Les Flèches de France « vintage » : Briançon – Paris

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Le cycle des Flèches de France « vintage »,
épisode 10.

 

le vélo pour revenir de Briançon :René Herse Camping / Cyclotouriste (1950)
nombre de vitesses :2 x 4
développement maximum :6,95m (48/14)
développement minimum :2,20m (28/26)
poids du vélo :12,4kg
dénivelé du parcours :1050m/100km

 

Un soir à Paris, gare d’Austerlitz. Le quai du train de nuit pour Briançon est annoncé. Je monte le premier pour accrocher mon René Herse à son croc de boucher. Les minutes passent, le départ approche, et le compartiment vélo fait progressivement le plein. Le mien est le plus vieux de tous, et de loin. L’acier contre le carbone, le match est inégal. Un certain lâcher-prise sur le temps contre l’efficacité et la performance pure, la rusticité contre l’ergonomie, et dans les deux cas, y a-t-il un but plus profond que la simple recherche du plaisir ? Pas de quoi gamberger jusqu’au lendemain matin, même si je somnole à peine sur ma couchette. J’ai toujours du mal à dormir dans les endroits qui ne me sont pas familiers, alors dans un wagon ferraillant et bringuebalant… Bref le temps s’écoule lentement, trop. Hâte d’arriver pour enfin partir, cette fois il y aurait davantage matière à réfléchir sur ce paradoxe !

Départ 9h30, à l’arrivée du train de nuit, le lendemain matin donc. Convoi non prioritaire sur le trafic, comme l’ont assez répété les annonces de la SNCF… résultat, une bonne heure de retard ! La montagne toute autour, les vieilles traverses en bois, l’herbe folle qui pousse dans le ballast, une locomotive de fret sans âge qui attend sur les rails d’à-côté, les voies qu’il faut traverser comme un gué : la gare de Briançon aurait presque un air de bout du monde. Le soleil est déjà là, bien présent, la circulation aussi dans le centre-ville. Arrêt pointage et p’tit dej en périphérie avec un des cyclos monté à Austerlitz, puis après être sortis de la ville, chacun va chasser ses cols ; moi en direction du Galibier, lui vers le Granon. En guise de hors-d’œuvre je commence doucement par le Lautaret, facile en général, en pente douce sur ce versant. Je l’ai grimpé je ne sais plus combien de fois dans l’autre sens, notamment en enchaînant tous mes BCN / BPF du Dauphiné. Le début monte un peu dès le départ de Briançon, puis la route devient toute plate après Chantemerle et sur des kilomètres. Il ne fait pas encore trop chaud, le ciel apparaît un peu voilé derrière une très légère nébulosité, un petit vent est là pour rafraîchir l’air. Tout va bien, cela pourrait même être parfait avec moins de circulation, mais bon, il n’y a pas 36 chemins pour se rendre sur Grenoble ou en Maurienne ! Les kilomètres s’égrènent doucement. À une quinzaine du sommet, la route monte enfin… raisonnablement : moins de 3 %. Passé Le Monêtier-les-Bains, la pente se réveille et passe les 4,5 %. Je marque un court arrêt pour faire l’appoint du bidon à la fontaine attenante au petit torrent. Une pause de quelques instants à l’ombre, à goûter l’eau délicieusement glacée me fait le plus grand bien. L’eau sauvage fait un bruit assourdissant, je l’écoute bavarder un moment puis retourne à mon ascension. À 6km du sommet, la montée reste raisonnable à plus de 5 %. Autour de moi le panorama s’ouvre plus largement, davantage minéral. Le soleil est complètement revenu, les nuages ont subitement disparu comme lors d’un changement de vallée. À environ 2km du sommet, la route passe sous une espèce de long auvent bétonné qui apporte un peu de fraîcheur. En sortant de ce préau couvert, apparaissent d’un coup les sommets encore enneigés. Se hisser en haut du Col du Lautaret n’a été qu’un préambule et il faut continuer à grimper. Le Galibier commence doux, dans les 5 % à peu près, puis à 8km la côte passe à 7 % pour maintenir cette pente jusqu’au bout. À 5km du sommet, la végétation se fait anecdotique, le décor se fait encore plus minéral, la neige plus présente, s’aventurant même parfois en bord de route. Puis au détour des lacets, la neige disparaît quasi complètement en changeant de versant. Pour soulager les jambes je passe le petit plateau, parce que quand même, j’étais resté sur le grand depuis le départ… Et sur la 2ème vitesse, c’est qu’il en reste encore sous la pédale : 2 pignons en réserve sur les 4, un vrai luxe ! Tout début d’après-midi, avec l’altitude et le petit vent, l’air est supportable, il ne paraît pas si chaud malgré le soleil. Je monte sur une route relativement étroite, avec le creux de la vallée à pic. Monter bien à droite, me fait revenir le vertige. Après une pente qui se radoucit momentanément, le final se raidit et le sommet du Galibier est enfin là. Dans la montée de ces deux cols, pas mal de bagnoles et de troupeaux de motards ; de la vie au milieu de la pierraille, quoi. Beaucoup de monde en haut, là aussi. Pas de raison de s’attarder, autant se laisser glisser jusqu’à Valloire. Le début de la descente est à pic, de bonnes pointes de vitesse prises sur un bitume inégal, le souffle des véhicules dans l’autre sens… puis vélo se met rapidement à guidonner de manière très énergique, très dangereuse surtout. Je ne contrôle plus rien, j’essaie de m’éloigner du ravin sans finir dans la voie d’en face. Ralentir ne semble pas arranger les choses… et de toute façon prend un certain temps vu la vitesse, la pente et les freins d’époque ! J’ai besoin de retourner quasiment à l’arrêt pour retrouver de la stabilité. Grosse frayeur incroyable ! Je découvrirai par la suite que sur ce René Herse du début, la géométrie est spéciale, avec une chasse très faible. En attendant, l’évidence s’impose : même si le vélo dispose d’un porte-bagage avant – donc a priori prévu pour être chargé – il faut absolument que je retire du poids de la sacoche de guidon. La paire de bidons va dans mon sac à dos d’appoint, d’autres choses à l’arrière, et avec deux litres de flotte et des broutilles de déplacées, le vélo retrouve un comportement sain. Je ne repars pas pour autant l’esprit tranquille, je me méfie de cette route plongeante où je suis passé très près du drame… alors forcément, ça crispe un peu ! Après une descente tranquille, sans prendre trop de vitesse donc, à Valloire le profil remonte vers le Col du Télégraphe. C’est bien la première fois qu’une ascension me soulage, me détend même ! Comme j’avais gardé mon coupe-vent pour ce « petit » bout de montée, pour ne pas passer le temps à l’enlever et le remettre, je commence à avoir chaud. La route a été fraîchement gravillonnée en sortant de Valloire. Ça gicle de partout, croustille sous les pneus, chante dans les garde-boue ; la route vit elle aussi ! La seconde partie de l’accès du Télégraphe se fait à plat, et après il n’y a plus qu’à se laisser glisser dans la descente – plus sereinement cette fois-ci – jusqu’à Saint-Michel-de-Maurienne pour y pointer. Fin de la première étape avec un bon bout de parcours déjà fait ; le plus dur, bien que le retour en plaine ne soit pas encore d’actualité !

C’est reparti pour une étape plate, bien roulante, un peu monotone… et bruyante à longer et tournicoter autour de l’autoroute et de la ligne SNCF, dans le passage assourdissant des bagnoles. La seule difficulté est de s’élever vers Saint-Georges-d’Hurtières en s’éloignant un peu de ces grands axes, avant de redescendre pour les retrouver… En fin d’après-midi, j’arrive à Chambéry blottie dans sa cuvette, grouillante de vie, aussi bien par les passants que par la circulation.

Après avoir pointé en ville, la route remonte vite vers le Col de l’Épine. Un large panorama s’ouvre alors momentanément en contrebas, sur l’agglomération de Chambéry que je viens de quitter. L’ascension est longue et commence durement avec 7 %, puis s’assagit à 5 % avant de s’aplanir après quelques kilomètres… et descend même un peu avant de repasser à 3 % 1km plus loin et remonte à 6 % au suivant. Vous l’aurez compris, la montée de ce col ne ressemble à rien ! Les pourcentages bougent sans arrêt, et la pente comporte de nombreux replats. J’en profite pour faire le plein des bidons au cimetière en sortie de Saint-Sulpice. À mesure que l’on grimpe, la route s’enfonce dans une forêt de feuillus et résineux mêlés qui rendent la montée agréable. Sur la droite, s’ouvre furtivement une nouvelle trouée laissant entrevoir toute l’urbanisation de la vallée, étalée en contrebas tandis que la route continue son ascension vers le Col de l’Épine. Sur les 6 derniers kilomètres, finis les replats, la montée devient plus régulière, autour de 7 %… et un peu fastidieuse du coup, sentiment accentué par l’effet du soir et de la lumière qui diminue fortement avec le couvert des arbres, tirant cette deuxième partie de col vers le crépuscule. L’arrivée au sommet se fait dans une petite clairière. Le jour décline, les oiseaux chantent, ils sont heureux, et moi aussi d’avoir fini cette grimpette. Je vais pouvoir passer à un dernier col ce soir, avant celui des Chèvres assez modeste et surtout 180km plus loin ! D’après ce que j’en connais dans l’autre sens, celui de la Crusille donc, est – de mémoire – assez indulgent. Comme pour le confirmer, je débute par une bonne descente de l’Épine à Novalaise, avec un moment d’hésitation en centre-ville. Je suis sauvé en visant le clocher de l’église, qui présente toujours un excellent point de repère pour s’orienter sur la carte. Après le village, la route repart toute en faux plat jusqu’au Col de la Crusille. Mes souvenirs étaient exacts : un col facile ! La route redescend ensuite avec pas mal de petites pierres en première partie. Passé Saint-Genix et son pont enjambant le Guiers, j’entre à Gare de l’Est. En bon banlieusard parisien, ce panneau me fait sourire. À plus de 500 bornes de Paname, je m’arrête pour la photo, forcément ! La route longe ensuite les bords du Rhône puis s’en écarte, mais je n’en reste pas si éloigné jusqu’à Saint-Sorlin-en-Bugey. La vallée est roulante, bien que d’imposantes collines soient toujours présentes dans le paysage, tout près sur la droite. À gauche, l’horizon est dégagé sur la plaine. Sur l’autre rive, la centrale électrique de Creys-Malville brille de toutes ses lumières dans le silence de ce début de nuit. Plus loin vers Serrières-de-Briord, toujours sur l’autre rive, une haute tour carrée éclairée, vitrée, m’intrigue. En approche de Sault-Brénaz le vent se réveille, s’engouffre par rafales dans la vallée et souffle fort. Comme l’air est encore tiède, il ne rafraîchit pas mais freine plutôt bien ! À l’image d’un grand fauve qui chercherait à m’impressionner, l’usine de Lagnieu ronronne bruyamment dans l’obscurité. Saint-Maurice-de-Rémens se voit de loin, étalé sur la plaine dans ses lumières urbaines aux tons chauds. Un des rares villages éclairés tandis qu’une lune d’or m’accompagne. Un peu de présence et de vie dans cette nuit solitaire où – ce n’est pas plus mal – la circulation automobile est quasi inexistante. En traversant l’Ain, la route devient un peu vallonnée jusqu’au pointage de Chalamont.

En milieu de nuit je repars en terrain plat pour la traversée des Dombes, et c’est seulement en approche de Saint-André-le-Bouchoux que j’entends mes premiers batraciens chanter dans la pénombre… presque 20km rien que pour ça, les étangs ne sont plus ce qu’ils étaient ! Je progresse depuis le début d’étape sur des grands bouts droits tracés à travers la nuit, pour atteindre Tournus au petit jour. En traversant la ville, je passe devant son musée du vélo bien trop tôt pour l’ouverture – il faudrait que je pense à y faire un tour un jour – puis la route commence à monter en direction du Col des Chèvres. Le début de l’ascension ressemble à de longues montagnes russes, l’altitude ne grimpe pas vraiment, pas trop l’impression d’être dans un col. Après Mancey, la route ne redescend plus, c’est déjà ça, mais la montée reste toujours irrégulière. Pas de panneau au sommet, rien de dramatique non plus, basculer dans la descente est la seule indication que le col est franchi. Le contrôle de Saint-Gengoux-le-National est atteint par des grands bouts droits comportant une petite montée de temps en temps.

Avant de pointer sur les hauteurs de la vieille ville – chaussée de pavés désagréables – cap sur les toilettes publiques de la halte pour camping-cars que je connais déjà. Je récure tout à l’eau froide, le maillot comme le bonhomme pour un bon décrassage intégral ! Le tout séchera vite même s’il est encore tôt. Et puis un peu de fraîcheur réveille bien, après une nuit à pédaler. C’est reparti pour un début d’étape en plaine vallonnée truffée de longues bosses. À mesure que la matinée avance, le soleil commence à chauffer plus féroce qu’hier en montagne, car il n’y a pas de nuages pour rendre l’atmosphère un peu laiteuse. Les montées s’étirent en longueur, celle de Marmagne à La Croix-Blanchaud fait dans les 3,5km en continu pour s’éloigner des berges du Mesvrin. Après une courte descente vers le petit cours d’eau – le Rançon ; avec une cédille c’est mieux ! – la montée reprend de plus belle. Un peu plus loin, malgré une entrée hasardeuse dans Autun, je ne m’égare pas vraiment. Seulement quelques petits moments d’hésitation et rien de plus – à force d’y passer et de m’y perdre, j’improvise mieux ! – avant d’arriver aux vestiges des arches romaines de la porte d’Arroux. En sortant de la ville, des bagnoles sans-gêne prennent la piste cyclable pour des places de parking. En m’écartant pour passer je me fais klaxonner, parce que bien entendu c’est de rouler à vélo qui est anormal, pas de se garer n’importe où ! La présence de deux terrils jumeaux m’intrigue au loin sur la droite… mais bon, la présence d’anciennes mines par ici ne serait pas si surprenante. En fait, du pyroschiste y a été extrait jusque dans les années 50. En passant par le lieu-dit du Haut-Fourneau, ça se confirme, il fait très chaud ce début d’après-midi. Le vent qui a soufflé fort en rafales une bonne partie de la nuit dernière, remet ça sur les grands bouts plats en direction de Saulieu sur une plaine agricole qui n’est pas du tout abritée, pas même du soleil. Après Reclesne, la route redevient vallonnée en rentrant dans le Parc Naturel Régional du Morvan. Le château de Chissey semble avoir été fait, ou plutôt rafistolé sans aucun goût, triste impression. Vers la fin d’étape, quelques portions assez plates permettent d’atteindre le contrôle de Saulieu.

Pas de problème pour pointer, mais beaucoup de circulation en ville cet après-midi. Une fois rendu à la campagne, la route se poursuit paisible à défaut d’être plate. Bien plus tard, remonter les abords du canal du Nivernais se montre très agréable. Vers Mailly-le-Château, dans les champs pas encore récoltés, dépasse de temps en temps la tête d’un jeune cervidé de l’année qui semble vouloir jouer à cache-cache. Le crépuscule s’installe doucement, la lune aussi au-dessus de moi, un peu plus ventrue qu’hier. Je m’apprête à passer ma deuxième nuit blanche à pédaler. Sur les lignes de crête, les éoliennes clignotent rouges comme des phares perdus en pleine terre, dominant les océans de blés. Les champs sont troués ici et là de larges îlots de lumière. La grosse machinerie est de sortie, traçant de larges sillons dans les ténèbres. J’entends au loin le murmure grave des moissonneuses. Dans les champs on s’affaire, peut-être pour prendre de vitesse les orages prévus pour demain après-midi. Peut-être vont-ils travailler toute la nuit, comme je vais cheminer aussi. L’étape est toujours aussi vallonnée alors la lassitude s’installe, même si à l’approche du contrôle de Toucy elle devient plus roulante.

En repartant, le plus dur est fait et l’obscurité lisse toujours le relief, alors cette étape n’offre pas de difficulté en passant par La Ferté-Loupière pour rejoindre la vallée de L’Yonne. Après une trentaine de kilomètres à remonter la rivière, la banlieue de Sens est vite oubliée, laissée derrière moi comme j’oblique vers l’ouest pour m’écarter des bords du cours d’eau. Les ténèbres sont calmes, la route toujours plate en passant par Vallery, une vieille connaissance pour y avoir pointé sur le BRM 400km de Fontaine-les-Grès et mes BCN / BPF de Bourgogne. La nuit touche à sa fin, il reste une bonne vingtaine de kilomètres pour atteindre le contrôle de Moret-sur-Loing juste à l’aube.

Ici aussi, la petite ville où je suis déjà passé de nombreuses fois, abrite un musée du vélo… et la visite ne sera pas pour cette fois non plus, alors c’est reparti pour la dernière étape de cette Flèche ! Très vite l’itinéraire rejoint des grands axes très roulants, heureusement calmes comme il est encore tôt ce matin. Après avoir traversé toute la forêt de Fontainebleau d’est en ouest, il faut passer par la dernière butte du parcours en traversant Seine-Port, avant de retrouver les grands axes – plus urbanisés et maintenant beaucoup plus passants – jusqu’au contrôle final de Draveil.

 

Pour la Flèche réalisée dans l’autre sens avec un vélo moderne, voir ICI en passant par le Col du Galibier, et lors de sa fermeture hivernale.

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