BCN et BPF : Poitou – 79 Deux-Sèvres & 85 Vendée & 86 Vienne

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Kilomètres réalisés : 7185
Provinces BPF validées : 9
Départements BCN validés : 27

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Minuit est à quelques minutes de faire basculer le vendredi au samedi, comme octobre cédera bientôt la place à novembre, et me voilà après une semaine de travail à la descente de mon train, à Poitiers, partant pour une boucle automnale de plus de 800km cheminant à travers tout le Poitou historique, soit les départements de la Vienne, des Deux-Sèvres et de la Vendée. M’extraire de la ville ne me pose pas de difficulté en sortant de l’autre côté de la gare. Les néons des quais désertés et les étages du parking d’en face éclairent le centre-ville que j’ai laissé sur l’autre rive, au-delà des sillons d’acier parallèles. Poitiers semble endormi de ce côté-ci. Pas de signe de vie. Et puis le bruit. L’ancienne Nationale 10, maintenant toute proche se devine par les vrombissements d’une troupe furieuse de motards faisant rugir le grand axe perdu sous le ciel noir pesant. La rumeur retombe vite, portée ailleurs, les moteurs dispersés au loin. Puis le silence nimbe l’obscurité vite rendue à la campagne. Le crachin fait son apparition avec de l’avance sur les promesses de demain, sur celles de la météo. Trois journées d’une virée annoncée bien humide. L’imperméable enfilé – j’en ai prévu un autre, plus chaud pour être bien étanche, mais on verra plus tard – je reprends tranquillement le cap à l’ouest. 50km pour rejoindre Parthenay et le premier pointage. Chanteloup se présente, avec son rond-point aux silhouettes de prédateurs taillées dans l’acier. Ça doit faire un sacré bail qu’on n’a pas vu de loup par ici, pauvre fantasme montagnard de pacotille. Lavausseau me fait sourire, il ne pleut pourtant pas encore si fort. Je sors de la Vienne pour les Deux-Sèvres, en catimini, en milieu de nuit. Nuit noire. Rien pour faire des photos, pas d’occasion, d’excuses pour s’arrêter, pour flâner, alors le temps passe bien trop lentement, et j’arrive à Parthenay par ses faubourgs à l’obscurité déprimante. Le centre-ville semble être une chimère par ici, alors je fais demi-tour, je contourne le bourg qui se fait d’un coup plus vivant. Totalement endormi mais vivant dans les lumières des réverbères, dans les flaques de clarté dégoulinant des murs. Je longe la gare devenue fantôme, comme tant d’autres ailleurs, simple prétexte à l’arrivée des bus ; puis apparaît la grande Place du Drapeau, comme un vaste désert urbain. Je longe le théâtre puis vais me réfugier derrière les remparts, plus intimes, dans cette impression d’authenticité que donnent toujours les vieilles pierres. Une bonne poignée d’heures à tuer, sans être terrassé par le froid et l’humidité. Alors je vais m’assoupir dans les toilettes publiques. Modernes, elles, et propres heureusement. Automatiques hélas, avec leur ouverture programmée au bout d’un quart d’heure, pour chasser l’innocent qui s’y réfugie. L’asile, le refuge, même pour un instant, ce sont devenus deux gros mots dans notre société où la bonté est souvent absente ou au mieux suspecte. J’accroche un bout de fil de fer entre la poignée de la porte et le vélo, au cas où. Au cas où le sommeil viendrait, mais il ne vient pas. Mon esprit divague, mes vêtements sèchent. Malgré les apparences, et malgré ce que laisse penser cette première escale, ce parcours sera plutôt sous le signe du grand luxe. Les heures passent, lentes. La nuit est encore là, automne oblige, et je ressors de ma cachette. Je prends quelques photos et redescends du vieux quartier. Quelques passants commencent à peupler timidement les rues. Les premiers commerces ouvrent et je réalise mon premier pointage. C’est reparti, au nord cette fois.

Parthenay me recrache vite à la campagne et la nuit se finit paisible. Saint-Loup-sur-Thouet se présente endormi dans une lumière encore bleutée, et l’aube apparaît avec un petit vent qui assèche l’asphalte. Je passe à côté de Louin… dans le fond, c’est vrai qu’on est toujours loin de quelque part ! Le jour arrive asséché dans une sensation de fraîcheur revigorante. Parfait pour se tenir éveillé. Après Airvault, je tire des longs bouts droits en plaine. La route s’étire au milieu de la terre aux teintes chaudes, caressée par le retour provisoire du soleil. Pas grand-chose à voir, l’impatience de rejoindre Oiron s’installe.

Et voilà le petit bourg. Une ribambelle d’entrées de maison de ville, et puis ce porche magnifique avec ses deux bustes sculptés supportant un balcon. La lumière dorée du petit jour rehausse encore ce décor. Je pose le vélo contre une façade, délicatement ; pour ne pas déranger les villageois, pour les laisser engourdis à leur sommeil. Une photo s’impose, un cadrage soigneux surtout. Profiter de l’inattendu, des petits trésors simples qu’offre le voyage. Prendre son temps quand il le faut, quitte à pédaler plus fort plus tard ! La porte s’ouvre. L’habitante des lieux apparaît dans l’encadrement, en robe de chambre. Je la félicite pour la beauté de son entrée. Nous discutons quelques instants, puis elle s’excuse de me déranger dans mes photos, et rentre chez elle. C’est le monde à l’envers ! Un peu plus loin le château aperçu plus tôt sur la plaine mérite aussi un coup d’œil. Autant il peut sembler de face complètement étriqué entre ses deux énormes tours cubiques, autant il peut se montrer magnifique sous les autres angles.

Il est temps de repartir. Je reprends le cap à l’ouest. À un carrefour, une Vierge en péril est encerclée d’un échafaudage. Le pouvoir terrestre au secours du céleste devenu un peu bancal. Passé Taizé, je m’égare en faisant une boucle autour de Boucœur. J’explore les petites routes de traverse, rien ne presse, il est encore tôt. La matinée promet d’être agréable. Finalement le soleil semble avoir gagné la partie pour aujourd’hui. Les cochons semblent être de mon avis, tout roses, tout beaux, gambadant dans les champs ou encore en train de faire la grasse matinée dans leurs cabanons ; comme quoi à l’heure où la bouffe est un réflexe naturel toujours à portée de main, un droit sous cellophane apparaissant à chaque coin de supermarché, on peut respecter un minimum les animaux d’élevage pour ne pas seulement les considérer comme des usines à viande. L’image est insolite, apaisante, pour moi qui suis plutôt habitué à longer des hangars d’où s’échappent des odeurs de mort. La suite de l’étape jusqu’à Argenton-les-Vallées est tout aussi sereine. Du coup, j’en profite pour entrer dans le village part un petit chemin improbable. Je me lance dans la courte descente, traverse l’Argenton sur un joli pont de pierre, Un cortège de tacots s’apprête à prendre le départ pour un mariage. Je remonte la bute puis me retrouve sur la grande place du bourg… Gagné, on ne peut pas se perdre à chaque fois !

Je ressors de la boulangerie avec mon coup de tampon de pointage et de quoi combler un petit creux dans cette matinée qui s’avance vite. Un homme entre deux âges reconnaît la noblesse de mon vélo : surtout son cadre en titane. Peu de gens font la différence au premier coup d’œil avec l’alu – surtout pour le mien, déjà ancien et d’une teinte argentée très neutre – et nous parlons pignons comme les femmes parlent paraît-il chiffons. En repartant, je mets cette fois le cap au sud-ouest dans ma série de zigzags poitevins. Les nuages commencent à resserrer leurs rangs, pour l’instant rien d’inquiétant. Comme je suis bon public, en passant par Le Côteau du Grand Pont, la contrepèterie me fait sourire… La petite route se poursuit tranquille, traversant d’aussi tranquilles petits villages comme Voulmentin ou Voultegon, puis débouche sur un grand axe. J’arrive à Cerizay par la D960bis, finalement pas si désagréable ni si passante que je l’aurai cru. Les axes tracés en rouge sur les cartes ne sont parfois que des épouvantails de papier.

Après une incursion dans le centre-ville pour me ravitailler et pointer, je reprends cette D960bis jusqu’à la prochaine étape, celle de Pouzauges, à 15km de là. Une liaison roulante, rapide, pas grand-chose à voir. Rien à dire, la route est aussi grande que triste, c’est le destin des grands axes ! Arrivé dans le village, les restes du château se dressent avec son donjon trapu.

Pour atteindre Rocheservière avant la nuit, je ne traîne pas trop. Mes quelques égarements de la journée ont fait filer le temps trop vite. En bifurquant en direction du Boupère, j’ai près de 40km à faire sur la même route. Une éternité à suivre cette D13, juste cheminer sur le ruban noir de l’asphalte sans y penser, alors mon esprit divague. Sans vraiment m’en rendre compte, les directions deviennent floues. Et puis les noms des villages me disent de moins en moins quelque chose. Un doute finit par crever ma bulle de tranquillité. Je fais le point sur la carte, rien ne correspond. En élargissant mon point de vue, je m’aperçois que je suis en train de faire un détour déjà conséquent. Et merde ! J’en suis quitte pour achever cette boucle qui augmentera encore plus mon retard de cet après-midi. Remis sur le bon chemin, la traversée de l’Oie demande à être attentif, et cette fois on ne m’y prendra pas, je reste sur cette satanée D13 tandis que les nuages deviennent de plus en plus gras et gris. La pluie s’apprête à faire son retour. Plus je chemine vers l’ouest de la Vendée, et plus le terrain me semble vallonné. Rien d’insurmontable, mais ça ne correspond pas à la Vendée que je connais : celle des longs bouts plats interminables en bord de mer ou en lisière de marais. En filant bon train j’arrive à rattraper un peu de temps ; et le temps, lui, est au retour des gouttes. Sur ma droite, un arc-en-ciel forme un pont coloré à travers la campagne. Le genre de détail qui arrive à adoucir le crachin bientôt devenu forte pluie. Rocheservière n’est plus très loin. Je profite de mon pointage dans le village pour me ravitailler avant la nuit, sous la flotte qui tombe maintenant dru.

Mais où la passer, cette longue nuit pluvieuse d’automne, avec le prochain pointage de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu – je sais, c’est une petite gourmandise, un détour supplémentaire en passant par la Loire-Atlantique – si proche, à une petite vingtaine de kilomètres ? L’humidité, le froid, les genoux, tout cela ne fait pas bon ménage. Et puis vous connaissez les femmes. Elles sont ainsi faites, à toujours s’inquiéter pour des détails insignifiants. Comme savoir où on peut dormir quand on pédale pendant quatre jours, et si possible sans s’échouer sur un coin de trottoir où un abribus quand il gèle… Alors même si je n’étais pas d’accord, la mienne m’a réservé une chambre au Relais des Etangs à mi-chemin entre Rocheservière et Saint-Philbert-de-Bouaine. Au départ, si vous connaissez mon habitude de voyager rustique, vous comprendrez que l’idée m’a fait râler. Le jour baisse, je suis trempé, et puis avec ma quasi nuit blanche de la veille, et l’idée d’une autre à venir, tous ces petits détails l’emportent. Un peu de douceur de temps en temps ne peut pas faire de mal. Hors saison, il n’y a personne pour qu’on m’ouvre. Le gérant arrive d’un village voisin. Il m’autorise même à rentrer le vélo – que je laisse quand même s’égoutter pour ne pas tout dégueulasser – dans la chambre, ça c’est sympa ! Je lui demande si je suis le seul occupant. Presque. Deux couples viendront plus tard pour un mariage. Bref ça ne sera pas la foule des grands jours. Quelle force, de l’amitié ou du sentiment d’obligation l’emporte, pour assister à un mariage à l’aube de novembre ? J’engloutis mon repas routard vite fait, puis vais me décrasser sous la douche… dont l’eau chaude tarde à venir. Bah oui, dans un hôtel vide, forcément ! Elle en restera tiédasse, toujours bien plus agréable que dans certains souvenirs de régiment. Avec les quelques arrivées de prévues, un peu d’anticipation aurait été mieux, mais je ne me plains pas, j’ai un point de chute bien assez confortable pour la nuit, mon vélo est en sécurité, je peux dormir tranquille. La nuit dernière nébuleuse me permet de trouver le sommeil rapidement… Puis des braillements lointains se frayent un chemin dans les méandres de mon cerveau embrumé. Ils se font de plus en plus clairs. Quelqu’un est en train de monter le son. Cette fois je me réveille sous les éructations de mes voisins de chambre. Et merde, pour une fois que je ne passe pas une nuit de vagabond, je ne peux même pas roupiller peinard ! Un long moment plus tard, peut-être une heure, les sans-gêne se calment mais c’est moi qui ai définitivement perdu le sommeil. 3h du mat’ je lève le camp avec une furieuse envie de foutre de grands coups de pied dans les portes des mauvais coucheurs. Les réveiller à mon tour me semble une bonne idée. Bien sûr je ne le fais pas, je n’ai pas l’excuse de l’alcool.

Saint-Philbert-de-Bouaine est à deux pas, à quelques kilomètres sur un grand axe désert. Désert de pluie et de nuit, dans une espèce de cul-de-sac au bout de la Vendée. Malgré le froid, le crachin est assez doux. Dans le village et sa lumière pendue aux yeux jaunes des réverbères, je joue avec mon appareil photo, en essayant de le protéger au mieux de l’humidité. Il est encore tôt, rien ne presse ; je serais bien resté à dormir encore un peu, mais c’est une autre histoire ! Rendu à l’obscurité, je vais à la rencontre de l’autre Saint-Philbert, celui de la Loire-Atlantique. Arrêt « obligé » pour un pointage de plus. 18 ou 19 pour un petit détour, qu’est-ce que ça change ? Un peu hors sujet puisqu’il ne fait pas partie de la province, mais en tant que voisin, autant lui rendre une petite visite. En chemin, un Christ bras grands ouverts semble attendre la venue de la lune perchée juste au-dessus de lui. Une patience dont seule est capable la pierre des statues. Puis Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, donc, se présente dans une urbanisation ordinaire, laide et triste dans la nuit solitaire. Puis au bout de la rue, se dresse son église paroissiale magnifiquement éclairée dans cette nuit indigo qui agonisera sans doute bientôt. En faisant le tour de l’édifice je passe devant la statue érigée à la gloire du Général Lamoricière, entouré comme il se doit de l’incontournable effigie féminine aux seins nus. Pourquoi pour être crédibles dans leurs combats, les femmes doivent-elles toujours se retrouver à poil ? Les Femens en faisant perdurer ce stéréotype ne se trompent-elles pas de combat, justement, en se conformant à ce que les hommes attendent d’elles ? Sur la grande place à l’arrière du bâtiment religieux, les commerçants finissent de s’installer. Les premiers clients du marché ne semblent pas encore décidés à braver cette fin de nuit. Je profite des premiers commerces ouverts pour pointer et me faire mon p’tit déj’ avant de repartir.

L’objectif de cette deuxième matinée est de retourner en Vendée pour aller – à marée basse – par le passage du Gois sur l’Île de Noirmoutiers. En repartant, les premières lueurs du jour donnent de belles couleurs dorées à Sainte-Lumine-de-Coutais. En quelque sorte Sainte-Lumine illumine ; je sais, c’est facile, mais ça ne coûtait rien de le dire. Vous remarquerez la qualité du double jeu de mots à l’aube après 250km de route. Forcément, à faire vagabonder mon esprit pour ce genre de choses, je me perds un peu en sortant du village, mais sans grandes conséquences. Tandis que les degrés flirtent eux aussi avec la nullité, le petit jour dévoile des draps diamantés recouvrant les champs, d’un instantané de velours blanc. C’est beau, mais c’est froid ! Après Machecoul-Saint-Même, le terrain s’aplanit. Un soleil nébuleux se lève sur le marais et des chasseurs canardent déjà de loin en loin dans la zone humide. Je tire des longs bouts droits pendant que d’autres tirent tout court. Chacun a le destin qu’il mérite : la destruction ou la contemplation ! À Bouin ce dimanche matin, me voilà de retour en Vendée. Les degrés finissent par décoller tandis que je m’approche du rivage. Je suis dans les temps pour prendre le passage du Gois. En avance. Un peu trop même. La marée basse n’est pas encore là. Après une série de panneaux avertissant de tous les risques de noyade potentiels, la route barbotte une vingtaine de mètres plus loin dans l’eau salée. Plusieurs véhicules attendent déjà. Je prends quelques photos de cette fin du monde provisoire, histoire de tuer le temps et rêvasse devant les allées et venues des vaguelettes reculant à un rythme paresseux. Je suis impatient de traverser, mais le passage se mérite. Encore une bonne heure à attendre, d’après l’horaire recommandé d’une heure et demie autour de la marée basse. Un homme entre deux âges vient me sortir de mes songes. « Ce sera bientôt bon » me dit-il comme un secret entre nous. Pourtant l’horizon est encore largement recouvert d’eau. Devant mon incrédulité, il précise « 1/4h à peine ». C’est un habitué du coin, mais il préfère attendre encore, pour ne pas faire rouler son camping-car dans la saumure. Il faut croire qu’un vélo doit être moins fragile, et après une vingtaine de minutes – je dois dire que la prévision n’était pas si mauvaise – je m’avance sur le chemin humide. L’eau le recouvre encore, dans les 100m plus loin ; alors je fais des sauts de puces, m’arrêtant au bord de l’eau, prenant un grand plaisir à prendre des photos de cet univers étrange en régression. L’insolite de l’instant permet des clichés originaux. Avec l’étroite route totalement dégagée, je n’aurais pas pu avoir toute la liberté de m’arrêter, de zigzaguer, et faire demi-tour parmi les autres véhicules pressés. Une fois passé le plus creux de la route, l’île n’en est plus une. Noirmoutiers est devenue une terre atteignable, et je peux me lancer à sa rencontre d’une traite. Sur le petit bout de terre sableuse, je remonte la piste cyclable le long du grand axe. Je n’ai jamais compris l’origine d’un tel trafic sur cette île, même hors saison. À l’entrée de Noirmoutiers-en-l’Île, le bourg cette fois, je pointe dans le magasin de vélo – qui en voit beaucoup d’autres chaque été – et en profite pour acheter une burette d’huile. Faire trempette dans l’eau salée à ses limites. Mes pieds sécheront assez vite, eux ; mais j’ai encore 500km à faire, et ma chaîne ne s’en portera que mieux. Pour mes roulements de pédalier je m’en fiche un peu, de toute façon je dois les changer ! Les commerçants du centre-ville semblent moins accueillants pour assouvir un petit creux, décidément je n’aime pas les pièges à touristes et ils me le rendent bien…

Bon, pour sortir d’une île le principe est de faire demi-tour… mais pas toujours. Pas tout à fait. Je prends le cap plein sud le long de la voie rapide pour rejoindre le continent par le Pont. En traversant La Barbâtre le spectre du BRM 600 de Laval refait surface. Il y a 4 ans, c’est ici qu’a commencé ma série de crevaisons poissardes. Une douzaine, une quinzaine, je ne sais plus. Il ne me reste qu’une impression grise de cauchemar éveillé. Aujourd’hui la voirie est propre et mes chambres à air tiennent le coup. Les travaux sont plus loin, sur le pont, interdisant la traversée aux vélos. Comme rien n’était indiqué à l’avance, je n’ai ni le temps ni l’envie de refaire tout le détour par le Gois. La piste cyclable est coupée par un échafaudage, alors j’escalade le parapet pour rejoindre la voie des voitures et ne demande pas mon reste, lancé dans la descente. J’ai maintenant une cinquantaine de kilomètres à faire sur la D38 longeant le littoral, et près du double pour rejoindre le prochain contrôle. Je suis sur les routes de la Vendée que je connais : plates et cheminant entre marais et océan. De longs bouts de pistes cyclables coupent le trafic et la monotonie de la route. Les nuages recommencent petit à petit à remplir le ciel et le crachin refait son retour. Les gros bourgs balnéaires s’enchaînent : Saint-Jean-de-Monts, Saint-Gilles-Croix-de-Vie… en traversant Brem-sur-Mer, je rencontre sur un petit rond-point une fontaine originalement fleurie d’oiseaux en inox. En quittant le village, après m’y être ravitaillé en prévision du soir, je bifurque vers la Forêt d’Olonne. Je marque une pause gourmandise dans le bas-côté, où une vigne attend désespérément accrochée à une clôture que ses grains tombent à l’hiver ou que quelqu’un vienne y goûter. Ce sera donc moi pour quelques belles grappes bien juteuses. De quoi adoucir une fine pluie têtue. Pour ne pas trop perdre de temps et éviter de m’égarer dans la grosse agglomération des Sables-d’Olonne, je la contourne par le nord pour rejoindre Talmont-Saint-Hilaire par les petites routes de traverse.

J’arrive à mon étape à la tombée du jour, ayant le pointage et l’hébergement réservés au « Presbytère Bohème », très chaleureuse chambre d’hôte qui me fait le plus grand bien après cette après-midi de flotte froide. Cette fois encore je peux rentrer mon vélo avec moi, ce qui me gêne un peu vue la beauté du lieu, mais le gîte n’étant pas clos, je préfère autant. Après un passage bien mérité dans la salle de bains, je déguste mon pique-nique tandis que la pluie frappe fort aux carreaux. Je n’ai pas trop envie de dormir. Autant profiter un peu de mon cadre mignon et confortable. Je regarde les gouttes danser sur les vitres, sans doute semblables à celles qui m’attendront sur la route, demain ; dans quelques heures à mon réveil. Alors je finis par aller me coucher, puisqu’il le faut. Le réveil sonne trop tôt. La pluie est toujours là, au dehors glacé. Je m’emmitoufle dans deux couches d’imperméables autant pour l’humidité que pour le froid. Et c’est reparti après un petit mot laissé dans le livre d’or.

Moutiers-aux-Mauxfaits, le Champ-Saint-Père, Mareuil-sur-Lay-Dissais, Saint-Jean-de-Beugné, les villages se succèdent liquides dans la nuit, argentés de pluie et dorés de lumière urbaine. Ces journées avec trop peu de sommeil engrangé me font piquer du nez. Je fais une halte abribus de quelques minutes froides et humides, le temps que l’envie de repartir soit plus forte que la léthargie de rester là. Et puis le jour lève son voile gris de fin d’automne sur cette Vendée redevenue un peu vallonnée dans les terres, en prenant le cap plein est. La maison de retraite en sortie de l’Hermenault ne manque pas d’humour : « Résidence Bellevue » pour ce qui ressemble à une espèce de tonneau de béton. De là-dedans la vue est peut-être belle, mais vu de l’extérieur, c’est autre chose ! Je ne sais pas si c’est l’usure due à la pluie, mais la fin de l’étape me paraît laborieuse. La forêt m’attend enfin, formant écran au crachin. Mervent est au bout, première escale, premier pointage de ce troisième jour.

Je m’attarde un instant pour rendre une petite visite à l’église Saint-Médard, dont la silhouette de pierre bien trapue m’attire. À l’intérieur, l’ancien mécanisme de l’horloge repose – crasseux – derrière une vitrine aux carreaux sales. Triste destinée d’une machine ayant reflété pour un temps le génie humain avant de tomber en disgrâce. En repartant, je traverse La Mère. Aujourd’hui elle pourrait aussi bien s’appeler l’amère, tellement la rivière gonflée pour servir de réservoir au barrage paraît miteuse. Les eaux basses sont retirées au creux d’une cuvette boueuse, comme celles du ciel semblent s’être retirées dans les nuages. Une bonne grimpette en lacets, inattendue sur ce parcours, achève de me réveiller ce lundi matin. Et puis voilà Fontenay-le-Comte. Pas très compliqué à traverser sur le papier, plus nébuleux en vrai. Alors je m’obstine, fini toujours par en sortir par où je ne veux pas, à atterrir trois fois au même endroit par des chemins différents. Que ce soit par le centre-ville ou les zones industrielles, rien ne change, je tourne en rond. Énormément de temps perdu, et le retour du crachin m’agace encore plus. Je ne comprends pas pourquoi j’atterris toujours là sans trouver une route qui me semble évidente. Il y a des endroits maudits que ne soupçonneront jamais les partisans du GPS ! Je prends donc les chemins de traverse pour rejoindre mon itinéraire… et atteindre Maillezais dont la vue réconfortante des ruines de l’abbaye se dressent à des kilomètres sur la plaine.

Après cette étape d’une toute petite vingtaine de kilomètres, en voici une autre, à peine plus longue pour atteindre Coulon. Je laisse la Vendée derrière moi pour revenir dans les Deux-Sèvres. Il pleut toujours, alors forcément avec la pluie qui se renforce, Coulon est d’actualité ! Les barques attendent patiemment les pieds dans l’eau au bord de la Sèvre Niortaise, entre les gouttes et les feuilles qui tombent. À cause de tout le temps perdu à dériver dans Fontenay-le-Comte, je ne m’attarde pas dans ce joli village qui marque la porte d’entrée du marais poitevin. Je connais depuis longtemps la petite bourgade et la météo ne la met pas franchement en valeur, alors c’est vite reparti !

Niort et son agglomération m’attendent à deux pas, dans ce début d’après-midi laiteux. Et me voici dans la grande ville avec un peu d’appréhension – parce que Niort est quand même bien vaste à parcourir à vélo – alors que je traîne encore le spectre de Fontenay-le-Comte derrière moi. Y aller droit devant, essayer de garder la direction de l’est, en remontant un poil au nord ; ne pas trop louvoyer. La traversée est laborieuse mais pas désagréable malgré la circulation. Et surtout, je ne perdrai pas le cap, comme quoi ce ne sont pas forcément les plus grandes villes qui posent le plus de difficultés. Le centre-ville est architecturalement intéressant, en beauté et en diversité. Contrairement aux bagnoles, pas trop de piétons pour affronter l’humidité, contraste étrange. Je ne regrette pas de m’imprégner plus intimement cette ville qui n’a toujours représenté pour moi qu’un passage obligé et impatient, vers le soleil et l’océan, sur la route de La Rochelle. Après Chavagné, l’urbanisation se dissout dans le paysage qui devient plus rural. Exoudun rime toujours avec crachin, il est temps de faire le dernier pointage des Deux-Sèvres pour enfin attaquer la Vienne, où bien que je sois parti de Poitiers, j’ai un carton plein à remplir.

Charroux est à une cinquantaine de kilomètres. L’après-midi est déjà bien avancée à cause de mon « jardinage » de ce matin dans Fontenay-le-Comte, alors ce sera sans doute la dernière étape du jour… si je l’atteins de jour, justement ! Même si le temps n’est pas trop engageant, encore une fois ne pas traîner. Il faut y aller. Après la verticalité de l’urbanisation niortaise, me voilà rendu à un monde plat, immobile ; semblant définitivement ancré à cette terre qu’on exile des villes ; rural. Dans un paysage dégagé, un espace de plaine, l’horizon redevient une possibilité atteignable. Les environs de Rom et d’Epanvilliers me rappellent des souvenirs de routes nébuleuses. Je m’y suis égaré, et surtout j’ai crevé dans la bouillasse des travaux de construction de la ligne TGV Atlantique, éventrant mon pneu arrière sur la fin d’un BRM 1000 de Ménigoute, en 2013. Aujourd’hui pas de quoi fouetter un chat, la route est propre ; et à Epanvilliers j’ai retenu la leçon. Si ma mémoire est bonne, je ferai mieux de prendre le petit chemin passant sous l’espèce de petit tunnel, plutôt que de continuer à suivre la route… Et effectivement, c’est beaucoup plus direct pour traverser le village. Après La Féolle, le carrefour présente des poteaux nus, dressés pour je ne sais quoi, sans aucun panneau indicateur. Des piquets orphelins de leurs directions. J’hésite et en conclus logiquement que ce sont des chemins secondaires, que je dois bifurquer plus loin… Sauf que le plus loin se fait attendre, et je comprends que j’ai raté la bonne route. Le soleil meurt en donnant aux champs des teintes rosées surréalistes. Je ne suis pas à un détour près aujourd’hui, alors rien de grave sauf le temps qui file vite vers le soir, et Charroux qui s’annonce dans la pénombre. En forçant l’allure j’atteins la petite ville dans les dernières charpies de ce jour gris rempli de pluie.

Il règne une vie grouillante dans le centre-ville, autour de sa halle flanquée sur la grande place. Une chambre d’hôte m’attend – je ne sais pas trop où – dans une petite ruelle vers la sortie de ville. La nuit qui est maintenant tombée ne m’aide pas pour m’y retrouver. Les explications sont confuses, puis je parviens à trouver mon point de chute après un temps fou. Une femme âgée m’accueille, me montre ma chambre. Moins luxueuse que celle de la veille, mais largement suffisante pour la nuit ; pour être au chaud, au sec surtout. Je suis gêné de rentrer tout dégoulinant et les chaussures boueuses. Ce n’est pas grave pour elle, elle en a vu d’autres avec son mari, à accueillir les Jacquaires. Veuve depuis quelques années, elle a hésité à continuer, puis l’a fait. Pour rompre la solitude. Je peux rentrer mon vélo à l’abri dans le garage. Il règne là tout un fatras de son défunt mari, bricoleur averti. Plein d’outils, de matériel dont cette dame ne sait pas quoi faire sans avoir envie de s’en débarrasser. Dans quelque temps – plusieurs décennies, j’espère – que restera-t-il de moi ? Sans doute un peu la même chose qu’ici. Des vélos, des vieilles motos poussiéreuses, complètes ou carcasses à moitié démantibulées attendant une restauration, des projets électroniques plus ou moins achevés ; bref plein de choses dont on ne saura que faire, et qui partiront sans doute finalement à la décharge.

Le réveil sonne à 4h. Je fais mon p’tit déj’ avec les excellents Broyés du Poitou que j’ai pris hier soir en arrivant, à la boulangerie place Saint-Pierre. Pas un chat dans Charroux, roux ou pas, même si la nuit ils sont en principe tous gris. La vieille tour emblème de la ville, est maintenant dans le noir. La place et la halle aussi, désertes. Sans aucun éclairage public, le bourg apparaît bien fade, comme privé de toute vie. Je regrette de ne pas avoir sorti mon appareil photo hier soir, à cause de la pluie. Tant pis. Je grimpe la petite bosse pour sortir du village en direction d’Usson-du-Poitou. Rien de terrible, ça réchauffe à peine ma carcasse. Puis c’est le retour du plat, bien que la route puisse faire la surprise de quelques petites montées de temps en temps. Le crachin est toujours là, décidément tenace. La traversée de Lussac-les-Châteaux est désagréable cette fin de nuit avec déjà le passage de nombreux camions m’arrosant au passage. Je suis soulagé de bifurquer sur une route plus calme en direction de Montmorillon. L’accès de la ville se mérite par une longue montée. Je trouve une boulangerie ouverte pour pointer, et aussi parce que la nuit fraîche et pluvieuse, à vélo ça creuse !

Je suis tiraillé entre le temps et la curiosité de visiter un peu la cité de l’écrit, mais je ne m’attarde pas trop en centre-ville. La pluie fine freine mes envies de flâner et il faut que je sois de retour à Poitiers en fin d’après-midi. Encore quatre pointages à réaliser. Je mets le cap au nord en longeant la vallée de la Gartempe en direction d’Angles-sur-L’Anglin. Une vieille connaissance, où plutôt deux, et le cours d’eau et le village. Le soleil revient doucement comme le jour épuise le crachin sur cette étape faiblement vallonnée. Après trois jours de pluie, la route s’assèche et les vieilles pierres se précisent, dorées dans la lumière de ce mardi matin. À l’entrée d’Angles-sur-l’Anglin, les ruines me sont familières bien que je les aie toujours rencontrées dans l’autre sens – du nord au sud – en trouvant les ruines du château fort comme une récompense après avoir traversé le petit village… et cette fois-ci c’est l’inverse. Quelques photos s’imposent. La sensation est assez étrange : je me retrouve dans une solitude de pierres, pour aller ensuite à la rencontre du monde des vivants. Il est encore tôt, pas de présence humaine évidente dans les rues, alors je me dirige vers la boulangerie dont j’ai encore le souvenir des espèces de Sprits géants en bouche. En poussant la porte, je me rends compte que ça ne sera pas si simple. La boutique a été rajeunie ; la boutique comme la commerçante. Une jeune femme a repris possession des lieux il y a à peine quelques années. Les pierres restent immobiles, leur destin immuable ; tandis que les vies humaines passent si vite, fragiles. La vieille femme que je connaissais a pris sa retraite depuis mon dernier passage sur la Flèche de France Paris – Bordeaux… En fait, six ans déjà ! Après quelques instants passés plongés dans mes rêveries, Il est temps de repartir.

Je continue un peu plus au nord jusqu’à Vicq-sur-Gartempe pour rejoindre un moment les berges de la rivière. Le paysage est plaisant, comme l’est à mi-chemin de Saint-Pierre-de-Maillé, cet étonnant château de Jutreau érigé sur sa grotte. Ensuite, le long faux plat en direction de La Puye me semble laborieux dans le petit vent contraire, avant d’aborder la descente menant à Chauvigny. En entrant dans le village blotti autour des berges de la Vienne, je suis accueilli par la cité médiévale en ruines – encore une – juchée sur les hauteurs.

 

Je quitte Chauvigny en tout début d’après-midi. Remonter la cuvette me semble un peu longuet. Il ne me reste pourtant qu’une bonne cinquantaine de kilomètres à accomplir, mais avec une certaine impatience d’en finir. Après ces journées bien humides, un peu de soleil ne fait pas de mal… sauf que je suis maintenant habillé trop chaudement, surtout dans cette petite montée. Je fais halte dans le Bois de la Loge, pour me découvrir et engloutir mon sandwich à l’ombre. Je repars ensuite plus à l’aise, en ayant retiré une couche de vêtement. Quelques villages trouent la monotonie des longs bouts droits : Pouillé, Tercé, Fleuré, Vernon. Puis Saint-Maurice-la-Clouère ou l’église sur la grande place m’attire pour une petite visite alors que je suis à deux pas de Gençay.

Je me remets en selle et voilà Gençay, donc. Pas mal de circulation cet après-midi. Un nouveau château, encore plutôt mal en point. Et de quatre. Décidément le patrimoine médiéval a mal traversé les siècles dans le département. En ressortant du village je mets le cap au plus simple, au nord vers Poitiers, via la dernière étape de Saint-Benoît. La D741 est bien trop passante pour moi, surtout pour y rester 25km au milieu de toutes ces bagnoles. J’ai le temps, mais je manque d’espace. Alors je fais un détour par Château-Larcher, pour rejoindre le grand axe à La Villedieu-du-Clain. Ou plutôt pour le frôler, longer cette route passante par une piste cyclable parfois tortueuse. Dans le standard des pistes françaises, elle n’est pas toujours propre – et pas toujours simple à suivre – mais je parviens à chaque fois à la retrouver… jusqu’à ce qu’elle s’évapore mystérieusement à l’approche de Saint-Benoît. Dernier pointage, dernier arrêt.

J’ai encore un peu de temps, avant de prendre mon train. Je flâne, prends des photos du bourg, encore village mais déjà tentacule urbain de Poitiers. Je profite des toilettes publiques juste à côté de l’église pour me rafraîchir un peu, et pour être plus présentable pour mes compagnons de wagon. Il me reste juste une poignée de kilomètres pour rejoindre la gare de Poitiers dans une lumière entre chien et loup. Fin de cette sortie automnale de quatre jours, qui à l’été en me permettant de pointer plus tard, aurait pu facilement se boucler en trois, éternel problème des BCN /BPF et leurs pointages de jour…

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