BCN et BPF : Flandres – 59 Nord

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Kilomètres réalisés : 9050
Provinces BPF validées : 14
Départements BCN validés : 33

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Vendredi 9 août au soir, dernière sortie avant le Paris-Brest-Paris qui aura lieu dans une dizaine de jours. Rouler sans s’épuiser, tranquille, juste pour garder le rythme. Après mon tour de l’Artois de la semaine dernière, direction les Flandres pour achever mes BCN / BPF nordiques. Averses prévues le samedi matin, puis beau temps sans dépasser 20°C sont annoncés pour ce week-end. Ça me va. Le département du Nord, 59 pour les comptables, ce voisin de la Belgique est aussi long qu’il est étroit. J’aurais pu le remonter ou le descendre, et puis basta ; plutôt qu’à passer quasiment deux fois aux mêmes endroits. Mais ça aurait sérieusement manqué de panache, vous ne trouvez pas ? Je vais donc me faire une jolie boucle, comme d’habitude. Mais un peu spéciale, très aplatie, et aux pointages inégaux : le premier à l’aller, le second à mi-course, et les quatre derniers sur le retour. Départ du bout du monde, de la gare de Dunkerque, à une heure du samedi, une heure de minuit.

Je tente de m’échapper de la ville en faisant un petit détour pour traverser toute la zone portuaire, pas si éclairée que je le pensais. Tristounette même. Seulement quelques photos à prendre, sans plus. Un bon petit vent souffle déjà – ou encore – bien que la nuit soit tombée depuis un moment. Naviguer à la simple carte routière, sans aucune précision, dans une grosse agglomération comme Dunkerque n’est pas forcément une bonne idée… surtout quand les indications des panneaux ne sont pas vraiment bavardes. Je me perds largement au-delà de minuit, et le crachin me rattrape. Du coup, après ce faux départ, je débute vraiment mon circuit le samedi zéro heure pile, pour les minutes on s’en fout… avec 25km de supplément ! En laissant enfin derrière moi le béton pour la campagne, le vent de ¾ face devient vraiment pénible. Rafales à 70km/h avait promis la météo. On ne doit pas en être très loin. La pluie se renforce sans toutefois vraiment mouiller. La route est plate. Entre deux averses, les nuages se devinent en tôle ondulée à travers le ciel de pénombre. Le vent à au moins l’intérêt de finir par pousser, provisoirement, les nuages en bord de ciel, et même si le département est largement urbanisé, une bonne poignée d’étoiles arrive quand même à vaincre la pollution lumineuse. Le souffle fait chanter les herbes folles et hurle dans les champs de maïs. À l’approche de Cassel, la route s’élève. À mesure que je grimpe sur les hauteurs du village, se dévoile un panorama nocturne orangé s’étendant peut-être jusqu’à Dunkerque… ou pas ; peu importe. Les pavés du centre-ville sont assez rugueux, puis je quitte le bourg en descendant de la seule butte de cette étape, vers Hondeghem. En quittant Hazebrouck, le crachin revient de plus belle. Avec le vent fort, la petite pluie fine n’arrive toujours pas à mouiller. J’avais prévu de me faire une petite nuit peinard en montant le camp dans un coin peinard, mais après avoir fait le cochon d’inde tournant dans sa roue à Dunkerque, je n’ai plus le courage de planter ma tente pour deux heures de sommeil, le temps de déballer et replier tout le matériel. Je préfère faire une halte dans le cimetière de La Motte-au-Bois, pour m’assoupir contre un mur à l’abri des regards. Dans le village, je prends une bouteille de lait entier dans un distributeur de produits fermier pour m’en servir de p’tit dej’ en repartant. La bruine qui tombe toujours ne m’empêche pas de piquer du nez, puis je repars – humide – avant l’aube. L’îlot d’urbanisme de La Gorgue jaillit en fin de nuit sur la plaine comme un chaos de tours de béton. Le jour se lève tandis qu’il s’arrête de pleuvoir sur Richebourg. Le vent toujours aussi présent, commence à disperser les nuages. Moment d’émotion dans l’aube dorée, en arrivant au mémorial indien de Neuve-Chapelle, jouxtant une autre nécropole de la Grande Guerre ; portugaise. Venir mourir ici pour soutenir l’Empire Britannique, mourir pour la froide Europe, est-ce que cela avait vraiment un sens, vu de si loin ? Pause photos et moment de sérénité tandis que les bagnoles passent impassibles, comme elles le font sans doute toujours, les autres samedis et les autres jours de la semaine. L’église d’Annay-sous-Lens est d’une laideur cubique, complètement moche, moderne diront les plus diplomates. Vers la sortie du village, un terril apparaît furtivement puis cache son museau dans le bourg, avant de ressortir dans le lambeau de campagne menant à Harnes. En passant par Hénin-Beaumont ce samedi en début de matinée, il y a déjà beaucoup de circulation, et je tourne un peu en rond n’ayant pas vu de panneau m’indiquant que j’y étais déjà, ce qui a un peu fossé ma navigation. En sortant de la ville, de gros nuages gris envahissent le ciel et le souffle vire presque à la tempête. La route toujours plate offre un beau boulevard au vent, et me mène péniblement à Douai, premier pointage de ces BCN / BPF des Flandres.

Contrairement à ce que j’aurais cru, je ne m’égare même pas dans la ville. En passant devant le beffroi, l’édifice sonne et s’anime. Je m’arrête pour contempler les petites girouettes qui tournicotent sur le clocher, comme un gosse fasciné devant les vitrines des grands magasins à l’approche de Noël. J’essaie de pointer dans un commerce. Ravitaillement OK mais pas de tampon. Je repars agacé avec ma photo d’entrée de ville, allez, ça fera l’affaire ! En m’échappant de Douai, le Monument aux Morts me semble grandiose, désuet, potache, décalé ; sans doute pas l’effet voulu à l’époque, mais plus positif pour un vingt-et-unième siècle. Puis je pousse un peu trop loin à Aniche, car je ne vois aucune indication ni de direction ni de D943 pour m’indiquer où bifurquer. C’est pourtant une route qui doit être assez passante à certains moments. Encore une fois, j’en suis quitte pour quelques kilomètres supplémentaires… qui commencent à bien s’accumuler ! Autant l’identité des pavillons du Pas-de-Calais est de ne pas comporter de clôture, autant celle de ce département du Nord est d’avoir une belle et vaste cour toute propre, bien grise et bien goudronnée, un jardin de macadam où rien ne dépasse ; éventuellement en graviers pour les moins bien lotis. Faut-il être de la campagne pour ainsi ne pas supporter la terre ? Après un début d’étape bien urbanisé, le décor devient plus campagnard. Je passe par Bouchin, village sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle… En partant de là, ça doit faire une sacrée trotte. Haspres est un joli petit bourg de briques rouges, avec son bureau de poste futuriste flanqué d’un toit en livre ouvert, pouvant davantage évoquer une bibliothèque, mais bon… Pédalant en plaine, le souffle du vent tourmente tellement le moindre brin de végétation que sa fureur produit autant de bruit qu’au pied d’un impétueux torrent de montagne. Puis, à force de répétitions visuelles, mon attention est attirée par de curieuses et minuscules chapelles d’un esthétisme discutable : on dirait avoir placé le Bon Dieu – ou un de ses représentants – derrière une boîte aux lettres ou dans un bout de pilier en béton ! Le petit oratoire érigé dans Boucise ressemble davantage à un coffre-fort ancien – affreusement laid – qu’à un monument appelant à la prière. J’espère que le Saint pour lequel il est érigé n’est pas très rancunier ! Un deuxième, trône un peu plus loin dans le village, cylindre de pierre au sommet conique. Autre genre, autre laideur, avec une grille grossière, digne d’une porte de geôle moyenâgeuse derrière laquelle s’ennuie pour l’éternité la figurine de quelque divinité. Juste après le village, revoilà encore une de ces chapelles pour lutins au goût douteux. Elles sont nombreuses sur cette partie du parcours et s’offrent à ceux qui sauront les voir, parfois perdues ou dévorées par la végétation. Pour s’extraire d’Avesnelles, il faut passer par une longue bosse pas bien méchante suivie d’une seconde plus longue après un replat, puis une dernière à Sains-du-Nord, qui offre un peu de relief à ce circuit tout plat depuis Cassel. Trélon n’est plus très loin. La boulangère est tellement habituée aux demandes de tampons qu’elle dégaine le sien presque sans que je lui demande. En contrepartie je repars avec un excellent jésuite, pas l’homme de prières mais le gâteau.

Encore un peu de relief en repartant par la forêt de Trélon. Quelques petites montagnes russes, puis le terrain s’assagit. Après un dernier sursaut du terrain pour traverser Felleries, je suis rendu à la plaine. À Dourlers le petit oratoire est plus sympa, semble plus vivant, entouré de lierre. J’arrive pour pointer à Bavay en fin d’après-midi après une étape d’une quarantaine de kilomètres tranquilles, malgré la traversée hésitante d’Aulnoye-Aymeries.

En tout début de soirée, il faut maintenant que je cherche sérieusement un coin où passer la nuit en attendant de pouvoir pointer à Saint-Amand-les-Eaux. Les pointages nocturnes sont interdits par le règlement de ces foutus BCN / BPF, et comme je préférerais être bien réveillé au boulot lundi, il faut bien que je plante ma tente quelque part – au lieu de la trimbaler pour rien – et après une bonne douche ce serait encore mieux. L’espoir de trouver un camping ouvert est une des bonnes choses des mois d’été…Sauf que dans le coin il n’y en a pas trop. Des mois d’été diront les mauvaises langues vu qu’on est dans le Nord, mais surtout de camping autour de Bavay. Alors direction Bettrechies, qui semble être la seule destination des environs pour trouver le Saint-Graal ! Et voilà un camping une étoile – une quarantaine de places mais presque complet – dans un village en bonne montée. Trois fois rien de dépensé, de l’eau chaude et de quoi passer une bonne nuit peinard ; que demander de plus ? En ce qui me concerne j’en ai largement plus qu’il m’en faut ; et puis dodo !

Après une bonne nuit, je repars en ayant replié le camp à 7h du mat’. Dimanche matin, le camping est encore endormi. Rien ne presse, mon train m’attend à Dunkerque – à 170km de là – en fin d’après-midi. Autrement dit, j’ai largement le temps de flâner et de prendre quelques photos si mon appareil n’avait pas décidé de rendre définitivement l’âme hier soir. Le deuxième de la saison après un vol plané de sacoche sur le BRM 600km d’Andrésy, remontant sur la Belgique, en passant d’ailleurs pas très loin d’ici. Reste le téléphone, assez acrobatique en prise de clichés à la volée ! Le vent qui soufflait furieux la veille est devenu assez atone aujourd’hui. La journée commence sur des petites routes où je ne sais pas trop de quel côté des Flandres je roule, françaises ou belges. Puis je retrouve la grande route vers Wargnies-le-Petit et ses quelques bosses faciles. Les grands bouts droits restent très roulants jusqu’à Jeanlain, et je passe devant la brasserie de bières de garde, pas mauvaises dans mon souvenir… mais trop tôt pour une dégustation. En fait, je contourne Valenciennes par le nord pour me rendre à Saint-Amand-les-Eaux. Le soleil renvoie sa douce lumière dorée de début du jour sur les champs moissonnés, et le murmure des pneus sur les gros grains d’asphalte a remplacé les hurlements furieux du vent d’hier. La fraîcheur de la forêt en sortant d’Escautpont me fait du bien, la solitude sereine de ce monde vert et clos aussi, et je quitte cet univers végétal pour déboucher directement à Saint-Amand-les-Eaux pour pointer. La ville thermale s’étire toute en longueur, commençant à peine à s’extraire de sa grasse matinée léthargique du dimanche matin.

En passant devant une énième friterie, une de plus, je me demande soudain d’où viennent toutes ces patates dont j’ai vu le premier champ en sortant du camping ce matin. Rien de toute la journée du samedi, en ayant sillonné hier le département du nord au sud, alors d’où sortent-elles ces satanées patates que je n’aie même pas pu goûter. Pas la bonne heure ou fermées pour cause de vacances, passer dans le Nord sans trouver une friterie d’ouverte, non mais quelle misère ! Par deux fois pour aller à Péronne-en-Mélantois et Fretin, il manque des panneaux de route aux bifurcations des départementales qui m’obligent à rallonger encore les kilomètres avant que je m’en rende compte. Passé Fretin, je longe les voies du TGV transformées en forteresse dérisoire. Quel intérêt d’avoir dressé ces murs et ces hideuses barrières métalliques sur la plaine, d’autant plus qu’on peut les contourner facilement, interrompues quelques centaines de mètres plus loin alors que la physionomie du terrain n’a pas changé. Il ne faut pas chercher bien loin si on veut pénétrer sur le site. On aurait pu s’épargner des tonnes inutiles d’acier et de béton… passons ! Le vent commence à se relever, dirait-on, en passant par Avelin. Je passe un bon moment à contourner Lille par le sud sur des routes assez urbanisées, et quand des trouées de campagne apparaissent, on ne dirait pas que la métropole est à une dizaine de kilomètres, parfois moins. Je m’arrête pour faire le plein des bidons au cimetière de Noyelles-lès-Seclin. Des gens du cru, elle et lui grassouillets et rougeauds, arrivent en me regardant de travers, ignorant le bonjour que je leur adresse. Pas de réponse, apparence d’encéphalogramme plat. À croire que le mépris est parfois la seule arme dont dispose la médiocrité. Je ne comprends pas cette logique qui voudrait que l’eau des cimetières soit réservée aux gisants, sous peine de sacrilège du seul fait du robinet ! Faudrait-il vraiment que les vivants meurent de soif pour que les morts continuent d’avoir leur compte d’eau ? Jusque-là, je n’ai toujours eu dans tous les coins de France que des rencontres courtoises et curieuses aux points d’eau près des tombes, il fallait bien que ça change un jour. Midi pile sonne à Radinghem-en-Houepe. Encore un panneau qui m’agace, sans numéro de route. Troisième fois depuis ce matin, ce qui ne facilite pas l’orientation à la carte routière. Troisième occasion de se perdre… tout va bien. Ralenti par les travaux de voirie, je marque une petite pause devant l’église du village. La série de deux doubles portes battantes sont grandes ouvertes sur la pénombre intérieure. Ce n’est pas vraiment engageant à qui voudrait pénétrer, mais la curiosité l’emporte. En haut du petit escalier, passé les portes, je me retrouve dans une belle clarté douce – insoupçonnable – que n’ont pas toujours d’autres églises. En ressortant, je retrouve le ciel toujours aussi laiteux. Une nébulosité de soleil pâle, pas une promesse crépusculaire. La température n’atteint pas la vingtaine de degré, très bien pour moi. Destination idéale après un début d’été caniculaire. Passé midi, les nombreux cyclos du dimanche matin se sont évaporés, sûrement rentrés au bercail pour la graille. Traverser Armentières ne pose aucune de difficulté, puis l’hôpital de Bailleul apparaît autant désuet, hors du temps avec ses bâtiments ouvragés de briques rouges, que l’hôtel de ville semble gigantesque sur sa grande place dégagée, ne permettant pourtant pas assez de recul pour la photo. Dans ce pays de la brique pleine rouge, Bailleul et son patrimoine architectural mériterait de figurer à ces pointages de BCN / BPF… En approchant de Berthen, j’aperçois au loin un énorme mât de télécommunication planté sur une grosse butte, verticalisant la plaine. C’est là-bas que je dois me rendre : le Mont-des-Cats. Bailleul, Saint-Jans-Cappel et Berthen, les trois panneaux de villages sous-titrés confirment que je chemine bien à travers les Flandres. En quittant Berthen, j’entreprends la montée vers le mont qui commence doucement, pour devenir raide d’un coup en bifurquant sur la dernière portion de côte à 15 %, seul relief de cette étape. Je suis content d’avoir mon tout petit plateau de 24 dents, qui m’avait été bien utile dans les montées à 20 % de la Super Randonnée des côtes de Bourgogne. Autrement dit, ici ça passe sans trop forcer, mais en appuyant quand même sur les pédales. Quelques touristes errent sur le site du Mont-des-Cats. L’abbaye est protégée des regards derrière ses hauts murs, et sa boutique est fermée. Pas de quoi déguster local, bière ou calendos, alors je fais mon pointage photo avant de repartir.

Après une descente rapide du mont, je suis définitivement de retour en plaine à Godewaersvelde. Le vent reste discret et ne se met toujours pas à monter comme hier. En sortant de Bambecque, un Jésus stylisé dans sa cage moderne, attend le passant avec une tristesse de faïence. À l’entrée de West-Cappel, le petit cimetière militaire est accolé aux tombes classiques, comme souvent dans les villages du département. Les militaires ne meurent pas pour eux-mêmes mais tombent avant tout pour les civils, alors qu’ils soient enterrés au milieu d’eux au lieu d’être inhumés entre combattants me semble plus naturel, plus humain, que de les écarter comme simples rebuts d’une machine de guerre vite amnésique. Bergues est maintenant tout près, et j’y arrive dans des braillements de sono. C’est la fête au village, sur la grande place autour du beffroi. Je pointe puis ressors tranquillement du bourg en suivant les berges du canal. J’avance entre les raccords d’asphalte grossiers et les nids-de-poule, à l’ombre de la double rangée d’arbres qui occulte complètement le ciel. Les troncs tourmentés créent une atmosphère irréelle, forment un monde clos tandis que les bagnoles filent bruyamment sur l’autre rive. Il me reste une dizaine de kilomètres à parcourir pour rejoindre Dunkerque… sans aucun souci, contrairement au départ ! Rejoindre la gare est un jeu d’enfant. Beaucoup de gens attendent leur train ce dimanche vers la fin d’après-midi, et le mien n’est pas pour tout de suite, mais rien ne presse après tout.

 

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