Alan Competition 1977… façon muZarde !

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Dans le domaine des cadres en aluminium qui ont été montés par « tout le monde », face aux très répandus Vitus 979 français, figuraient les iconiques Alan italiens. Toute collection de vélos qui se respecte se doit d’avoir un exemplaire des deux ! Si le 979 s’est répandu comme une vermine et reste encore facilement trouvable à prix raisonnable, l’Alan mérite plus de patience pour qui ne veut pas se ruiner. L’intérêt de l’un comme de l’autre est que l’on ne peut pas vraiment faire de faute de goût au montage, à condition de respecter l’époque, puisque de nombreux constructeurs et plus ou moins gros vélocistes ont eu leur propre version, et vision, d’une machine bâtie autour des ces châssis à tout faire. Pour ma part, j’ai longtemps eu une fourche Alan orpheline… avant de dénicher le cadre, et de pouvoir démarrer ce projet. Les deux fois, l’un étant vendu sans l’autre, je les ai eus à prix (presque) ridicule ! Ici la paire correspond pour ce qui est du modèle, de la période, de la taille… mais pas de la couleur ; mais bon, le bleu du cadre étant bien délavé, l’aluminium au naturel de la fourche n’est pas trop choquant… l’inverse aurait semblé plus étrange !

Quand de nos jours on voit un cadre Alan, on est très souvent dans le phantasme d’un habillage en Campagnolo Record ; comme si cadre italien voulait forcément dire composants italiens pour aller avec, alors que ces cadres ont servi de bases à de nombreuses marques françaises… et d’ailleurs ! Je ne céderai pas à cette tendance à la paresse intellectuelle pour plusieurs raisons. 1° je n’ai pas le budget pour, et c’est déjà une bonne raison en soi ; 2° le conformisme est une chose qui m’ennuie toujours au plus haut point, pourquoi vouloir faire un montage d’évidence, lisse et sans âme, sans chercher d’autres solutions ; 3° ce cadre a servi à Jean Valéro – vélociste montpelliérain réputé – pour assembler un vélo personnalisé… en modifiant de petites choses comme il avait l’habitude de faire. J’aurais très bien pu enlever les stickers, mais il serait resté l’ombre en bleu foncé, comme un fantôme sur les tubes délavés par le temps et le soleil du sud, et comme un reproche pour l’imbécile qui les a retirés… Un peu de respect enfin ! Autant conserver une trace de l’historique de ce cadre, qui a été modifié pour un usage vraisemblablement plus routier que compétiteur. Pour preuves ces filetages rajoutés, sous le pontet des haubans et celui des bases, pour fixer un garde-boue.

Pas de Campagnolo, donc, qui serait pourtant indiscutable avec ce beau cadre italien, mais alors quoi mettre ? Du français serait une injure, sauf à monter dans le haut de gamme… et encore une fois problématique point de vue budget, même si en cherchant bien je dois encore avoir quelques belles pièces. Reste une alternative originale et qualitative avec Zeus, qui a surtout cette réputation de « Campagnolo du pauvre » ayant produit des copies bon marché de l’italien (et d’autres marques)… mais pas que ! Italie et/ou Espagne, avec Montpellier pile-poil entre les deux, pour s’approvisionner ça ne change pas grand-chose et Jean Valéro aurait eu l’habitude de se fournir en Espagne. Quoi qu’il en soit, certains de ses vélos ont été montés en pattes Zeus et c’est une certitude. On peut donc imaginer d’autres composants de la marque espagnole, alors pourquoi pas un montage majoritairement en Zeus 2000 comme une demande particulière d’un client… en espérant rester dans l’esprit de l’époque et des randonneuses sur-mesure telles que Jean Valéro a pu en réaliser.

Dernière chose, il faut être conscient de la fragilité de l’ensemble. Avec ces fabricants, les fissurations de l’aluminium sont fréquentes ! Chez Alan, c’est surtout au niveau des raccords de la colonne de direction et du serrage du tube de selle, voire du pivot de fourche qui éclate. Chez Zeus, c’est essentiellement au niveau du carré d’emboîtement des manivelles et des cages de pédales… Le beau matériel est délicat, pour un vélo qui sera plutôt à bichonner qu’à martyriser, mais que sait-on vraiment de l’usage passé de pièces ayant plus d’une quarantaine d’années ?

Reconstruire :

Point de vue composants Zeus, j’ai l’essentiel sous la main, parfois en neuf, et même avec une certaine latitude de choix : freins à tirage latéral ou central, moyeux à grandes ou petites flasques, étagements de roues libres. Tout de suite on peut écarter les étriers de frein à tirage central pour une raison toute bête : l’écrou du jeu de direction ne serait pas vissé suffisamment en intercalant le support servant de butée de gaine. Pourtant cadre et fourche sont tous deux en taille 58 et le jeu de direction n’a pas une hauteur extraordinaire.

Entre son cadre d’origine et celui-ci, la fourche ayant servi sur un autre vélo, son pivot a probablement été raccourci. Comme il n’a pas existé d’étriers Zeus 2000 à tirage latéral, ce sera donc des étriers à tirage central, appelés 2001 !

Notez les pneus Vittoria pour ce montage italo-ibérique… et l’anachronisme des patins à cartouches, mais bon, comme la chaîne et les pneus, ce ne sont que des consommables pour un vélo destiné à rouler.

Pour commander les étriers, ces leviers Zeus fixés sur un cintre gravé « Alsasua » et arborant le blason de ce village de Navarre, fief de Zeus qui y fit assembler ses cadres. Alors, Zeus ou Alsasua (en tant que fabricant à part entière) ce guidon ? Mystère. Espagnol en tout cas ! La potence, italienne, est une Cinelli.

En restant dans les choses qui ne vont pas en l’état, le pédalier Zeus Competicion, faux ami des Spécialités TA Pro 5 vis et Stronglight 49D. Le plateau d’origine en 52 dents accueille un petit de 44… minimum accepté par les fixations du porteur (même si un 43 doit passer tout juste, mais ne pinaillons pas). Pour pouvoir tirer parti des fixations de la manivelle, il faut adapter cette paire de plateaux TA en 42-26… parfait pour les longues distances et passer partout dans les cols. Plateaux, cuvettes, boulons neufs, seules les manivelles sont d’occasion. L’esthétique de leur peinture rouge étant discutable – surtout pour un vélo bleu – elle a été soigneusement retirée. Les pédales sont également des Zeus, comme les cuvettes de pédalier Zeus 2000.

Le boîtier de pédalier assez massif est rassurant… Le filetage français de 35mm, au lieu du 36mm italien, donne forcément plus d’épaisseur !

 

Le reste de la transmission est confié à Zeus toujours, avec cette paire de dérailleurs Criterium – avec un fort air de Campagnolo – bien plus jolis que les 2000… de toute façon introuvables !

Ces manettes neuves d’ancien stock, rappellent également l’italien dans leurs contours.

 

La tige de selle est également du beau matériel signé Zeus. Son diamètre interne passe progressivement par trois paliers. L’épaisseur à son extrémité est vraiment très fine… Il vaut mieux ne pas l’avoir trop sortie avec un cycliste lourd dessus !

Reste les roues ; pas simple. À la fin des années 70, un vrai vélo digne de ce nom se devait d’être équipé en boyaux… ou en boyaux ! J’aurais pu, mais non. Pour un usage longue distance avec mon naturel poissard, ce n’est pas forcément un choix très judicieux ! Alors quoi ? Voyons déjà en fonction des moyeux. Petites flasques à 36 trous ou grandes flasques à 28 ? Un cadre Alan mérite bien un montage soigné, alors partons sur la deuxième possibilité, accompagnée tant qu’à faire de rayons amincis. Ces anciennes jantes italiennes Fir, œilletées à doubles parois, font moins de 400g. Pas mal, sans pour autant être rendues à l’état de chewing-gum une fois montées. Anachroniques ? Oui mais pas tant que ça, leur profil n’est pas trop extravagant. Bleues ? Ça oui ! Et alors, le cadre est bien lui aussi en couleur. Les étiquettes de toute façon à moitié décollées (étrange pour du matériel neuf) au lettrage plus tardif, seront retirées pour davantage de cohérence. Pour aller avec, des serrages rapides Zeus évidemment, et une roue libre 5 vitesses de la série 2000 en aluminium. Pourquoi pas 6 pignons ? Possible, mais autant rester en accord avec l’espacement de 122mm du cadre et ne pas modifier le moyeu. Et puis un montage 14-16-18-20-24 permet d’avoir un étagement serré tout en disposant d’un pignon de secours de 24… donc 5 vitesses en valent quasiment 6 dans cette configuration !

Le diable étant dans les détails selon Frédéric Nietzsche… il se cache donc ici aussi :

  • Pour monter le pédalier, un axe Stronglight complète les cuvettes Zeus 2000, ni vu ni connu, et tellement plus facile à trouver qu’un axe espagnol qui de toute façon resterait invisible !
  • Stronglight également, avec un léger anachronisme cela ne vous aura pas échappé, pour le jeu de direction A9 en aluminium, si élégant sur ce cadre Alan. La version actuelle à roulements à billes à cartouches est toujours disponible en filetage français comme international.
  • Le contre-écrou de boîtier de pédalier, en aluminium, reste lui aussi disponible neuf en filetage français chez Spécialités TA (j’en avais déjà monté sur un vélo Poelaert de la même époque). Il est prévu pour équiper les boîtiers Axix Light de la marque, mais peu importe.
  • Les butées de pattes de cadre ne servent pas à grand-chose, vu qu’elles sont courtes et que la géométrie est parfaite. On pourrait très bien s’en passer mais elles seront finalement rajoutées en finition, à la fin du montage.
  • Les cale-pieds sont des Christophe, un grand classique (presque) incontournable.

Voilà donc à quoi ressemble le vélo terminé !

Pour finir, le poids de quelques pièces de ce montage :

  • Cadre : 1680g (taille 58)
  • Fourche : 595g (taille 58)
  • Jeu de direction : 87g
  • Cintre : 355g
  • Potence : 270g (en 80mm)
  • Paire d’étriers complets : 310g
  • Paire de leviers de frein : 240g
  • Selle : 575g
  • Tige de selle : 260g
  • roue avant : 735g
  • roue arrière : 810g
  • pédalier complet 42-26 : 515g
  • pédales complètes avec cale-pieds : 565g
  • roue libre 14-24 : 255g
  • Dérailleur avant : 95g
  • Dérailleur arrière : 210g

Alors, un Alan est-il encore dans le coup, actuellement ? 9,45kg sans chercher un allègement forcené et avec du matériel des années 70, le résultat est plutôt honorable… Et même avec des éléments plombant l’addition comme la selle en cuir Brooks Professional, très belle avec ses énormes rivets en cuivre, mais très lourde par rapport aux standards actuels. Ici on est resté dans un montage vintage classique, mais le potentiel du cadre Alan pourrait être mieux exploité en faisant quelques entorses à l’équipement d’époque. On pourrait par exemple passer facilement sous la barre des 9kg rien qu’avec une selle « plastique » classique au lieu du cuir, et des pédales automatiques au lieu des cale-pieds. À vous de voir !

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