La Super Randonnée des Côtes de Bourgogne – Touriste

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Alors voilà, dans le domaine des Super Randonnées, il me restait à faire les trois pyrénéennes… Et puis la flemme l’a emporté, un coin de mon cerveau me disant : “Et celle de Bourgogne, la p’tite nouvelle, tu y as pensé ? C’est pas si loin en train, il y a quelque raidars mais le dénivelé est tranquille.” Et puis une autre a pris le relais, quel que soit le nom que vous lui donniez : le pressentiment, l’instinct, l’intuition, le pif… autrement dit n’importe quelle petite voix intérieure, qui parfois vous dit : “Attention, ne fait pas ça, n’y va pas !” Mais de temps en temps, vous ne l’entendez pas, ou plutôt que vous efforcez à ne pas l’entendre… Alors qu’il faudrait, mais c’est ainsi. Rassurez-vous, je ne vire pas schizophrène, personne ne parle vraiment dans ma tête, je vous explique juste. Bref, ce brevet fait sans doute partie de cette catégorie des voyages impossibles. En tout cas, l’expérience devait être tentée, et elle a commencé par un acte manqué !

Acte 1 : où l’on s’aperçoit un peu tard qu’il manque l’essentiel !

Fin avril 2016, un TGV m’emmène loin de Paris pour cette Super Randonnée. Moins d’une dizaine de kilomètres après Dijon, me voilà sous un ciel triste, au point de départ de Marsannay-la-Côte. Il y a un petit vent, quelques gouttes, l’air est saturé de gris. Je fais mon pointage photo et c’est parti. Au bout de deux kilomètres, le ton est donné, je suis bien là pour grimper. SAM_0617J’aperçois les zigzags de la route s’élevant devant mon horizon, comme si j’allais grimper un col. Impressionnant, mais la mise en jambes est facile, et les lacets bienveillants. Un tracteur me passe, puis un autre. Misère ! Bon, les montées ne seront jamais terribles en durée, mais le pourcentage ne sera pas forcément toujours sage. Ici tout va bien, je me cale sur un rythme calme. Mouliner, s’économiser, il faut garder de l’énergie pour la fin. L’air redevient silencieux. Les deux engins agricoles ont disparu de ma conscience et du champ de mon orgueil. Assez vite, l’arrière de mon genou gauche se tétanise. Les petits ennuis commencent… Il y avait longtemps ! Un petit répit en descendant en direction de Corselles-les-Monts me fait du bien. SAM_0627Ensuite, la route remonte vers le Mont Afrique. Le décor n’est pas vraiment très exotique, mais l’odeur du colza en fleur est entêtante. Mine de rien, même sans être en montagne, c’est bien un brevet qui va grimper. Quelques flocons de neige tombent. Au départ, je les prends pour des pétales emportés par le vent, provenant des arbres en fleur présents dans les environs ; mais non, les étoiles fragiles se dispersent en fondant sur l’écran plastique ma sacoche. Au sommet du Mont Afrique, Le bâtiment masquant l’énorme pylône ressemble à un phare échoué en pleine terre. C’est le moment de pointer avant de redescendre.

SAM_0650Les flocons disparaissent vite en redescendant. Tant mieux. Le fond de l’air est glacé malgré les 9°C affichés au thermomètre. J’arrive sur les berges du Canal de Bourgogne. C’est une curieuse impression, sur une Super Randonnée, que de suivre un chemin de halage. Je quitte les berges, sans indication, un peu au pif mais la sortie est logique, et les monts se dévoilent enfin. Je suis bien dans la bonne direction ! Après Mâlain et les ruines du château sur les hauteurs, le chant du ruisseau dans le fossé me donne une soif terrible ! En sortant du village, la route se cabre. Les cerisiers sont en pleine floraison. SAM_0655Le village de Baulme-la-Roche est agréable avec sa fontaine abritée par un kiosque, et la petite cascade située juste avant la remontée en sortie du bourg. Je fais l’appoint des bidons à Blaisy-Bas dans la grande fontaine à l’écart de la route. Les algues impressionnantes rendent l’eau un peu suspecte, mais elle est claire, SAM_0663et il n’y a pas de panneau de mise en garde… Finalement la boire ne me posera pas de souci digestif ! Le village de Bussy-la-Pesle est très joli avec ses vieilles pierres. En le quittant, la route monte sur la V3 ou le pourcentage atteint facilement 13 % en me surprenant… mais je ne suis pas au bout de mes surprises ! Je navigue au flair dans Verrey-sous-Drée, le nez est bon. Pause pointage devant la borne milliaire. Les bois sont calmes et le gazouillement des oiseaux donne une impression de grande sérénité… Hélas, je ne suis pas là pour flâner !

SAM_0723En repartant, nouvelle navigation au flair dans Fontette, l’instinct est toujours bon. Dans la descente, fasciné par la vieille ferme, je prends en sens inverse la bifurcation D9f / D9. Je m’en aperçois vite, et bientôt se présente un raidar à 15 %, une route sale et minuscule… Ce ne sera pas la dernière non plus ! Je manque quelque chose dans Avosnes, et me perds lamentablement en passant par Saint-Mesmin (juste à côté de Fontette alors que j’ai fait un détour terrible). Une grande partie de mon avance est partie en fumée.SAM_0736 J’enrage, mais je n’ai pas le temps de me lamenter ! La première vraie côte, par la longueur, se présente en quittant Uncey-le-Franc. Un peu plus loin, je m’arrête pour changer de feuille de route… Étrange, je ne la trouve pas dans la sacoche. Pas grave, je pousse jusqu’au prochain pointage de la Croix-Saint-Thomas à l’aide de la carte Michelin, et je fouillerais plus attentivement ma sacoche là-bas. En début de soirée, je fais ma photo de pointage, et ne trouve ni la suite de la carte Michelin, ni le reste des feuilles de route. Dans un éclair de lucidité, je vois très bien où je les ai laissées… chez moi. Un coup de téléphone me confirme que le tout est resté bien au chaud. SAM_0744Et merde ! Finir le brevet avec pour simples indications un bout de carte Michelin incomplet et la liste des vingt lieux de pointage, fait tout de même un peu juste vu les petites routes à prendre ! L’intérêt n’est pas le chemin mais le travail accompli, mais là, je ne peux réaliser ni l’un ni l’autre. Donc merci d’être venu, et demi-tour vers Dijon ! Il y a des moments dans la vie où l’on se trouve très con, et cette fois je confirme, je suis entré frontalement dans cette catégorie ; c’est la première fois que je fais une telle connerie de toute ma vie de randonneur !

SAM_0695Retour peinard vers Dijon, j’ai du temps à perdre. 4h15, ouverture de la gare. Au petit matin je joue à cache-cache avec mecs de l’entretien et leur énorme chariot brosse gueulard. Pour passer le temps, je me fais un petit-déj expresso chips. Le tortillard pour Paris part tôt, c’est au moins une consolation. Le quai s’affiche, je monte, vélo sur l’épaule. Une nana est aussi là. Au bout d’un moment elle s’évapore. Il fait froid sur le quai, pas de train. Instinctivement, je jette à nouveau un coup d’œil au tableau des départs. La voie a changé sans message sono. La courtoisie est en pleine perte de vitesse, la gourdasse aurait pu me faire signe, mais non ! Je redescends vite fait l’escalier avec mes godasses à la con, en essayant de ne pas m’emmêler dans le vélo. En remontant, les wagons sont bien là, c’est bon signe. Les compartiments vélos sont minuscules dans les vieux wagons Corail reconvertis. Pas facile à monter, casse gueule à descendre, et deux places exiguës. Je parcours vite fait tout le quai. À l’avant de la motrice du TER, il y a un accès de plain-pied et six places spacieuses pour les vélos. Bingo ! Il fait nuit et froid là-dedans. Tout est silencieux. Deux minutes avant le départ, le conducteur entre en trombe, et se jette dans la cabine, pas franchement de bonne humeur ! Forcément, le départ est différé de dix minutes, le temps de lancer la machine. Sur le quai, un homme à casquette ne cesse d’asticoter le retardataire. La machine rejette de puissants souffles de mécontentement. Elle entre en pression, le conducteur aussi ! Une forte odeur de brûlé m’agresse las narines ! Pas bon signe ce coup-là… Finalement le train démarre… Et si je vous raconte tout ça, logiquement je suis arrivé entier. Fin de l’aventure pour cette fois.

Acte 2 : où l’on a toujours à apprendre de l’âpreté de la vie !

CotesBourgogneCarteQuelques semaines plus tard, me revoilà pour ma deuxième tentative. J’en ai profité pour monter ma roue arrière spéciale montagne et sa cassette 11-28, avec laquelle j’ai bien pu m’économiser sur le Dauphiné Gratiné. Entre-temps, le dentiste est passé par là. Comme la Petite Souris, il a emporté quelques dents – les miennes, pas celles de la cassette – mais comme il est très gourmand, il est reparti avec bien davantage que quelques pièces. J’y ai sacrifié deux molaires, une de chaque côté, c’est déjà bien assez ! Une boucherie. Comme le reste du bonhomme, elles se sont montrées têtues, elles n’ont pas voulu se laisser faire. Cinq ou six séries de cinq ou six piqûres ; je trouve le temps long et la plaisanterie douteuse… Heureusement nous nous connaissons depuis longtemps avec l’Homme de l’Art. Il semble aussi surpris que moi. Une grande première, un cheminement nerveux mystérieux, une anesthésie qui ne fonctionne pas, pour au final ne plus rien sentir,SAM_0067 ni mon nez ni ma langue ni mon menton… Il a mis la dose en fin de compte ! J’ai la face de l’homme invisible. Rien qu’une gueule crevée, grande ouverte. Un goût de mort règne là-dedans, dans le royaume des courants d’air. Ensuite la douleur revient, les trous d’aiguilles puis les trous tout courts. Une semaine plus tard, je tente le vélo pensant sentir le cœur battre plus fort dans la mâchoire, mais non, ça calme. Enfin un peu de répit. J’aurais dû essayer plus tôt. L’effort disperse la douleur de la gueule crevée. Après la stupidité d’oublier mes documents de route le mois dernier, je ne voulais pas m’y coller une troisième fois. SAM_0091Je maintiens donc le créneau de ma virée… avec un plan alimentaire inédit : tout liquide, par la force des choses ! La bouffe est aussi la clé des brevets exigeants, il ne faut pas se rater. On verra bien. Allez hop, le TGV me ramène à Dijon en fin d’après-midi ce lundi 23 mai 2016, et quelques tours de pédales plus tard, me voilà au départ, pour la deuxième fois.

  • 17h passée, il brouillasse sur Marsannay-la-Côte. Ça en deviendrait presque une habitude. Des rafales de vent prévues à 50km/h se font bien sentir dans les lacets m’extirpant du village par les hauteurs. Le long du muret, des escargots de toutes taillesSAM_0103 – de Bourgogne bien entendu – stationnent en attendant la pluie qui arrive. Un tracteur me double, mais cette fois en fin de montée, l’histoire se répète, mais l’honneur est sauf ! En quelques semaines, les champs de colza ont perdu de leur superbe, de leur odeur, de leur couleur. Beaucoup de vert et quasiment plus de jaune. En montant vers le Mont Afrique, pas de flocons de neige cette fois, mais avec l’altitude, le colza en retard est encore bien jaune. Le sommet me fait toujours penser à un phare échoué en pleine terre, et je fais ma photo de pointage avec un air de déjà-vu.
  • SAM_0128Le chemin de halage du Canal de Bourgogne me laisse toujours une impression vraiment curieuse dans cette Super Randonnée, mais les côtes se préparent ; ô combien rugueuses ! Dans l’eau, un ragondin fait la planche puis plonge à mon passage. Deux hérons cendrés prennent leur envol majestueux à mon arrivée, me saluant un instant en suivant la berge d’en face. Petit moment de grâce. En quittant les berges, les monts se dessinent, je ne suis pas là pour traîner en plaine. Je monte vers Mâlain, le nom du village me fait sourire, je suis bon public. Le vent se fait plus violent, et la pluie se met à tomber franchement, comme pour me ramener à ma condition d’insecte pédalant. Je suis parti pour une dizaine d’heures de submersion. Je range tout en pochettes plastiques, mais bien vite mon imperméable prend l’eau. D’abord par la fermeture éclair,SAM_0134 puis par l’encolure, et je n’aurais bientôt plus rien de sec… Les chaussures font de bruyants flouf-flouf à chaque tour de pédale… Du coup, cette fois j’ai moins apprécié le charmant petit village de Baulme-la-Roche, et la remontée en sortie de bourg, alors qu’une rivière d’eau dévale en sens inverse. À Blaisy-Bas, je passe devant l’entrée du grand tunnel qui avait avalé mon TGV en venant. Le déluge devient incontestable à SAM_0149Bussy-la-Pesle où je m’arrête quelques instants sous un abribus, mais je ne m’attarde pas, la pluie s’obstine. Je vérifie que tout soit bien étanche dans les sacs plastiques, puis repars. Je me réoriente au pif et à l’aide de mes souvenirs à Verrey-sous-Drée. Ça patine un peu dans la petite route défoncée et herbeuse, en forte montée, menant vers la borne milliaire. Je suis un peu protégé par les feuillages, le temps de parvenir à faire la photo de pointage sans totalement noyer l’appareil, et c’est reparti !
  • SAM_0160La pluie tombe toujours à bon rythme, elle ne cédera progressivement qu’après le milieu de la nuit. Pour l’instant, la clarté est crépusculaire. À Avosnes, ne sachant pas où aller, mais en sachant surtout où ne pas aller, j’évite le piège de la dernière fois et fini par m’y retrouver sans trop de mal. À Uncey-le-Franc, je retrouve la première vraie montée du parcours, pas en pourcentage, il y aura bien pire, mais en longueur. En bifurquant sur la D108, le soir tombe, toujours pluvieux.SAM_0164 Je commence vraiment à prendre  l’humidité et le froid : je gèle. Un des feux arrière supporte lui aussi très mal les intempéries. Impossible de le rallumer. J’en sors un de secours de la sacoche, et enfile un autre t-shirt, encore sec, lui. La nuit devient rapidement d’encre, et un léger brouillard se forme. Les loupiotes rouges du mât de la Croix Saint Thomas sont nébuleuses à mon approche. Malgré la météo, la photo de pointage n’est pas si mauvaise. Je remets vite fait l’appareil au sec dans son sac plastique, et m’enfuis.
  • SAM_0173La pluie perd un peu en intensité, tandis que le brouillard se renforce. La température ne me paraît pas si basse, mais je gèle dans mes vêtements humides. Cette étape me paraît facile, mais la navigation est une vraie purge,SAM_0180 surtout dans ces conditions météo exécrables. Le temps semble pourtant plaire aux lapins, je manque d’en écrabouiller trois. Je n’ai pas envie de faire un soleil par-dessus, de nuit ce serait le comble du mauvais goût ! En passant par Quarré-les-tombes, je n’en vois aucune, ni des carrées ni des rondes. Dans la brume nocturne, j’ai du mal à faire une photo un minimum correct du panneau du Barrage du Crescent… J’y parviens plus ou moins.
  • SAM_0184Le brouillard a pris le relais sur la pluie, en poches très épaisses. Les nuages de froid blanc sont impénétrables. Les oiseaux, eux, chantent joyeux, comme les lapins. La Lune essaie parfois d’émettre une vague lueur, mais pas une étoile ne traverse. Le ciel semble encore très bouché. Le moral commence à remonter,SAM_0193 malgré la fraîcheur de cette fin de nuit et ses 6°C. Avec la promesse du retour du jour,  je n’ai plus froid une fois mon t-shirt redevenu presque sec. La fin d’étape est dure et la fatigue commence à se faire sentir dans l’air chargé d’humidité. Les multiples replats d’Arleuf au Haut-Folin me permettent de récupérer pendant l’ascension. Au sommet, pour le pointage, le brouillard semble décidé à se disperser. Pourvu que ça dure !
  • SAM_0212Mes pieds commencent enfin à vouloir sécher. J’ai l’impression que mes chaussettes sont moins marécageuses. Un bon tiers du parcours est fait. J’arrive à maintenir une petite avance sur l’horaire. Avant de repartir, je me fais un petit-déjeuner décadent avec un mix liquide nouille-tomate. Le goût sucré se devine en arrière-bouche, mais est assez bien masqué. L’étape est courte, globalement en descente, mais en tournant au niveau du Musée archéologique de Bibracte, la montée du Mont Beuvray est exigeante, sur une route sale, détrempée et dégradée. SAM_0217La côte n’est pas une plaisanterie. Arnaud Montebourg devrait faire l’ascension à vélo pour plus de panache ! Quelques jours après son passage médiatique et celui de toute sa petite cour, le site est propre, pas un papier gras, rien, bravo. Après la photo de pointage au sommet, j’en profite pour regraisser le cuissard avant de repartir.
  • SAM_0239Un peu de soleil finit par disperser la brume, mais la matinée peine à dépasser les 10°C. À l’approche d’Uchon, je me jette dans une descente à 18 %… bientôt suivie de sa Côte symétrique à remonter ! Les montées brutales sont la spécialité de cette randonnée. Depuis le Mont Beuvray, je commence à avoir mal au dos, à force de m’accrocher et tirer sur le cintre pour grimper en force.SAM_0247 Les genoux sont aussi à la peine, mauvais signe… Dans la montée, je fais un arrêt au cimetière d’Uchon. Une pause bienvenue pour se rafraîchir, mais en repartant la route grimpe toujours. Au sommet, je fais le tour du parking, mais ne trouve pas le bon panneau à photographier pour le pointage. Étrange. Finalement, je repars faute de mieux, et tombe enfin le bon quelques dizaines de mètres plus loin ; sauvé !
  • SAM_0288Les quelques éclaircies prometteuses n’auront finalement pas duré. Le vent revient, très frais. Après une petite remontée vers Montcenis, la route descend vers la cuvette de Blanzy, qu’il faut bien remonter ensuite. Puis la route commence à se cabrer pour un final sur de l’asphalte parfois improbable, SAM_0316et aussi âpre que sur les étapes précédentes. Pour le pointage, il faut gravir les rues du petit village de Mont-Saint-Vincent, tout en pente. L’employé communal occupé à faire du jardinage sur le belvédère observe mon manège d’un air consterné. Quel intérêt peut-il y avoir à photographier ce panneau ? Je vous le demande un peu ! Le vélo paraît ridicule, lui aussi, sous l’immense pancarte.
  • SAM_0332Toujours pas de soleil, et toujours ce petit vent contrariant. Le fond de l’air est très frais en descente… mais arrive à donner bien chaud dans ces satanées montées. Et il y en a encore une dans cette étape, même si le final, à partir de Saint-Bonnet-de-Joux, est cette fois moins exigeant pour arriver jusqu’à la Butte de Suin. Je prends ma photo de pointage au pied de la croix de fer, puis fais le tour de la vaste esplanade. À l’autre bout, la statue de la vierge me regarde du haut de son monticule. À ses pieds se trouve un robinet. Si Marie veille sur l’eau, elle doit sûrement être potable. Un petit panonceau le confirme. SAM_0359Même pour un laïc comme moi, cela semblait pourtant une évidence, ou au moins une logique. J’y fais l’appoint des bidons, sait-on jamais, l’eau est peut-être bénite ? En tout cas cela ne peut pas me faire de mal.
  • SAM_0379L’étape commence par descendre, puis se met à frémir pour monter doucement le Col des Vaux qui n’est pas bien dur. Peu après, je passe par En Seigneron. Comme je suis bon public, le nom du lieu-dit me fait sourire. J’espère en tout cas que ce ne sera ni l’orthographe ni la conjugaison ! Le final est moins tranquille, en s’achevant par une montée aux pourcentages indécents, afin d’escalader le Mont Saint-Cyr. La route de fin n’est pas forcément évidente à trouver, SAM_0382il manque un panneau de direction pour éviter de se faire piéger bêtement, et commencer à redescendre vers Matour. SAM_0392Une fois au bon endroit, deux sens interdits protègent de la venue des intrus pour ajouter à la confusion. Je monte quand même, faute de mieux, car je ne vois pas où passer autrement. En fait ce chemin sera le bon. Cette fin de grimpette se fait sur une route montant à pic, dégradée et dégueulasse… Pas bien original sur ce brevet ! En haut, le panneau à photographier présente un cadre vide. Curieux, mais j’ai été prévenu. Le sommet embrasse un large panorama, je m’y attarde quelques instants.
  • SAM_0420En passant devant, je fais le plein des bidons au cimetière de Matour. Finalement même si ce brevet n’a pas une foule de lieux pour trouver de l’eau, on ne finit jamais à sec, à condition de ne pas attendre la dernière goutte. À Tramayes, la déviation annoncée se justifie par des travaux de voirie recouverts de grosses caillasses. Le bitume arrivera sans doute un jour. En attendant, encore une fois je suis étonné de ne pas crever dans tout ce merdier. SAM_0427Je me félicite d’avoir monté des pneus neufs pour cette randonnée. Incroyable de ne pas avoir eu une seule crevaison avec des chemins aussi sales, défoncés et gravillonnés. J’ai souvent eu moins de chance avec de bien plus belles routes. Tant mieux pour cette fois, mais c’est curieux ! La ferme-auberge de la Mère Boitier est bien tentante, mais visiblement ce n’est pas elle que je recherche. Le vrai lieu de pointage est situé bien plus haut. Un chien teigneux semble vouloir me le confirmer en m’envoyant voir ailleurs. Le temps est long, la montée assez raide, mais il y a bien pire dans ce brevet. Le doute en profite pour s’installer faute de panneau d’indication. SAM_0424La route bien goudronnée – pour une fois – se fait improbable dans sa destination… je n’y suis plus habitué ! Finalement, elle s’achève complètement dévastée pas les travaux forestiers ayant visiblement eu lieu sur le site de la Mère Boitier, où je trouve à l’autre bout de ce marécage boueux le fameux panneau de pointage à photographier. Avec l’humidité, les segments de grumes alignés en tas sur les abords, sentent merveilleusement bon le bois fraîchement coupé. Une odeur entêtante qui m’évoquerait presque celle du saule abattu.
  • SAM_0432Je repars par le champ de gadoue d’où je viens, sans toujours crever. Le début de la descente est dégradé, puis je retrouve la route au bitume étrangement en bon état. Je savoure, il n’y en a pas si souvent sur ce brevet. Le crépuscule tombant, je passe dans l’autre sens et bien plus vite, SAM_0457devant cette saloperie de chien qui n’a pas cette fois le temps de s’interroger pour savoir s’il doit essayer de me croquer ou non. Je m’arrête un instant, à la nuit naissante, au Col de Grand Vent. Ouais bon, à un autre moment je ne dis pas, mais là il ne faut pas exagérer point de vue souffle. La route se met ensuite à remonter que pour passer tranquillement le Col de la Grange du Bois, où je fais ma photo de pointage nocturne.
  • Au cœur du royaume des ombres, je dois dire que cette étape m’a paru fastidieuse, dans la nuit noire, le vent froid et le brouillard. À mi-chemin, pris par la lassitude, je marque une pause je ne sais où sous un abribus, pour m’assoupir un quart d’heure. SAM_0460J’ai l’impression que les changements de direction sans arrêt, et la vigilance qu’ils imposent pour ne pas se perdre, accentuent ma fatigue. Je n’ai toujours pas de GPS, l’orientation fait partie du contrat du randonneur, c’est ringard je sais, mais c’est mon avis ! Encore une montée raide en fin d’étape pour arriver au sommet du Mont Saint Romain.SAM_0467 Dans l’obscurité, je passe devant le panneau de pointage sans le voir, et fais le tour du site, sans bien entendu rien trouver. J’y passe un certain temps, fouille tous les coins d’obscurité et de brouillard, avant de franchir dans l’autre sens la chaîne barrant de nuit l’accès au site, et tombe nez à nez avec la bonne pancarte, que je n’avais pas remarqué à un mètre… Enfin sauvé !
  • Je redescends prudemment, de nuit, la petite route dégradée m’ayant menée au Mont Saint Romain. Cette étape a pour moi comme un air de déjà-vu. SAM_0483Je connais le discret Col de Brançion et les routes qui suivent. La montée du Col des Chèvres en fin de nuit, que je connaissais déjà sur la Flèche Paris – Briançon m’avait semblé longue mais sans plus, alors que cette fois elle m’apparaît toujours longue, mais surtout ingrate. À Mancey, je tourne un peu en rond dans le bourg avant de trouver la route de Corlay. J’arrive au sommet du Col de Narvois à l’aube et dans le brouillard.
  • SAM_0492Le début d’étape n’est pas bien exigeant mais ce matin, le brouillard, les faux plats et le vent, entraînent une certaine monotonie. Je rate une bifurcation vers Buxy et me voilà quitte pour un bon détour. La petite marge d’avance que j’arrivais à maintenir s’est réduite d’autant plus que j’ai déjà perdu du temps avec la navigation fastidieuse dans la nuit brumeuse. Pour gagner Saint-Sernin-du-Plain j’ai une sérieuse baisse de régime. Le changement d’alimentation pour passer au tout liquide commence à dévoiler ses failles. Connerie de dentiste !

SAM_0496Je m’extirpe du village par la longue ligne droite en légère descente. J’ai les pylônes du Mont Rome en ligne de mire, mais mes pieds sont complètement anesthésiés, surtout le gauche, à force d’écraser les pédales dans des chaussures avachies. La route se cabre vite, et je me plante dans le bitume. Je mets toutes les vitesses à gauche et rien n’y fait, je reste ventousé au sol. Je m’accroche au cintre, tire dessus, les vertèbres me font mal, les genoux rendus bouillants par les montées en force sont au bord de la tendinite. Tout fout le camp. Deux kilomètres à faire jusqu’au sommet. Il ne semble pourtant pas bien loin à vol d’oiseau, protégé derrière sa petite barrière de falaise blanche. J’ai chaud. Mes articulations n’en peuvent plus. Mon corps est incapable de faire un mètre de plus, je m’arrête. Mon organisme se venge de ce que je lui ai fait subir, le dentiste et tout le reste. Impossible de repartir dans une côte pareille, encore près de 20 %. Le plastique de mes cales pas du tout faites pour la marche, ripe sur l’asphalte sans avancer. Je glisse, je rampe, je ne suis même pas à 3km/h ! Un coup d’œil sur les trios de chevrons de ma carte Michelin m’indique les pointages suivants dans les mêmes conditions, je ne risque pas de regagner du temps. Comment finir dans un merdier pareil ? J’enlève mes chaussures. Mes pieds ne sont pas davantage à la fête, le gauche manque toujours à l’appel. Les chaussettes sur le bitume granuleux ne sont pas le bon plan. Qu’est ce que je fous là ? Qu’est ce que je pourrais bien essayer d’autre ? L’hélicoptère ; couper à travers champ ? Rien. Impossible de poursuivre, c’est con mais c’est comme ça, pourtant il faut bien innover dans la vie… et là, point de vue connerie, j’innove ! Ma tête tourne en boucle, le temps défile alors que je fais du surplace. Je calcule et recalcule, j’arriverai environ une heure hors délais. Et merde ! Demi-tour, je m’improvise une solution de repli en attendant de savoir quoi faire de définitif. Rideau pour aujourd’hui !

SAM_0509La dizaine d’heures de pluie du départ, décuplée par l’âpreté du parcours ne m’a pas fait de cadeau. La nuit passe, comme celle d’un damné, d’un condamné. Le lendemain il fait beau, je traîne ma flemme et ma carcasse crasse. Pas envie de quoi que ce soit, surtout pas de repartir. C’est la fin de matinée, le moment de me décider si je finis ce brevet en touriste ou si j’abandonne. Mon dos, mes genoux me font toujours mal. Mes mains semblent plus lointaines de mon corps, les paumes et les doigts incertains. Mon pied gauche a repris un peu de vie. Il n’y a pas à dire, les chaussures sont complètement avachies, mortes, elles m’avaient déjà causé du souci sur le dernier Paris-Brest-Paris, mais je n’ai pas eu le temps de rôder convenablement les nouvelles. Je le paie maintenant. Je reprends la route en direction de ce satané Mont Rome au pied duquel j’ai buté bêtement hier. Les kilomètres sont ingrats. Ça coince, ça roule carré, ça peste et ça enrage sur le vélo. Retour à Saint-Sernin-du-Plain, face au dernier petit panneau marron indiquant le Mont Rome. Alors, finir en catégorie touriste ou abandonner ? Dans ce cas, pourquoi serais-je revenu là ? En toute lucidité, en y repensant en boucle, je n’ai aucune intention de recommencer à patauger dans ce champ de mines à la verticale qui s’étend sur 600km. Trop exigeant pour moi, pour mes putains d’articulations si fragiles. Tenter ma chance encore une fois ne serait pas très raisonnable sur des routes – ou ce qui en tient lieu – pareilles. Il me revient alors en tête cette énigme : comment ai-je réussi à ne pas crever au moins dix fois avant d’arriver là ?  (Je me rendrai compte une fois rentré, que j’ai décollé la bande de roulement sur 5cm à l’avant ! ) Non, je n’ai aucune envie de recommencer un jour tout ce parcours. Il faut en finir cette fois ou jamais. Ce tracé est trop bestial par-delà le simple chiffre du dénivelé. Il laisserait penser à quelque chose d’exigeant, mais de plus doux. Mes autres Super Randonnées : celle de Haute Provence et même du Dauphiné Gratiné m’ont semblé beaucoup plus faciles, avec leurs vrais cols à gravir, plutôt que ces espèces de montées courtes mais assassines.

SAM_0515C’est définitif, je ne veux pas avoir à recommencer ce parcours ; jamais ! Jamais plus ! Il faut y aller, alors j’y vais. J’ai de nouveau les pylônes du Mont Rome en ligne de mire. Je m’arrête pisser avant la montée. L’instant est solennel, je marque mon territoire, façon d’apprivoiser l’ogre ; de loin ! Finalement il se laisse prendre, aride, dans la douleur de mes articulations. Je rampe, je m’imprègne du rythme de la limace écrasée de chaleur. L’image mentale me correspond bien. Une limace n’a pas d’orgueil, pas de temps à battre, pas de problèmes d’articulations ; elle dispose de toute l’éternité, moi aussi. SAM_0521Grève ou pas, je trouverais bien demain matin – ou l’après-midi s’il le faut – un train pour me ramener sur Paris avec mon vélo tout dégueulasse et non bâché. Je ne force pas, vraiment pas, même si je dois finir à la nuit tombée, car la nuit apaise les montées et soigne les âmes égarées. Même en pleine débâcle, la route de nuit reste une amie. Le sommet est enfin là, putain il n’était pas si loin, je l’ai eu cette saloperie de pointage !

  • SAM_0536Petite pause et photo du panorama, pour savourer avant de repartir dans la descente. Maintenant plus rien ne presse. Le panneau de Paris-l’Hôpital me fait rire, c’est tellement de circonstance ! De Dezize-lès-Maranges à Borgy, de gros travaux de voirie en cours rendent la forte montée assez ingrate. Ensuite, quand le bitume a repris une allure plus conventionnelle, la côte devient plus facile en direction de la Montagne des Trois Croix. SAM_0539Je les aperçois nettement d’ailleurs, les trois croix, alignées sur la crête. Le sommet n’est plus très loin. En haut, je fais le tour du parking recouvert de grosses caillasses. Je ne trouve pas les fameux panneaux de pointage. Il devrait y en avoir deux (avant la mise à jour du site de l’ACP) et je n’en vois que des solitaires. Faute de mieux, je prends celui-là en photo. Il a l’air récent, il a dû remplacer les deux autres vieillissants. Je n’ai pas d’autre explication… et ce sera la bonne !
  • SAM_0574En redescendant par la route toujours défoncée, je suis fasciné par la beauté toute simple de l’église de Dezize-lès-Maranges. En traversant Chassagne-Montrachet, je suis doublé par trois voitures. Autant qu’en une journée entière ! La pénurie d’essence et les petites routes ont du bon, SAM_0595sur cette randonnée on n’est pas dérangé par le trafic ! Cette étape est facile, je m’attendais à pire vu les trois chevrons de la carte. Bien entendu il faut que la route remonte, et elle le fait à l’approche de Blagny, mais pas méchamment. Je trouve sans problème l’oratoire pour y pointer. Je dépose une pièce de 2€ sous l’angelot, pour rien, pour le voyageur égaré. Du coup la figurine est bancale, j’ai du mal à la faire reposer à plat sur la pierre.
  • SAM_0609En repartant, la route est comme souvent très sale. Au loin sur ma droite, je crois reconnaître l’énorme pylône à plateaux du Mont Afrique. Mais peut-être n’est ce pas lui ? En dévalant la D33, le château de La Rochepot se plante majestueusement dans le décor. Il réapparaîtra sur les hauteurs au travers des frondaisons, en traversant le village. À partir de là, cette étape m’a paru fastidieuse, pourtant les côtes ne comportent pas de gros pourcentages. Le champ d’éoliennes aux alentours de Bessey-en-Chaume tourne à fond : SAM_0620zing, zing, flouf, flouf, une avancée pénible peut-être à cause du vent, alors ? J’arrive au pointage, étrange, au milieu de nulle part et surtout au milieu d’un pont d’autoroute. Je pose le vélo sur la rambarde et dégaine l’appareil photo. Je ne sais pas quel effet cela produit sur les camions,SAM_0661 mais j’ai le droit à des appels de phares… Pourtant je n’utilise pas de flash ! Le début de soirée s’installe, gris. Je repars pour profiter des dernières heures du jour dans le souffle des pales, les éoliennes sont toujours à la joie.
  • SAM_0678Dernière étape, il reste moins de 45km à parcourir, et quelques petites montées – dont celle après Bouilland m’a surpris – avant d’entrevoir les descentes menant vers Nuits-Saint-Georges. La traversée des villages par la D122 n’est pas forcément simple, où alors j’ai raté quelque chose dans l’obscurité. En  théorie c’est tout droit, mais je perds les panneaux après Gevrey-Chambertain. SAM_0688Comme les camions continuent à passer, en traçant leurs sillons jaunes et rouges dans la nuit de manière lointainement parallèle – sur ce qui doit être la D974 – je me dis que je ne suis pas perdu, et en cas de doute, je choisis mes directions en me guidant du voisinage de la grande route… et ça fonctionne ! J’arrive au bon endroit à l’entrée de Marsannay-la-Côte pour le pointage final. Après un bon décrassage dans les toilettes publiques, j’ai très largement le temps de rejoindre Dijon pour attraper le premier train pour Paris. Fin de l’aventure !

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Quelques questions à se poser avant de partir :

  • Faites-vous cette Super Randonnée pour le plaisir ou juste pour valider un Randonneur 10000 ? Dans ce cas, assurez plutôt le coup avec une SRHP... plus accessible, avec de vrais cols, mais moins cassante !
  • Capacité de votre vélo (et vos talents de pilotage) à rouler en sécurité sur des routes parfois très dégradées et/ou glissantes (robustesse générale, des pneus, anticipation de nuit par un très bon éclairage…) Si vous avez un gravel ou un cyclo-cross, à mon avis il sera plus à l’aise qu’un vélo de route !
  • Pourquoi ne pas considérer un départ en fin d’après-midi plutôt que matinal ? Ainsi je n’ai pas eu de nuit de routes trop piégeuses ni trop pourries (Sophie m’a rejoint sur la pertinence de cette option).
  • Une côte à 20 % dans un parcours, on s’accroche et ça passe, mais la répétition peut finir par se montrer très cassante. Votre organisme et votre matériel (rapports de transmission…) sont-ils prêts à le supporter ?
  • Possibilité ou non, selon les systèmes de cales, à poser pied à terre et pouvoir marcher pour finir au besoin une côte bien raide.
  • En l’absence de GPS, pour les courageux, capacité à mémoriser le parcours et à suivre les changements de caps incessants (la feuille de route est longue !) sans perdre de temps, surtout la nuit.
  • Expérience des Super Randonnées, et en avoir réussi avec une bonne marge. Ne pas se fier au dénivelé global très raisonnable pour ce genre d’épreuve. Ici le délai de 50h (assez confortable sur la SRHP) est assez serré !
  • Capacité à ne pas se montrer dangereux, en cas de manque de sommeil (hallucinations conduisant à une mauvaise perception dans les descentes exigeantes…)

 

Pour le récit de la randonnée effectuée en temps limité en version randonneur, c’est ici.

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