Bernard Carré – (course 1979)

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Un vélo Bernard Carré peut souvent passer inaperçu pour les non initiés. Pas de tape-à-l’œil, vu que l’homme – qui a commencé à travailler chez C.N.C avant d’installer son atelier en banlieue, à Montreuil – faisait principalement de la sous-traitance pour les grandes marques du moment, ou travaillait au coup par coup pour d’autres vélocistes. Il réalisait aussi des cadres sur-mesure, et même ceux de vrais vélos de course pour de vrais coureurs, tel Jacques Anquetil. Une palette d’activité bien large, où bien sûr tout ne se valait pas. Son travail était soigné, bien réalisé mais rapide… avec parfois quelques défauts comme des pailles dans la brasure ou la présence de petites coulures. Vu son côté prolifique est-on encore dans l’artisanal, ou déjà dans le domaine industriel ? L’homme n’a visiblement pas pu produire à lui seul tout ce qui est sorti avec le marquage B.CARRE, sans parler des cadres anonymes.

Identification

Les cadres sont souvent signés d’un « B.CARRE » figurant sur le haut des haubans terminés en feuilles de saule. Il s’agit d’une plaquette d’acier soudée sur chaque hauban, faisant relief ; à ne pas confondre avec une simple terminaison biseautée du tube.

 

Sur les modèles les plus récents, la feuille de saule a été abandonnée au profit d’un « B.CARRE » gravé directement sur la terminaison concave des haubans (il n’y a plus la plaquette d’acier rapportée). S’y associent souvent deux fleurs de lys, gravées sur la tête de fourche.

Les exemplaires les plus anciens sont moins faciles à identifier. En effet, la mention « B.CARRE » était juste réalisée en décalcomanie, aussi la trace a pu facilement se perdre au fil des ans… Surtout si le cadre a été repeint (ou était anonyme d’origine) ! Reste la feuille de saule, mais d’autres cadreurs ont pu avoir la même idée…

Les pattes de cadre offrent un indice supplémentaire. Les extrémités des tubes sont fendues en vertical – pour y insérer la patte de cadre – et aboutées en biseaux courbes et ouverts, plus ou moins remplis de brasure… Mais pas toujours ! Les terminaisons, surtout au niveau des bases, sont parfois classiquement ogivales.

Pour la fourche, on retrouve normalement le même principe d’assemblage… Mais il n’est pas exceptionnel qu’un cadre survive à sa fourche d’origine !

 

 

Le vélo présenté ici :

Un vélo signé Bernard Carré est avant tout un cadre… qui a pu potentiellement être monté avec n’importe quoi… mais pas – la plupart du temps – n’importe comment ! Ici, nous avons un simple exemple parmi tous les possibles. Cet assemblage franco japonais (avec une incursion en Italie pour la selle) est plutôt cohérent, loin du fantasme « Campagnolotesque » trop souvent associé de nos jours aux vélos de bon niveau.

Voici donc à quoi ressemble ce Bernard Carré de 1979 :

10kg tout rond pour une taille 58 au complet, y compris cale-pieds – même s’il en manque un ! – et porte bidon. Pour un vélo à cadre acier qui ne rentre pas dans la catégorie des cycles d’exception, on n’est pas trop mal !

Rien d’ostentatoire, seules les feuilles de saules trahissent son origine.

Une paire d’étiquettes arc-en-ciel Spécial Compétition est juste ajoutée à la peinture, rien d’autre. Un grand classique qui ne garantit rien… et qu’on peut retrouver sur tout et n’importe quoi ! Par contre, les discrets marquages Super Vitus (série 971) retrouvés sur plusieurs tubes et sur la fourche, ainsi que les raccords Prugnat Luxe et les pattes Campagnolo, sont gages d’un cadre de qualité.

Discrétion toujours, avec cette gorge réalisée à la fraiseuse pour anonymiser le modèle de potence, ou pour l’alléger de quelques grammes ?

Dans tous les cas, on retrouve la marque Milremo en frontal, ainsi que sur le cintre.

Sur celui-ci, prennent place des leviers CLB Professionnel un peu fatigués : stigmates de chute, cocottes sur le point de se désagréger, et bagues en caoutchouc absentes sur les régleurs.

Ils commandent ces étriers CLB2, assez rares, munis de pivots à 45° (flèche verte sur la photo). Ce choix technique en fait des étriers profonds, où les bras et le support sont bien écartés les uns des autres, sans aucun risque de frottement !

Selon la publicité d’époque, ces étriers étaient 2 fois plus puissants et 2 fois plus doux que des freins classiques… D’où le 2, quoi !

 

Malheureusement, l’aluminium de l’étrier avant semble dégradé. À voir si c’est juste une question de vernis, peinture ou anodisation… ou si les dommages sont plus profonds !

Les patins demandent, eux, à être uniformisés, à cause d’un caoutchouc dangereusement crevassé à l’avant… et de cartouches Shimano monoblocs à l’arrière.

Pour en finir avec les freins, souci du détail ou vestige d’étriers précédents ? Les CLB2 sont pourtant d’époque, alors pourquoi pas d’origine. Il est possible d’avoir monté ces élégants pontets Mafac au lieu des affreux CLB mastoc en aluminium coulé (à droite sur la photo) livrés avec les étriers. Dans tous les cas, on y gagne en esthétique !

Le jeu de direction est un Tange Levin. De l’acier sans souci (même si sa version aluminium a existé).

Pour en finir avec les périphériques, encore de bons composants avec cette selle 3ttt SL accompagnée de sa tige Sakae-Ringyo Extra Super Light.

Passons à la transmission. Du japonais encore avec ces pédales Kyokuto Top-Run… affublées d’un cale-pied survivant côté gauche !

Du nippon toujours, avec ce pédalier plus familier, un Shimano 600EX arabesque. Notez les plateaux aux dentures Wcut. Même si ça se voit moins sur des dents sales et un peu usées, la découpe du fond des dents est plate au lieu d’être communément arrondie.

À l’autre bout de la chaîne – je sais, c’est facile ! – on est bien français. Sous la crasse, se cache des entretoises rouges typiques d’une roue libre Maillard – Course plutôt que Sprint, même si l’étagement est serré – un grand classique de l’époque, et la progression d’une dent à chaque pignon est là pour montrer qu’on a des grosses cuisses. Question d’époque ! Ah oui, la chaîne, pourrie on s’en fiche puisque c’est du consommable.

 

On reste dans le français avec ces leviers Simplex Super LJ (ou SLJ pour faire plus court)… et la paire de dérailleurs SLJ eux aussi, A500 à l’avant et 5000 à l’arrière, qui méritent tous deux d’être rafraîchis.

Reste les roues, sujet plus épineux. Si jusque-là tous les éléments sont en accord, ici ça se met à déconner ! Il n’y a toujours pas de problème avec ces moyeux Pelissier 2000 Professionnel, même si le serrage rapide avant a hérité d’un horrible manchon – facile à retirer – et l’arrière n’est pas conforme, mais bon…

… Le vrai problème vient de ces jantes Wolber GTX 2 trop tardives. Ont-elles remplacé des boyaux pour plus de commodité, possible ; ou pris la suite sur des roues aux pistes de freinage usées ? Pourquoi pas.

Mystère, en tout cas l’anachronisme est là. Je ne les trouve pas trop choquantes, mais le tout est de le savoir… et d’assumer !  Quoi qu’il en soit, c’est toujours mieux que des boyaux pour rouler l’esprit tranquille sur de longues sorties, comme sur cette Flèche Paris – Luchon.

La remise en état

Malgré la rouille et l’état de départ défraîchi, ce vélo ne demande pas une grosse restauration, plutôt une bonne remise en état.

Le boîtier de pédalier Shimano Dura-Ace est en très bon état. Les billes ayant sûrement pris l’eau côté gauche – malgré le soufflet en plastique qui a fait barrage à la crasse – sont remplacées. Rien de dramatique, axe et cuvettes sont parfaits. Comme le cache d’auto-extraction des manivelles avait disparu du côté gauche, la paire est remplacée par des boulons Spécialités TA toujours disponibles en neuf. Leur esthétique est plus discrète que les Shimano d’origine… mais avec l’avantage d’être passe-partout !

Point de vue pédales, le cale-pied survivant ne sera pas conservé. Le modèle n’est pas vraiment adapté, bien trop large, et son montage ressemble à un mauvais bricolage… peut mieux faire, comme on disait à l’école ! Ces Christophe sont un grand classique, pas de risque de se tromper. Point de vue courroies, on reste sur du nylon tressé.

Mauvaise surprise, au démontage pour graisser les galets du dérailleur, une vis grippée casse comme du verre. Extraire la portion de vis restée comme soudée dans la chappe – sans massacrer le filetage – est délicat… mais nécessaire pour remettre une nouvelle. Pour le reste, les dérailleurs SLJ ressortent en meilleur état après un bon nettoyage.

La roue libre 14-18 offre un étagement trop serré pour affronter autre chose que la plaine. 5 vitesses, oui, mais un peu de polyvalence est indispensable sur les longues distances. Les pignons Sachs / Maillard sont encore assez faciles à trouver, alors les 3 derniers sont remplacés pour obtenir un 14-24 plus intéressant. Même si l’étendue des développements n’est pas monstrueuse, elle paraît démesurée en la comparant avec l’ancien étagement… qui montait les dents une par une !

Sur le vélo la roue libre n’a rien de choquant, et les moyeux Pelissier décrassés ont retrouvé leur paire de serrages rapides P2002 conformes… avec leur curieuse anodisation couleur kaki !

Pour commander la transmission, les leviers Simplex sont assez originaux. Le mécanisme de ces SLJ 5007 est à rétro-friction. Selon les années, l’appui de leur ressort est soit comme ici assuré par des plots en dessous – assez laids je trouve – soit intégré dans la base du levier pour une meilleure esthétique. Dans les deux cas, la douceur pour monter les rapports est d’autant plus surprenante que la descente demande autant de force qu’un levier classique pour être repoussé… mais bon, c’est justement le principe de la rétro-friction, et une fois qu’on a pris l’habitude, le concept est plutôt intéressant !

La potence Milremo déjà évidée à l’extérieur, est aussi creusée vue de l’intérieur. Même l’écrou du plongeur est allégé ! Repolis et joints toriques posés sur les régleurs, les leviers ont meilleure mine, bien que les cocottes de refabrication soient un peu grandes… mais c’est toujours mieux que des horreurs désagrégées !Du beau matériel encore dans les périphériques, avec la selle 3ttt SL et sa tige Sakae-Ringyo Extra Super Light. Après avoir ravivé la suédine, les manques de la couverture sont discrètement rechargés à l’aide de Sikaflex 11FC, ce qui permet également de stopper la dégradation des contours déchirés.

L’étrier arrière garde de petites traces d’oxydation, mais l’avant très dégradé a été remplacé par un modèle neuf d’ancien stock. À noter que, vu le système très particulier des articulations des étriers, l’avant est différent de l’arrière… et ce n’est pas une bête question de longueur du boulon de fixation. Ici, il n’y a rien d’interchangeable dans la paire… sauf les patins !

Ceux d’époque s’usant à grande vitesse, ils sont remplacés par des Kool-Stop neufs. L’américain continue de proposer un assortiment intéressant de patins pour les machines « vintage ». Ici le modèle KS-MSA (ou KS-MB) prévu pour les étriers Modolo s’adapte très facilement sur ces CLB2.

 

 

Et voilà le vélo remis en état…

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