BCN et BPF : Orléanais – 28 Eure-et-Loir & 41 Loir-et-Cher & 45 Loiret

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Kilomètres réalisés : 3840
Provinces BPF validées : 6
Départements BCN validés : 16

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Le printemps est arrivé d’un coup. Un bon coup de chaud, pour moi qui n’aime pas ça, alors pour aller rouler, autant partir dans la douceur de la nuit. Je préfère autant le froid, et même les -7°C de février où j’avais fait la moitié des pointages du Loiret pour me remettre en jambes. Aujourd’hui c’est du sérieux, et même si je ne refais pas les pointages que j’ai déjà validés, je vais refaire la route, pour rester dans mon éthique de la grande randonnée. Et si, au lieu de faire une sortie couvrant un département ou deux, je vous proposais d’en viser trois ? Et si l’on menait la vie de château, à vélo, et – presque – sans aucun bobo ? L’Orléanais, dans sa dimension historique, vous connaissez ? Ça vous tente ? Je vous ai concocté un joli circuit ; alors en route pour le tour du Loiret, du Loir et Cher, et pour finir, de l’Eure et Loir. Un peu trop pour le tiercé dans l’ordre, mais pour le loto : 45, 41 et 28. Dans les 750km, rien que ça, et en deux jours… C’est parti.

Comme le dit l’expression, il n’y a pas d’heure pour les braves. Oui, mais des fois ça se discute quand même ! S’il n’y a pas d’heure, alors sans doute pas de jour non plus ; donc après un petit coup de mou le vendredi soir d’une semaine chargée, je décale mon départ au samedi minuit… Ou dimanche ; je n’ai jamais su si minuit marque officiellement la fin d’une journée ou le début d’un autre. Peu importe. Cette fois je ne pars pas seul, j’emmène avec moi – ou plutôt sur moi – Louison, Bobet de son grand nom ; un cuissard tout neuf made in France, une balade parfaite pour l’étrenner sans concession (les résultats du test sont ici…)

Allez, départ de Malesherbes, premier lieu de pointage de cette province des BCN / BPF. Je l’ai déjà tamponné de jour en février, alors je ne traîne pas ! Brille une presque moitié de lune, une poignée d’étoiles… on verra au retour pour les croissants. De très gentilles petites bosses permettent de s’extraire tranquillement de la ville, ensuite : calme plat. Je passe par « Le Point du Jour », un lieu-dit même pas éclairé. Franchement de qui se moque-t-on ? Même un seul lampadaire aurait fait l’affaire, question de crédibilité, non ? Après mon passage furtif, le minuscule bourg est vite rendu à sa nuit. À Puiseaux, je m’arrête devant le monument aux morts. La liberté, en écrivant son dernier nom au tableau d’honneur, semble cueillir la lune sous les coassements des grenouilles toutes proches. La nuit est calme, et la campagne a l’odeur entêtante gris clair du jaune nocturne des colzas. Des langues de froid et de chaud s’amusent sur mes bras nus, tandis que des panneaux fièrement plantés se partagent le territoire du Loiret et de l’Île de France, essayant de semer le doute dans mon esprit encore au début de sa nuit blanche. À Beaumont-en-Gâtinais, la vieille halle dressée sur sa grande place est bien mise en valeur, en plus des classiques église et mairie illuminées, puis la route fuit à l’autre bout dans un virage à gauche. Rendu à l’immensité des champs, la lune brille à droite, un cordon de clignotements éoliens rougeoie à gauche, et l’étoile du berger brille en face ; je me sens moins seul dans la nuit. L’église de Pannes au fond de sa vaste pelouse, est toujours aussi majestueuse avec son enduit rouge pastel que je lui connaissais déjà de jour. En passant par Montargis avec mon itinéraire préparé – vu que j’ai l’habitude de me perdre dans cette ville – je longe un grand bâtiment de briques rouge tout-en-un : dispensaire, clinique chirurgicale, hôpital, orphelinat, hospice… L’agglomération est bien éclairée, et en ressortant, je remarque curieusement que les nuages ont tout avalé : la lune, sa clarté et la plupart des étoiles. Le fond de l’air est noir, et bientôt sur la droite, naissent des flashs au-dessus de la plaine. La foudre s’obstine mais reste silencieuse. Pour l’instant tout va bien, dans une trentaine de kilomètres je vais obliquer… dans sa direction ! En pleine nuit, l’église de Montcresson se détache de son village de pénombres ; pleine de contradictions avec les grands vitraux de sa façade illuminés et sa porte grande ouverte sur le monde des ténèbres extérieures. C’est la première fois que je voie une invitation pareille : sans crainte et à cœur ouvert. L’intérieur m’apaise un instant, puis je ressors. En prenant du recul pour la photo, je ne fais pas attention à la rangée de grosses bornes en béton qui gardent le trottoir d’en face. La pénombre ne m’aide pas, et je me fracasse joyeusement dedans. Mon genou gauche, celui qui a tant de mal à apprivoiser la douleur cette année. Et ce n’est pas fini, je m’emmêle les pieds entre le plot et mon vélo que je tiens à la main, et me retrouve en supplément avec le deuxième genou et une épaule en vrac. J’en reste presque KO, la douleur est fulgurante. Je maudis ma stupidité. Que faire ? Déjà demi-tour ? Après seulement une soixantaine de kilomètres ? Ah ça non ! Il faut continuer. J’attends que les orages passent un peu dans mes articulations tandis que leurs homologues météorologiques stagnent au ciel, puis repars ; doucement. Décidément, le petit Jésus a une bien curieuse façon de recruter ses ouailles ! Ça grince, ça coince, personne n’entend les grossièretés que je me jette au visage. Châtillon-Coligny apparaît lui aussi dans le noir complet. Le village dort encore et seulement une lueur émane de la boulangerie au travail. Je m’en fiche, j’ai déjà le précieux tampon de la localité, obtenu par -7°C et sous les flocons ; ça aide aux souvenirs ! Sans aucun éclairage, la localité dissimule sous charme sous une noirceur anonyme. Après cette première étape plate, très facile, il faut repartir.

L’orage se précise, inondant la plaine d’une lumière stroboscopique. La pluie est joyeusement attendue par les chants des oiseaux, contrastant avec le silence des éclairs encore lointains. Après tous ces villages désespérément aveugles, La Bussière est le premier bourg éclairé depuis l’agglomération de Montargis. J’arrive à Briare, le dernier de mes pointages déjà réalisés en février. Le village est différent de nuit, mais tout aussi joli. Le port de plaisance a pris une tout autre physionomie, les bateaux ne sont plus des prisonniers immobiles plantés dans la glace de février. Ils sont juste endormis sagement, alignés ; et moi je n’ai pas sommeil. Alors je m’en vais.

Je change de direction : cap à l’ouest et orage droit devant ! À Gien, des guirlandes de couleurs urbaines s’étendent paresseusement sur la berge d’en face, reliée par les arches lumineuses de son pont enjambant la Loire. Des mouettes insomniaques s’ébrouent dans le fleuve. Un air de déjà-vu, d’octobre froid notamment, d’une Flèche de France Marseille – Paris sur le retour. Nous nous sommes croisés plusieurs fois, cette ville et moi, et pourtant je ne me rappelle pas l’avoir vue de jour ; j’ai l’impression de toujours y être passé de nuit. Étrange. Dans l’aube qui n’est encore qu’un espoir, une possibilité, je passe sous un pont SNCF d’une longueur incroyable, et pourtant un cul-de-sac. Ouvrage colossal et dérisoire, vestige de je ne sais quelle ligne maintenant abandonnée. Plusieurs kilomètres  d’arches de pierre pour ne desservir que des silos. Toute cette construction, tout cet orgueil créateur pour rien, tandis que dans mon dos se précise la promesse d’une nouvelle journée pour l’instant enveloppée de nuages grenat. Après Saint-Gondon, la centrale nucléaire devient une réalité proche, palpable dans la fumée de ses cheminées et le bruissement de son râle continu, complainte de dragon assoupi dont le réveil serait terrible. Au détour d’un virage, le château de Sully-sur-Loire me saute aux yeux ; quelle jolie surprise ! En passant sur l’autre rive de la Loire, le prochain pointage n’est plus si loin. Saint-Benoît-sur-Loire : premier coup de tampon du jour dans une boulangerie. De quoi également remplir un petit creux après 140km. La carte violette elle aussi se remplie : quatre preuves sur six. C’est jour de brocante dans les rues du village. À l’écart des chineurs, l’abbaye patiente dans son silence de pierres. L’atmosphère est reposante, le soleil rasant lèche les pierres de son sourire doré, alors j’approche. Des chants religieux s’échappent au dehors ; ambiance contemplative… mais parce qu’il faut aussi faire 750km en deux jours, il faut aussi remonter sur le vélo !

Les orages se sont évaporés dans la nuit, repartis silencieux comme ils étaient venus ; les nuages avec eux, sans que j’entende un seul grognement, ne sente une seule goutte sur ma peau. Je n’ai pas souvent eu une telle chance. Pour une fois, je ne me suis pas jeté dans la gueule du loup. La halle métallique de Châteauneuf-sur-Loire ressemble à un gros mécano noir de mille-pattes monté sur échasses. La chaleur remonte vite, 20°C à 10h, le printemps semble avoir du temps à rattraper. L’étape est un peu moins roulante que les précédentes, mais toujours plate. À Souvigny-en-Sologne, la vendeuse de la boulangerie est charmante, aussi percée qu’une chambre à air à la fin d’un Paris-Roubaix. Une encore une petite faim en moins, et premier coup de tampon sur mon carton du Loir et Cher. Il ne faut pas se tromper en jonglant avec les trois départements de la province.

Sur la route, je retrouve la forêt solognote et les petits villages de briques apparus en fin d’étape précédente. Petit arrêt au cimetière de la Ferté-Saint-Aubin pour faire le plein des bidons. Pour traverser le bourg, les quelques kilomètres sur l’ancienne N20 ne sont pas trop pénibles, à condition de ne pas trop traîner non plus, et de rester dans le flot des bagnoles entre deux feux rouges. En quittant Jouy-le-Potier, je passe devant un gros entonnoir renversé – construit de briques rouges – vestige d’un ancien four… non pas à poteries, mais à briques. Après une étape à tirer des grands bouts droits en forêt, j’arrive à Cléry-Saint-André, face à sa monumentale basilique. L’appareil photo m’offre une vue trop étriquée pour réussir à la capturer. Les grands bâtisseurs ont toujours eu ce genre d’ambitions démesurées, un peu folles, à construire de tels géants dociles, immobiles depuis tant de siècles ; à moins que les villes se soient à chaque fois resserrées autour d’eux, blotties en confiance, abritées aux pieds des œuvres titanesques.

En reprenant le vélo, en me remettant à pédaler, je remarque que je n’ai plus mal aux genoux. Au lieu de s’amplifier comme d’habitude au fil des kilomètres, la douleur s’est atténuée au point de disparaître ; finalement, pas si méchant le petit Jésus et sa rencontre percutante. Un petit miracle, même ! En bord de route, la dépouille d’un serpent écrasé m’avertit qu’il vaut mieux être prudent avant de s’arrêter pisser n’importe où, surtout avec cette chaleur propice aux reptiles. Beaugency n’est qu’à un saut de puce, et j’y suis déjà. Carton plein pour le Loiret. Tout début d’après-midi ; je rêvasse un instant sur le pont. Le vent qui s’engouffre dans la vallée de la Loire porte cette odeur presque océanique, presque de vase, presque d’été ; presque l’été. Les mouettes, par centaines par milliers, volettent d’îles en îles, comme un air de vacances, d’août, peut-être de juillet passé ou à venir. Le ciel légèrement voilé du matin devient plus clair, et l’on frôle les 30°C au-dessus du bitume !

C’est reparti, calme plat puis route en forêt. Pas assez d’ombre à mon goût. Direction Chambord, relais de chasse un brin mégalomaniaque de François 1er, qui paraît-il n’y passa en tout qu’un moins de sa vie. Folie d’un homme, folie des incroyables dentelles de pierre dont on ne prend pleinement conscience qu’au pied du château… parmi les hordes de touristes. Avec le beau temps, il y a une foule bourdonnant joyeusement dans les allées cette fin avril. C’est le moment de reprendre le carton du Loir-et-Cher entamé à Souvigny-en-Sologne, mais je n’en ai pas envie. Fondu dans la masse, je peux me permettre un pointage photo, vélo devant l’édifice, digne d’un crétin ordinaire et de ses selfies ; puis je fuis au plus vite tout ce tumulte désagréable, et ces marchands du temple se frottant grassement les mains. Tout cela, très peu pour moi.

Je quitte le vaste domaine du château sans avoir vu passer une seule tête de gibier, toujours chasse gardée de quelques privilégiés de la Nation. Malgré les milliers de bestioles en liberté – prisonniers tout de même des 32km de murs d’enceinte – pas une ne pointe le bout de son nez. Fontaines-en-Sologne en propose une de fontaine… à l’eau non potable, comme semble témoigner plus loin un Christ bleu pétrole posté sur sa croix en sortie du village. Je n’en connais pas la signification, tout comme celle du rouge écarlate que j’ai rencontré dernièrement à La Ferté-Loupière sur le parcours du BRM 300 de Fontaine-les-Grès. Les grandes traversées de forêt n’offrent toujours qu’une ombre trop rare. Les longs faux plats apparus en chemin vers Chambord se confirment sur cette étape. La route commence à prendre du relief. J’arrive à Romorantin-Lanthenay dans la chaleur de l’après-midi. Un bar est le bienvenu pour pointer en compagnie d’un bon Perrier-menthe glacé. Malheureusement, pas de tampon à disposition, malgré les parties bar, jeux de grattage et tabac de l’établissement. Le sens du commerce à la française… on me prend pour un lapin de six semaines ! Ce ne sera pas la première fois. Je ne suis pas d’humeur à aller quémander plus loin en centre-ville ; je suis de mauvaise humeur, une photo d’un panneau d’entrée d’agglomération fera l’affaire.

La saison des braderies est relancée, une autre se présente en traversant Pruniers-en-Sologne. Je ne regarde pas. Pas de place dans la sacoche, et je ne suis même pas à la moitié du chemin. Je rejoins Selles-sur-Cher par la voie rapide, finalement assez calme, puis bientôt apparaissent dans le paysage les premiers vignobles du Val de Loire. Après encore des longs bouts droits en faux plats, j’arrive à Saint-Aignan. Il y a une circulation un peu désagréable ce dimanche en fin d’après-midi. Une supérette m’offre le pointage, et surtout le ravitaillement en vue de bien passer la nuit.

En repartant, une inhabituelle mappemonde est gravée au fronton de la mairie de Mareuil-sur-Cher. À Angé, j’oblique vers le nord et quitte les bords du Cher par une première belle montée. Après avoir suivi la ligne de crête, je reperds une bonne partie de l’altitude gagnée. Dans le début de soirée, les nuages s’effilochent, le vent joue avec, en fait des filaments vaporeux formant devant le soleil les volutes de la lampe d’Aladin… le génie en moins. Je tourne en rond dans Pontlevoy, localité avare en panneaux de direction. Je profite de la fin du jour et du cimetière un peu à l’écart, pour faire un brin de toilette. En me débarrassant du poisseux de la sueur et du granuleux salé de la peau, l’eau froide me fait du bien. Mon nouveau cuissard – Un Louison Bobet, SaintBrieuc 48 – s’en sort plutôt pas mal, mais le confort n’est pas tout à fait au rendez-vous. Je suis déçu, mais je comprendrais plus tard pourquoi. Chaumont-sur-Loire m’accueille dans une belle descente, qu’il faudra remonter après la traversée du fleuve, après Onzain. Les bancs de sable des bords de Loire, ont avec la chaleur, des airs d’agonie ocre dans la lumière déclinante. La vigne se fait plus présente comme le jour chute lentement. Bientôt la lune se lève, entourée de nuages gras. Des grenouilles coassent à tue-tête et les grillons s’y mettent aussi. Pour l’instant, le clair de lune se décide à s’installer. L’église apparaît splendide dans l’éclairage nocturne, et les reflets lunaires lui donnent presque l’image d’un toit polychrome bourguignon. Bien vite, les nuages gagnent la partie et un petit crachin tombe sur Saint-Cyr-du-Gault. En chemin vers Saint-Amand-de-Longpré, je crève franchement de l’arrière. En étant positif, la moitié du parcours est déjà faite, et je suis un peu sur le retour ; mais de nuit et sous la pluie, ce n’est jamais franchement l’idéal pour réparer. Je déballe mon matériel dans l’herbe haute du bas-côté. Rien dans le pneu ; je change de chambre, et passe la vieille en bandoulière double, façon cartouchière de l’armée mexicaine, car elle pourrait me rendre service plus tard – mes mésaventures sur le BRM 600 de Laval me l’ont prouvée – et il ne faudrait pas la massacrer davantage avec tout ce qui peut traîner dans la sacoche : des clés ou un porc-épic oublié. La roue remontée, je remballe tout mon bazar à la lumière de la torche, en espérant avoir tout repris, et c’est reparti. La petite pompe à main de dépannage ne gonfle pas autant que je le voudrais, alors prudence pour ne pas repercer en sautant dans les trous de ces routes de gruyère ; surtout dans les cuvettes les plus fourbes, celles qui se dévoilent trop tard dans l’obscurité. Un peu avant minuit, je ne résiste pas à l’appel des toilettes publiques d’Ambloy, pour me décrasser de ma séance de mécanique, pour me décrasser tout court, pour échapper à la pluie, pour me reposer de la route qui commence à se vallonner, et surtout pour passer le temps pour ne pas arriver pointer trop tôt à… Trôo !

Quelle que soit la distance, tout ce qui ne rentre pas dans la sacoche est par définition toujours superflu !

Réveil cinq heures du matin, j’ai à peine réussi à somnoler en trouvant le temps long. Soyons positifs : le ciel est maintenant sec, bien que l’air et la route soient chargés d’humidité. Les oiseaux gazouillent, toujours heureux du passage de la pluie. Pas aidé par les travaux en centre-ville, je m’égare dans Montoire-sur-le-Loir puis arrive à trouver une direction Saint-Quentin-lès-Trôo. Je ne sais pas si j’ai raté quelque chose, mais la route n’est finalement pas la bonne. Je passe par Valleron qui ne me dit rien, puis trouve le temps terriblement long sans qu’aucun village ne se présente. En regardant mieux sur la carte, ma torche confirme mes doutes : je suis en train de faire un énorme détour ! J’en suis quitte pour une bonne balade à travers les coteaux dont la naissance du jour me dévoile le relief. Deux heures pour faire en théorie moins de vingt kilomètres ; comment dire ? Trôo, c’est beaucoup trop ! Le village tant attendu est encore endormi, alors je fais un pointage photo. En regagnant les hauteurs, je me retrouve tout étonné face à un nouveau panneau Trôo. Tout ça pour ça ? Non vraiment, Trôo c’est trop !

Voici une étape vallonnée, comme la précédente. Après une incursion de quelques kilomètres dans la Sarthe, les champs de colza chassent la vigne, et le jaune devient la couleur incontournable du décor pour cette deuxième journée, et deuxième moitié du parcours. La Mairie de Cormelon arbore une façade résolument kitch, à moins que ce soit le résultat d’une restauration qui a voulu trop en faire dans le plus neuf que neuf ; en tout cas le résultat est plutôt discutable. Je me trouve à deux pas de Mondoubleau, pour finir de valider mon carton de pointages du Loir-et-Cher.

J’entre dans le village en passant devant sa tour incroyablement penchée, et qui pourtant tient encore debout… Enfin pour la moitié qu’il en reste ! Mon arrière-train, pas encore tanné par le peu de kilomètres de la saison, me fait alors remarquer un phénomène étrange : il va bien mieux malgré les kilomètres. Le brin de toilette et une nouvelle couche de crème n’y sont pas étrangers, mais surtout, en crevant je n’ai pas regonflé à bloc comme l’était le pneu au départ – sans doute un peu trop – et le nouveau cuissard révèle enfin son confort : pas mal du tout ! Encore une étape vallonnée, encore le jaune citron du colza, et j’arrive à Châteaudun pour sortir mon troisième carton : celui de l’Eure et Loir. La fin de matinée a bien mérité son petit café, ça tombe bien, moi aussi. La ville que j’avais jusque-là traversée sans grande saveur, me dévoile cette fois son château et ses vieilles pierres. Avant de quitter la ville, je suis intrigué par la façade crevée de la chapelle de Notre-Dame-du-Champdé, clôturant le cimetière de sa présence écorchée et protectrice.

Je quitte Châteaudun par la passante D955, puis m’en échappe à Logron. Frazé m’offre encore une fois la vue sur bel édifice : son château, magnifique, même s’il était à l’origine prévu pour un rôle plus défensif qu’ornemental. Cette étape aux longues bosses en faux plats fait gagner petit à petit de l’altitude, menant au point culminant de ce parcours. J’arrive à Nogent-le-Rotrou, où m’attend un château plus austère. Pour éviter de me perdre en ville et repartir dans la bonne direction, je vise la gare, et m’arrête pour un pointage expresso à la brasserie de la gare… toutes deux désertes pour cause de grève.

Je repars par la petite route en direction de Condeau. Les paysages du Perche prennent un air familier. La Madeleine-Bouvet puis La Lande-sur-Eure m’offrent chacune une belle montée en sortie de village. Au fil cette étape normande à l’est du département de l’Orne, pour être plus direct entre mes lieux de pointages imposés, les bosses prennent de l’ampleur. Je retourne en Eure-et-Loir vers la fin de l’après-midi, à La Ferté-Vidame, lieu habituel de pointage de beaucoup de brevets. Un château de plus, certainement peuplé de ses fantômes, tant son toit envolé et ses murs crevés par les aléas des révolutions et de la cupidité, laissent passer les quatre vents.

En repartant, un drapeau délavé du Québec flotte au-dessus du jaune vif du colza fleuri, témoignant de l’émigration percheronne vers la Belle Province. Après Brézolles la route redevient plate, le terrain plus roulant à travers champs. Je m’égare dans le dédale des rues de Saint-Lubin et Nonancourt, en essayant de faire une nouvelle courte incursion dans l’Eure. Le temps file et je crains de ne pas arriver avant la tombée du jour voir le château d’Anet. L’orientation de la fin d’étape est plus claire, de quoi stopper l’hémorragie des minutes. En attendant, mes bidons se vidant vite avec la chaleur, je me retrouve à sec, et sans un cimetière en vue. Je tente ma chance devant celui attenant à l’église de Courdemanche, mais l’eau récupérée du toit ne vaut pas celui d’un robinet. Je ne suis pas bégueule, j’ai déjà bu aux ruisseaux, aux fontaines moussues mais pas trop douteuses, n’importe où en confiance pour être sincère ; mais là, les fonds de cuves plastiques ne me disent vraiment rien. Ma canette de coca-cola de secours y passe, faute de mieux. J’arrive à Anet entre chien et loup. L’éclairage public donne des lumières dorées au château, sur fond d’azur profond. Les vieilles pierres sont abandonnées des touristes ; je m’arrête face à elles, sur un banc, mange un peu en me préparant pour la nuit. Personne ne déambule autour du château comme sur le BRM 300 de Bois d’Arcy… où j’étais passé un peu plus tôt.

Je repars par une belle montée, avec l’objectif de remplir mes bidons au cimetière de Boncourt ou à défaut celui de Broué, c’est mon plan qui me le dit… Il aura malheureusement tort à mesure où je me changerai en pruneau assoiffé. Je passe par Bû qui a un double effet comique : d’abord parce que je m’y perds au point de faire deux fois le tour du village, et ensuite parce que je commence vraiment à me lyophiliser… À Bû, c’est un comble ! Et là, chers habitués de mes (més)aventures, vous vous posez une fois de plus cette question récurrente : mais à force de se paumer et de nous raconter tous ses naufrages, il ne va pas bientôt se payer un GPS ? Hé bien non, et je ne fais pas mon « vieux con » avant l’heure. J’ai vécu une partie de ma vie professionnelle en tant que concepteur informatique, alors ce genre de machins ne me fait pas peur, mais je refuse de me faire téléguider par une machine. En suivant la ligne que j’ai tracée en fluo sur une carte, j’ai le droit de bifurquer, de changer d’avis, de dire non à ce bout de papier, de choisir un autre chemin, de laisser une place – agréable ou non – à l’imprévu et à la découverte, à la possibilité de mal interpréter et d’être têtu, mais en ne m’en prenant qu’à moi-même. Il y a là toute une éthique de la route et de la randonnée que n’ont plus les troupeaux de moutons suiveurs… même s’ils me trouvent ringard. Bref, nous sommes au soir du deuxième jour, le lundi dans la nuit, et me revient cruellement la sagesse des dictons populaires. Si, si, celui-ci vous l’avez entendu des milliers de fois d’un air amusé : « en avril, ne te découvre pas d’un fil ». C’est joli, il y a une rime, et c’est tellement vrai. Malgré les 28°C d’hier et ce que prétendait la météo, il commence à faire frais ; très frais même, à peine 7°C en tenue d’été ! Alors voilà, il me reste une bonne centaine de kilomètres à grelotter. Si vous avez bien suivi ce récit, j’ai fait ma toilette à l’eau froide pour me débarrasser des scories de la première journée, et prévoyant, j’avais pris une serviette de microfibres, un truc léger qui ne prend pas trop de place dans la sacoche, tout en râlant qu’elle était trop grande ! Hé bien je suis content de la ressortir, la pliant en deux en carré, et en la coinçant entre les bretelles du cuissard pour m’en faire un plastron… humide… me gelant encore davantage pendant une bonne heure avant qu’il ne sèche sous l’effet de ma chaleur corporelle. Moralité, ne jamais croire la météo, mais plutôt la sagesse populaire des dictons. Et mon cimetière dans tout ça ? Je le trouve plus loin, à Coulombs ; un endroit prédestiné pour enfin trouver de l’eau ! Le village est proche de Maintenon, avant dernier pointage de tout ce circuit, et comme j’y suis déjà passé avec mon carton, j’ai déjà mon tampon.

Maintenon donc, une bourgade déserte la nuit, et un nouveau château sur ma route. Pas bien éclairé, hélas. Je ne m’attarde pas, à cause de cette température m’obligeant à rester continuellement en mouvement sous peine de finir gelé. Je dois tenir en respect cette nuit remplie de doutes, d’infini, de manque de sommeil, d’envies d’être ailleurs, au chaud, loin de ce froid qui agite mes chairs, qui prend mes muscles en otages. Je repars toujours en frissonnant direction Gallardon, un saut de puce de treize kilomètres, mais là, pas de miracle : trop tard pour tamponner où que ce soit, et pas de photo d’entrée de ville. Pas admise de nuit par la FFCT, infantilisant ses licenciés, les jugeant incapables de rouler quand ils le souhaitent, quelle que soit l’heure, et de respecter ce choix en tant qu’adultes responsables disposant de leur libre arbitre. Tant pis, le village n’est pas si loin de mon terrain de jeu habituel, et je pourrai revenir facilement pour faire comme on dit, carton plein. C’est con, il manque un coup de tampon sur 18 !

Il me reste maintenant 70km de tremblements convulsifs en Beauce pour boucler ce parcours. Bien davantage que la platitude nocturne dévoilée pas mes torches, le froid rend laborieux ma progression. La bonne petite grimpette pour arriver à m’extraire de Chalou-Moulineux, abordée toniquement, me réchauffe momentanément. Dans l’enchaînement des villages qui suivent et des petites routes rendues incertaines par la nuit, contre toute attente je ne perds pas une seule fois alors que j’étais certain de m’égarer une fois de plus ; comme quoi, la carte n’est pas le territoire. En regagnant Mespuits et un itinéraire plus évident, Malesherbes est tout proche. Puis vient le dernier trait sur la carte, une dernière ligne de bitume ; sinueuse, d’un étonnant noir profond caressé par la lueur de mes torches. Un ruban neuf, lisse, aux traits blancs bien nets, bien ordonnés, bien alignés. Un rêve éveillé de randonneur qui ne l’est plus trop, qui en a gardé tant, prisonniers derrière ses paupières un peu lourdes ; qui en a vu des rubans d’asphalte, et qui sait l’état de plus en plus décrépi de beaucoup de petites et de grandes routes de France. Ici c’est l’exception de la nuit, de bouts d’efforts, de bout du monde, de nuits sauvages, âpres et glacées. Trois à rouler, pas entièrement, et deux petits jours au milieu. Oui, deux jours pour faire le tour de trois départements. Une grappe de 750km, plus une bonne quarantaine pour les détours, les égarements, l’improbable. Fin des frissons, fin de l’aventure. J’aperçois au loin sur la plaine les couleurs électriques de la zone industrielle et logistique de Malesherbes, déjà active. À cinq kilomètres, elle m’attire comme un phare guide le marin pris à son océan de ténèbres. Je serai heureusement rentré avant la chute des quelques degrés supplémentaires accompagnant habituellement le lever du jour. Fini. Jusqu’à la prochaine fois. Pas du sport le cyclotourisme ? Sans doute ; alors pas d’excuses, vous venez !

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Bon alors voilà, quelques mois plus tard, à la mi-septembre, j’y suis retourné à Gallardon, parce que bon, même si je suis toujours passé au mauvais moment dans cette petite bourgade, il me le fallait quand même ce dernier coup de tampon. Et pour ne pas rouler idiot, j’allais aussi en profiter pour jeter un coup d’œil à cette énigmatique tour de l’Épaule qui tient toujours debout on ne sait pas trop comment. Une fin de nuit tranquille, un beau soleil rasant annonçant l’automne, et j’étais sur les lieux. Tout était parfait pour mettre ces nobles ruines en valeur, et les prendre en photo… Sauf que le passage menant à la tour était resté fermé ! Encore un effet de ma poisse légendaire… Pour le pointage c’est OK, mais le tourisme a un peu tourné court, voyant les vestiges qu’à travers les maisons. Dommage.

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