant une venue éventuelle ! Au cœur du village se présente une magnifique fontaine en bout du lavoir couvert, proche de l’esprit d’un mini-temple antique. Juste le temps de prendre une photo qu’un vieux déboule avec son arrosoir,
pressé de me boucher la vue comme s’il guettait mon arrivée, comme si la source était sa propriété, comme si j’allais lui voler quelque chose, comme si mes clichés allaient aspirer le bâtiment. Le burlesque de la situation hésite entre vexatoire et comique grotesque. Une chose est sûre, le savoir-vivre des Dames du cimetière ne constitue pas une particularité locale ! À peine plus loin, une longue montée au pourcentage raisonnable traverse Brixey-aux-Chanoines. En fin de compte cette étape s’est montrée vallonnée mine de rien, entre les périodes plates, à l’image de l’arrivée au contrôle de Donrémy-la-Pucelle.
Dernier pointage de réalisé, les 24 de Lorraine dans la poche… pas trop mal pour une sortie de trois jours et demi. Il reste à rejoindre Bar-le-Duc. Rien d’urgent pour attraper le premier train du matin, alors pourquoi faire au plus court ? Allez, on peut encore se permettre quelques sinuosités sur la carte, rien ne presse. En attendant, c’est reparti pour profiter des deux dernières heures de jour. Même tranquillement, il y a de quoi faire un bout de chemin. Pendant que je fais mon déballage au panneau d’entrée de Donrémy : mise à jour de ma reconnaissance du parcours, photo de pointage, se recouvrir avant la nuit et préparer l’éclairage… je suis abordé par un couple d’Anglais qui s’inquiète de savoir si tout va bien, si vue l’heure tardive j’ai prévu un endroit pour dormir… À vrai dire le concept n’est pas idiot – en dehors du budget à y consacrer – je devrais y penser quelquefois ! En tout cas je me dis qu’être Britanique et séjourner dans la ville de Jeanne d’Arc est aussi un concept intéressant ! Il vaut mieux ne pas avoir une nature à se sentir persécuté.
Bref, je repars en début de soirée dans la fraîcheur paisible et sur une route en légère montée. Le panorama – pas très diversifié en fin de compte, mais plutôt agréable à chaque fois en Lorraine – s’élargit sur la vallée, avant d’arriver à la Basilique du Bois Chenu. L’édifice est magnifique, grandiose dans le soir ; seul le restaurant tout en verre flanqué à côté offre un contraste discutable.
Pas grave, je fais comme s’il n’existait pas ! Retourner directement vers Bar-le-Duc m’aurait privé de cette rencontre – de la basilique, pas du resto ! – et la route se poursuit un peu déserte. Entre Midrevaux et Grand, la longue côte à trois paliers forme une saignée dans la forêt. Avec la perspective toute droite, la progression
– raidillon à 9 % à un peu plus du milieu – semble un peu longuette dans la quiétude du soir, malgré les chants d’encouragement des oiseaux. Tranquille jusqu’à temps d’être doublé par une camionnette d’ivrognes braillards balançant leurs canettes juste après m’avoir rasé. Le répit du terrain est suivi d’un court quatrième niveau de montée avant une belle redescente.
Cette fois-ci, je suis face à la lumière couchante, magnifique sur la plaine lointaine. Dans la nuit naissante, sur les petites routes entre Mandre et Bure, un village illuminé sur la gauche, brille au loin en compagnie d’un pointillé éolien clignotant. Lequel ? Aucune idée,
mais savoir sa présence dans la plaine déserte est réconfortant. La pénombre s’installe, les derniers sursauts du relief disparaissent, et dans quelques heures, dans la fraîcheur de la nuit la boucle sera bouclée à Bar-le-Duc.
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Le parcours Openrunner 21348787 réalisé : 1085 km
La feuille de route détaillée
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